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LIBRE OPINION de Nicolas BAVEREZ : Le choix des armes.

Posté le dimanche 19 mars 2017
LIBRE OPINION de Nicolas BAVEREZ : Le choix des armes.

Présente sur de trop nombreux théâtres d'opérations, la France persiste à sacrifier son effort de défense. À contre-courant d'un monde qui se réarme.

 

La sécurité constitue, avec le chômage, la première préoccupation des Français. Mais, alors qu'un puissant mouvement de réarmement se dessine dans le monde avec des dépenses militaires qui atteignent 1 700 milliards de dollars et qui augmentent de 10 % par an, en France, le décalage entre la montée des menaces, le surengagement des armées et leurs moyens ne cesse de s'accentuer. Le pays, à l'image de la situation décrite par le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires, montre « une impuissance égale de soutenir la guerre et de parvenir à la paix ».

Surcharge, usures et pénuries

Aujourd'hui, l'armée déploie 30 000 hommes en opérations, dont 7 000 sur le territoire national dans le cadre de Sentinelle, soit une activité supérieure de 30 % aux contrats opérationnels fixés par le livre blanc de 2013. Nos forces sont engagées sur quatre théâtres majeurs au lieu de trois. La marine opère sur cinq théâtres au lieu de deux. L'armée de l'Air projette 20 avions de combat au lieu de 12 et 40 des 140 pilotes aptes à réaliser des missions de guerre. L'outil militaire français se trouve à la limite de la rupture. Les munitions et les rechanges manquent. Le soutien et le service de santé montrent d'inquiétantes défaillances. Plus de 60 % des véhicules engagés en opérations ne sont pas protégés. L'entraînement a chuté de moitié dans l'armée de terre depuis le déclenchement de Sentinelle.

Des ruptures majeures de capacité sont constatées dans des domaines critiques : les hélicoptères, l'aviation de transport et les ravitailleurs, les drones tactiques, les missiles moyenne portée, les frégates. De même, les militaires disposant de compétences rares comme les pilotes, les atomiciens, les spécialistes de la cybersécurité ou de la gestion de données sont de plus en plus difficiles à recruter. Au total, il serait aujourd'hui impossible de rééditer l'opération Serval au Mali, compte tenu de l'effondrement de l'entraînement, de l'usure des matériels et de la pénurie de munitions.

Réarmer ou se désengager

Cette situation alarmante s'explique avant tout par la réduction de l'effort de défense, qui a été ramené de 5,79 % du PIB en 1960 à 3,10 % en 1980 et 1,77 % en 2017. La défense entre pour 40 % des économies réalisées par l'État au cours de la dernière décennie. Les dépenses militaires (32,7 milliards d'euros) sont nettement inférieures en 2017 à celles du Royaume-Uni (46 milliards) et de l'Allemagne (37 milliards).

Il faut donc choisir : réarmer ou se désengager. Que voulons-nous faire ? Assurer la sécurité des Français et du territoire en garantissant la continuité de la vie nationale en toutes circonstances tout en fournissant le socle d'une Union européenne pour la sécurité et en accélérant la construction d'une défense cybernétique. Quelles priorités en découlent ?

La première urgence consiste à interrompre la diminution du potentiel militaire français, ce qui implique la création d'environ 2 000 postes par an destinés à la protection des sites, au service de santé ainsi qu'un vigoureux effort de maintenance pour faire passer le taux de disponibilité des matériels, compris entre 35 et 60 %, à 80 %. Deuxième orientation, la modernisation des blindés, ainsi que le comblement rapide des ruptures de capacité dans le domaine des hélicoptères, du transport et du ravitaillement aérien ou des drones. La troisième direction porte sur le renouvellement de la dissuasion nucléaire, qui constitue un enjeu vital pour la France comme pour l'Europe, compte tenu du renouveau des chantages atomiques – de la Russie à la Corée du Nord – et du nouveau cours isolationniste des États-Unis. Enfin, il convient de soutenir la recherche et d'accompagner la montée en puissance du cyber et du traitement des données.

2 % du PIB

Quel effort financier engager ? La sincérité des comptes invite à inscrire d'emblée dans le budget de la défense le financement des opérations extérieures à leur niveau réel, soit 1,2 milliard d'euros. D'ici à 2020, l'effort supplémentaire pour les effectifs et l'amélioration de la condition militaire peut être estimé à 300 millions, tandis que la reconstitution des stocks de munitions et de rechanges ainsi que la mise à niveau de la maintenance se montent à 1 milliard d'euros. La modernisation des matériels exige un effort de rattrapage de 3 milliards d'euros associé à des investissements de l'ordre de 250 millions dans la recherche amont. À partir de 2020 s'ajouteront les dépenses liées à la modernisation de la dissuasion, soit 1 à 2 milliards par an sur quinze à vingt ans. Au total, la France devrait donc investir 2 milliards d'euros supplémentaires par an dans sa défense à partir de 2018, avec pour objectif un effort de défense de 2 % du PIB – hors pensions – en 2022.

La sécurité doit être remise au cœur des débats de l'élection présidentielle de 2017. Elle doit s'inscrire dans une stratégie globale intégrant la dimension européenne. Soixante ans après le traité de Rome, la construction communautaire a vocation à être relancée autour d'une Union pour la sécurité dont les missions seraient la lutte contre le terrorisme islamiste, la protection des infrastructures vitales et le contrôle des frontières extérieures.

Ce ne sont donc pas seulement les moyens qu'il faut redimensionner, mais les principes, les doctrines et les organisations qu'il faut repenser. Mobiliser les citoyens au service de leur sécurité et de celle de la nation, c'est aussi contribuer à la dynamique du redressement économique et à la refondation du contrat social. Le général de Gaulle rappelait que « la défense nationale est la première raison d'être de l'État ». Sans défense, il n'est plus d'État. Et sans État, il n'est pas plus de développement que de liberté.

 

Nicolas BAVEREZ 



 

Avis de l’ASAF

L’ASAF partage totalement le constat et les propositions de Nicolas Baverez.
Les chiffres qui figurent dans cet article sont ceux qui ont été donnés par le chef d’état-major des armées lors de son audition par les Commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils sont à la fois dramatiques et parfaitement connus des élus du peuple.

Notre armée se paupérise et s’affaiblit de façon continue depuis 5 ans.
L’ASAF  l’a écrit régulièrement et de façon très claire dans ses lettres mensuelles qui sont toutes accessibles sur le site www.asafrance.fr  (onglet analyses/lettres ASAF).
Elle préconise en effet depuis plusieurs années un accroissement annuel de l’effort de Défense de 0,1% du PIB, soit pour le prochain quinquennat 2018-2022 une augmentation de 0,5%, en vue d’atteindre en 2022 une part du PIB consacré à la Défense de 2% (hors-pensions). Cet effort, indispensable pour arrêter la dégradation catastrophique de notre outil de défense,
devra être poursuivi au même rythme, et si possible accru au cours du quinquennat suivant, dès que la situation économique le permettra.



Henri Pinard Legry
Président ASAF

 

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Source : Le Point

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