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ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : Les réponses d'Emmanuel MACRON aux questions de l'ASAF sur la Défense

Mis à jour le 03 juin 2017
ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : Les réponses d'Emmanuel MACRON aux questions de l'ASAF sur la Défense
 

 

DEFENSE

Emmanuel MACRON 
répond aux 8 questions de l’ASAF 

 

 

1-      Quelle réflexion avez-vous développée sur la responsabilité de chef des Armées ?

 

Les tensions graves qui touchent le territoire national et notre environnement européen apparaissent chaque jour plus importantes: la résurgence de la menace terroriste, notamment en Syrie et en Libye, la confirmation du retour d’une politique russe de puissance, avec l’annexion de la Crimée en 2014 et la déstabilisation de l’est-ukrainien, la spirale autoritaire de la Turquie,… Les questions de défense sont désormais au centre de nos enjeux stratégiques. Nos deux cercles d’appartenance traditionnelle que sont l’Union européenne et l’Alliance Atlantique ont été ébranlés par deux évènements inattendus : la victoire du Brexit au Royaume-Uni en juin 2016, et la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis en Novembre. Le Conseil de Sécurité des Nations unies, chargé de prévenir les conflits et de faire respecter la paix mondiale, est lui-même enfermé dans ses divisions. L’Europe et la France font donc face à un monde nouveau où les menaces sont plus nombreuses et plus dangereuses. De nouveaux acteurs – étatiques ou non, comme Daech – font peser des risques inédits sur notre sécurité, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.

La France demeure une puissance militaire reconnue sur la scène internationale : elle fait partie du cercle restreint des pays disposant d’une force de dissuasion nucléaire. Elle est également un des rares pays à pouvoir projeter des forces à l’extérieur de ses frontières, et par exemple à tenir aujourd’hui un rôle-clef en Afrique subsaharienne. Nos forces armées n’ont jamais été autant sollicitées. La France mène de nombreuses opérations extérieures (Levant, Sahel) et intérieures (Sentinelle). Utilisées au maximum de leur capacité, nos forces n’ont plus suffisamment de temps pour se reposer ni s’entraîner, faisant craindre une dégradation progressive de leur sécurité, de leur efficacité et du recrutement.  Tout aussi inquiétant, l’équipement de nos armées se détériore : certains véhicules (notamment les blindés) ont plusieurs dizaines d’années. Quant à nos dépenses militaires, rapportées au nombre d’habitant, elles stagnent, alors même que les conflits s’intensifient et que nombre de pays réarment.

 

C’est dans ce contexte que j’endosserai la responsabilité de chef des armées. Notre pays doit disposer des moyens de défense et de sécurité nécessaires à sa souveraineté et à la protection de ses citoyens. Cela exige de donner à la défense nationale des moyens financiers et humains accrus, afin qu’elle puisse mener à bien des missions plus difficiles et plus nombreuses.

 

 

2-      Le général de Gaulle a écrit que « la Défense est le premier devoir de l’Etat ». Partagez-vous cette priorité et, plus généralement, comment celle-ci s’inscrirait-elle dans votre politique globale ?

 

La défense et la sécurité des français sont en effet la première mission de l’Etat. En tant que Président de la République, mon premier objectif sera de donner aux armées les moyens d’assurer la souveraineté stratégique de la France. Nos forces armées interviennent partout dans le monde pour assurer la sécurité et  maintenir la souveraineté de la France. Cette sécurité et cette souveraineté, elles n’ont pas de prix, mais elles ont un coût. Il nous faut l’assumer. C’est pourquoi je prévois une augmentation du budget de la Défense pour stabiliser les effectifs de la Défense et porter un effort particulier sur nos capacités conventionnelles qui souffrent cruellement, pour pérenniser la dissuasion, et porter un effort particulier dans le domaine cyber.

Cet effort, nous devons le mener pour nous-mêmes. Mais nous devons l’inscrire dans la perspective d’une défense plus européenne et nous attendons de nos partenaires qu’ils y prennent toute leur part. C’est ainsi que nous assurerons notre propre sécurité et celle du continent.

 

 

3-      La part du PIB consacrée à la Défense est aujourd’hui de 1,5% (hors pensions). Quelle part du PIB (hors pensions) envisagez-vous de lui consacrer et à quelle échéance ?

 

Je suis particulièrement conscient qu’en matière budgétaire, nos armées ne peuvent plus attendre : le renouvellement des forces de dissuasion, la modernisation des moyens militaires conventionnels, le comblement de certains déficits criants dans nos capacités rendent absolument indispensable un effort particulièrement appuyé. C’est pourquoi je prévois d’augmenter notre effort de défense, en portant les ressources de la défense à 2% de la richesse nationale, mesurée en termes de Produit Intérieur Brut, en 2025. C’est un objectif très ambitieux : si on tient compte des hypothèses actuelles de croissance du PIB dans les prochaines années, ce budget atteindra, hors pensions et hors surcoûts OPEX, plus de cinquante milliard d’euros en 2025, contre trente-deux en 2017.

 

 

4-      Quelle est votre position sur la dissuasion nucléaire, en particulier sur la nécessité de moderniser ses deux composantes dans la décennie à venir ?

 

La dissuasion va entrer dans son troisième grand cycle de modernisation depuis sa création il y a plus d’un demi-siècle. J’engagerai ainsi le renouvellement des composantes sous-marine et aérienne de la dissuasion nucléaire. Le développement et la construction du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération sera décidé, les évolutions du missile balistique M51 assurées. Pour la composante aéroportée, il sera procédé au remplacement des Mirage 2000N de la base d’Istres par des Rafale, ainsi que la modernisation du missile stratégique ASMP-A et le développement de l’ASN 4G. Les technologies afférentes à la dissuasion structurent toute une filière industrielle. C’est ma responsabilité que de la pérenniser et de la renforcer.

 

 

5-      La France, membre fondateur de l’OTAN, a réintégré son commandement militaire en 2009. Face à un éventuel désengagement américain, pensez-vous que la France y aurait encore un rôle à jouer ? Comment peut-elle dès aujourd’hui contribuer à bâtir une défense européenne ?

 

L’Europe s’est toujours essentiellement construite sur son pilier économique, sans jamais réussir à définir une véritable politique commune de défense et de sécurité. Or il ne peut y avoir de prospérité durable en Europe, et singulièrement en France, sans sécurité. La lutte contre le terrorisme par exemple, dont le caractère international est patent, passera par une Europe de la défense et de la sécurité plus forte. Depuis la création de l’Alliance atlantique, les pays européens sont toujours restés dans une situation de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, et n’ont jamais vraiment été en mesure d’assurer eux-mêmes leur défense collective. Depuis de nombreuses années, la majorité des pays de l’Union Européenne ont opéré des réductions sensibles de leur budget de défense, qui se traduisent aujourd’hui par des déficits capacitaires importants au niveau de l’UE. Seules la France et la Grande Bretagne peuvent fournir des capacités-clés, avec cependant des lacunes critiques (ravitaillement, transport stratégique, drones de surveillance, etc.) : l’OTAN reste donc aujourd’hui un partenaire indispensable, notamment pour conduire des opérations militaires d’envergure.

Les évolutions majeures survenues en 2016 (le Brexit, l’élection de Donald Trump) appellent à une relance de l’UE. Il s’agit d’une occasion historique d’impulser un nouvel élan pour une défense européenne crédible et autonome. Je le dis clairement, il ne s’agit pas de marquer une quelconque défiance vis-à-vis de l’Alliance atlantique dont la France est un membre fondateur et qui permet aux forces armées des démocraties européennes et nord-américaines de travailler ensemble. De même, le Brexit ne devra pas freiner la coopération franco-britannique dans l’esprit du traité de Lancaster House. Mais les Européens doivent désormais sortir de l’ambiguïté: il est logique que les Etats membres qui développent et partagent des intérêts communs dans l’UE, les y défendent aussi dans cette organisation.

 

Le renforcement des capacités autonomes européennes dans l’UE suppose que les pays européens acceptent de réassumer ensemble la responsabilité de leur défense, et déterminent clairement les objectifs et la marche à suivre. La mutualisation des forces, le partage du renseignement issu des chaînes nationales, la consolidation de la base industrielle de défense, sont autant d’enjeux majeurs pour la future Europe de la défense. Pour lui donner toute sa crédibilité, il faudra notamment la doter d’une réelle capacité d’action politique et militaire Ainsi, nous renforcerons la coordination de nos opérations avec nos alliés européens avec un Quartier Général européen permanent pour assurer la planification et le suivi des opérations, en lien avec les centres de commandement nationaux et de l’OTAN. Nous créerons un Conseil de sécurité européen, composé de militaires, diplomates et experts du renseignement, pour conseiller les décideurs européens. Nous activerons les « groupements tactiques » : ces forces multinationales ont été mises en place il y a plus de 10 ans mais n’ont jamais été déployées sur le terrain. Cela permettra des interventions européennes communes sur le terrain, dans les opérations extérieures. Enfin, je soutiendrai la création d’un Fonds européen de défense, pour financer des programmes communs, tel un drone européen. Pour continuer à innover face aux géants américains ou chinois, et face aux coûts croissants des programmes d’armement, un effort en commun est clef.

 

 

6-      Il est parfois reproché aux gouvernements d’engager notre armée sans avoir un objectif politique clair s’appuyant sur une stratégie globale et de long terme. Quelle serait votre politique dans ce domaine au Moyen-Orient mais surtout en Afrique, champ d’influence premier et historique de la  France ?

 

La sécurité des français est ma première priorité. La situation sécuritaire a conduit la France à être présente sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures (notamment dans la bande sahélo-saharienne et en zone irako-syrienne), opérations qu’elle reste l’une des rares puissances mondiales à être en mesure de conduire avec un tel professionnalisme.  Peu de pays peuvent prétendre déployer des forces terrestres, aériennes et navales en nombre à plusieurs milliers de kilomètres de leur territoire et renverser aussi vite des situations qui semblaient désespérées, comme au Mali ou en République Centrafricaine par exemple. Je salue l’engagement de nos soldats, femmes et hommes qui œuvrent au péril de leur vie pour notre sécurité et pour la stabilité internationale. Je maintiendrai une stratégie extérieure qui permettra de lutter avec force contre le terrorisme à ses racines, avec la détermination à bâtir des solutions politiques pour construire une paix juste et durable et assurer le développement des pays aujourd’hui déstabilisés.

 

L’essentiel de la menace terroriste qui pèse aujourd’hui sur notre territoire a, directement ou indirectement, un lien avec la Syrie et l’Irak. Des centaines de Français, des milliers d’Européens y combattent dans les rangs de Daech. Notre action militaire doit donc viser d’abord la défaite militaire de cette organisation. La situation évolue favorablement depuis plusieurs mois et la reprise de Mossoul constituera à terme une défaite majeure pour les djihadistes. Pour autant, cette guerre n’est pas finie. C’est en Syrie également que Daech doit être défait, grâce notamment aux forces locales qui combattent sur le terrain, auxquelles nous devrons envisager d’accroître notre soutien. Notre intérêt, c’est le retour de la paix en Syrie. C’est le seul remède durable au terrorisme et la France devra ainsi contribuer à ce que la Syrie de l’après-guerre puisse trouver son équilibre. Et notre travail, en la matière, est de construire cette solution diplomatique et politique de sortie de crise et de sortie de guerre.

 

Au Sahel, les défis restent aussi considérables. Les groupes terroristes sahéliens viennent d’affirmer leur unité sous la direction du terroriste Iyad Ag Ghali. Ceci confirme que notre ennemi, principalement Al Qaeda, quoique affaibli, reste résolu à déstabiliser les pays de la région, le Mali et le Niger, qui tentent de faire face, malgré la faiblesse de leurs moyens. Dès le mois de faire, il faudra agir pour accélérer nos actions d’appui à la montée en puissance des forces du G5 Sahel, afin d’accroître leur efficacité.

 

 

7-      Il existe aux Etats-Unis une garde nationale qui est une véritable armée dont le budget est d’ailleurs équivalent à celui de notre Défense. La  garde nationale récemment créée en France n’est autre qu’un changement de vocable pour parler des réservistes servant au sein des forces armées et des forces de sécurité. Prévoyez-vous son extension ou le maintien du statu quo actuel ?

 

La France a fait le choix d’une armée professionnelle : dans un environnement toujours plus complexe, à l’heure de la numérisation du champ de bataille, ce choix n’est pas à remettre en cause. Mais l’instabilité du monde dans lequel nous vivons requiert la vigilance de chacun. La société tout entière doit être consciente des enjeux de défense et de sécurité auxquels notre pays fait face aujourd’hui. C’est pourquoi je souhaite que les citoyens volontaires deviennent acteurs de notre défense et de notre sécurité intérieure, en rejoignant la garde nationale.

A cet égard, la politique des réserves doit impérativement changer d’échelle pour permettre à notre armée professionnelle de faire face à tous ses engagements et répondre au besoin d’engagement de nos concitoyens. En outre, le territoire national est aujourd’hui, en termes d’effectifs déployés, le premier théâtre de nos engagements opérationnels. C’est pourquoi je fais mien le projet de Garde nationale, qui a été créée à cette fin. La réserve, basée sur le principe du volontariat, sera une composante militaire parfaitement intégrée à l’armée d’active et doit être « vécue » en tant que telle.

J’adopterai plusieurs mesures ambitieuses : la réserve devra atteindre, pour la Défense, la cible de 40.000 réservistes en 2018, 85.000 en incluant ceux de la Gendarmerie nationale et de la police. Le législateur sera invité à revoir les textes incitant les employeurs privés et publics à se priver pendant un temps de leurs collaborateurs souhaitant servir comme réservistes, et facilitant pour les salariés et leurs familles leur engagement dans les réserves. Une amélioration du maillage territorial de la réserve est également indispensable pour ancrer ce dispositif sur tout le territoire, notamment dans les « déserts militaires ». Un système de pilotage très réactif des ressources humaines devra être mis en place, à l’instar de ce que pratique déjà la gendarmerie nationale. C’est un chantier qui ne progressera pas à coup d’exhortations, mais grâce à un travail législatif et règlementaire, exigeant ténacité et continuité.

 

 

8-      La conscription a été suspendue en 1997 par le président Chirac. Etes-vous favorable au développement d’une coopération entre les administrations  de la Défense et de l’Education nationale pour renforcer le lien Armée-Nation ? Souhaitez-vous la création d’un service militaire court obligatoire ou de volontaires ? Si oui, quelle en serait la finalité ?

 

Depuis mars 2012 et les tueries perpétrées par Mohamed Merah, 239 personnes sont mortes sur le territoire français, assassinées lors d’attentats terroristes. Ces évènements témoignent du niveau de menace auquel la France est confronté, mais au-delà, révèlent aussi tragiquement les fractures de notre cohésion nationale. Dans notre pays au 21è siècle, des enfants de France tuent leurs concitoyens ! Au nom d’une mouvance islamiste extrémiste, prenant par là-même en otage nos compatriotes musulmans…Par ailleurs, la ségrégation sociale en matière de logement ou d’éducation est patente,  l’individualisme a pris le pas sur la collectivité, la défiance envers les élites n’a jamais été aussi forte

Dans ce contexte, nous avons le devoir de réfléchir aux solutions pour rétablir les fondements d’un vivre ensemble apaisé. Comment la communauté nationale peut-elle se forger des armes pour lutter contre les risques sociétaux qui menacent notre Nation de l’intérieur ? Je propose de recréer une cohésion nationale par le biais d’un service national, qui permettra en outre de sensibiliser nos jeunes aux enjeux de défense et de sécurité. Malgré des parcours souvent très divers, il faut leur redonner la possibilité de découvrir qu’il y a plus de choses qui les rassemblent que de raisons de s’opposer. Dire que la  complémentarité et les différences font la richesse d’un pays n'est pas suffisant, il faut le vivre au quotidien  pour le comprendre. Pour cela, une expérience vécue en commun est un socle sur lequel une conscience nationale peut s’ériger.

Ce service national universel, encadré par les armées et la Gendarmerie nationale, s’adressera aux jeunes femmes et hommes aptes de toute une classe d’âge - soit environ 600000 jeunes par an.  Au travers d’une expérience directe de la vie militaire, de ses savoir-faire et de ses exigences, chaque jeune Français ira ainsi à la rencontre de ses concitoyens, fera l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine, durant un mois. Un service national sera l’occasion de redonner les bases et repères d’une vie en groupe structurée, de partager des activités permettant le dépassement de soi, de renforcer l’esprit citoyen, d’inculquer les valeurs de la République. Ce temps de service militaire universel devra intervenir dans les 3 ans suivant le dix-huitième anniversaire de chacun.  A l’issue de cette période, l’accès des jeunes aux métiers de la Défense en tant que militaire d’active ou dans la Garde nationale sera facilité. Ce service militaire universel permettra aussi de disposer, en cas de crise, d’un réservoir mobilisable, complémentaire de la Garde nationale.

Les conditions de mise en place de ce service national universel feront l’objet d’une large concertation associant, outre les armées et les forces politiques, les organisations représentant la jeunesse. Sur ces bases, des propositions seront présentées au président de la République au plus tard en décembre 2017.