ARMEMENT - Armée de terre : Mieux vaut accélérer le programme SCORPION que de « retaper » les vieux VAB. LIBRE OPINION de Laurent LAGNEAU.

Posté le lundi 06 novembre 2017
ARMEMENT -  Armée de terre :  Mieux vaut accélérer le programme SCORPION  que de « retaper » les vieux VAB. LIBRE OPINION de  Laurent LAGNEAU.

En 2010, dans le cadre du programme SCORPION (Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), il était prévu de doter l’armée de Terre, de 1 968 Véhicules blindés multirôles (VBMR, Griffon) et de 358 VBMR légers dès 2013, de 254 chars Leclerc rénovés (à compter de 2016) et de 292 Engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) à partir de 2018. 

Mais l’armée de Terre qui, en 2012, fit une démonstration aux parlementaires pour les convaincre de la nécessité de SCORPION a, semble-t-il; eu chaud : ce programme n’a pu être confirmé par la Loi de programmation militaire 2014-2019 qu’au prix d’une réduction des commandes et d’un étalement dans le temps. Dans le détail, les livraisons des nouveaux blindés ont ainsi été décalées de 2 à 4 ans selon les modèles et le nombre de véhicules commandés a été diminué de 12,5% pour les VBMR (ou Griffon), de 15% pour les EBRC (Jaguar) et de 21,2% pour les chars Leclerc rénovés. Et cela n’a pas été sans conséquence, d’autant plus que, dans le même temps, avec les opérations Serval (maintenant Barkhane) et Sangaris, les matériels anciens de l’armée de Terre ont été mis à rude épreuve. Et ils le sont encore… D’où le constat fait par le député Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis des crédits alloués aux forces terrestres. « Le report du programme SCORPION a pour conséquence directe le maintien en service de véhicules anciens, en attendant leur remplacement par le Griffon et le Jaguar. Or le vieillissement de ces matériels, accentué par un intense engagement en OPEX, se traduit dès à présent par des faiblesses préoccupantes et laisse présager une rupture capacitaire à court ou moyen terme », écrit-il. Cela fait augmenter les dépenses pour le maintien en condition opérationnelle (MCO), sans pour autant réduire le rythme d’obsolescence et d’usure des véhicules, au point qu’il est désormais question d’un risque de rupture capacitaire.

« Les capacités de protection des forces terrestres en OPEX [opérations extérieures] sont limitées » car « sur les 345 VAB [Véhicules de l’avant blindé, mis en service en 1975, ndlr] engagés en OPEX en 2016, 77 % n’étaient pas au standard Ultima, qui offre le meilleur niveau de protection des personnels », souligne M. Gassilloud. En outre, « si aucune mesure n’est prise, la dégradation continue de l’état du parc de VAB entraînera une réduction temporaire de capacité (RTC) qui s’aggravera à partir de 2024 pour atteindre en 2029 une ampleur inquiétante : environ 900 véhicules sur les 3 330 correspondant au contrat opérationnel du parc des véhicules blindés multi-rôles et de combat (VAB, Griffon, VBCI et VBMR léger) », a-t-il ajouté. Qui plus est, selon l’état-major de l’armée de Terre, « le besoin en régénération de VAB supplémentaires, au standard Ultima ou autre, n’est pas financé aujourd’hui ». Ce qui fait dire au député que « la programmation actuelle n’est-elle pas soutenable au regard des capacités théoriques de l’armée de Terre. » Dans ces conditions, deux options sont possibles : revaloriser davantage de VAB au standard Ultima ou accélérer le programme SCORPION, lancé, pour rappel, en décembre 2014. Pour la première, et dans l’attente de l’arrivée des Griffon en nombre suffisants, il s’agirait de porter au standard Ultima 460 VAB supplémentaires entre 2021 et 2025 (en plus des 290 actuellement en dotation au sein des forces terrestres), dont 240 VAB d’infanterie et de génie et 220 autres dans des configurations différentes. Cela suppose d’aller encore plus loin dans la modernisation de ces VAB Ultima afin de les rendre compatibles avec le programme SCORPION (radio contact, protection de classe 4, tourelleau télé-opéré, etc…). Ainsi, en 2030, il resterait encore 500 VAB en service (avec 60 ans au compteur). Le coût d’une telle opération n’est pas anecdotique : il faudrait compter 1,4 millions d’euros pour rendre « retaper » un VAB d’infanterie selon les exigences de SCORPION. Qui plus est, d’autres problèmes de MCO ne manquera pas d’apparaître (approvisionnement en pièces détachées, obsolescence structurelle des véhicules, etc…). La prise de masse inhérente avec l’installation de nouveaux équipements impliquera un changement de la motorisation, ce qui n’est pas envisageable en l’état, ainsi qu’une hausse de la fréquence des changements de pneumatiques. Et c’est sans parler des soucis d’ergonomie, d’alimentation énergétique des différents capteurs, etc.

Aussi, le député Gassilloud plaide pour la seconde option, d’ailleurs vivement défendue par le général Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), lors de ses auditions parlementaires. L’idée est ainsi de permettre aux forces terrestres de disposer, d’ici 2025, de 1 310 Griffon au lieu de 800 et de 143 Jaguar au lieu de 110. Si la plus-value opérationnelle est évidente (le Griffon est apte au combat infovalorisé tout en offrant une protection de niveau 5), cette option est plus économique, à moyen terme, que la constitution d’un parc « tampon » constitué de VAB revalorisés, qui, au premier abord, semble l’option la moins coûteuse.
« L’hypothèse d’une accélération des livraisons de Griffon coûterait-elle 188 millions d’euros de plus que celle d’une régénération de VAB pour la période couverte par la prochaine loi de programmation militaire, soit moins de 27 millions d’euros par an. Si cet écart est net, il n’est pour autant pas considérable au regard de l’accroissement annoncé des crédits du ministère des Armées durant cette période », estime le rapporteur. De plus, toujours selon ce dernier, « accélérer SCORPION, c’est anticiper une dépense par ailleurs programmée, tandis que régénérer des VAB, c’est consentir des dépenses supplémentaires sans économie postérieure en contrepartie. » Et d’insister : « s’agissant des seules dépenses d’investissement, l’écart de prix entre le VBMR Griffon et la régénération VAB visant à l’intégrer à la bulle SCORPION s’établit à 100 000 euros environ, soit 6,7 % seulement. Mais en tenant compte des coûts d’entretien et des durées d’amortissement de chacun de ces matériels, la possession d’un Griffon est plus économique que celle d’un VAB modernisé. » Reste maintenant à voir si ces arguments seront retenus lors de l’élaboration de la prochaine Loi de programmation militaire…

 

 Laurent LAGNEAU
(Zone militaire)

 

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