ASAF : Normandie-Niémen a 70 ans

Posté le lundi 08 juin 2015
ASAF : Normandie-Niémen a 70 ans

(Article paru dans le numéro 96 de la revue trimestrielle de l’ASAF  ENGAGEMENT)

Documentaliste du "Mémorial Normandie-Niémen", auteur de l’ouvrage Ceux de Normandie-Niémen, Yves Donjon nous invite à parcourir l’épopée de cette unité exceptionnelle qui restera gravée dans la mémoire nationale.

 

Sur 99 pilotes, 44 sont morts pour la France

« Normandie-Niémen » l’unité aérienne française la plus titrée de tous les temps.
Les états de service du Régiment d’aviation de chasse « Normandie-Niémen » sur le Front de l’Est au cours de la Seconde Guerre mondiale sont particulièrement exceptionnels.
En 5 240 missions de guerre, 4 354 heures de vol de guerre et 869 combats aériens, le groupe a obtenu 273 victoires aériennes confirmées plus 37 probables, 47 avions ennemis endommagés, 132 camions ennemis détruits, 24 voitures ennemies détruites, 22 locomotives détruites, 2 vedettes coulées. A cet incroyable bilan, il faut rajouter les nombreuses gares, usines, cantonnements, terrains d’aviation et trains attaqués.

 

Ces quelques chiffres résument le brillant palmarès de « Normandie-Niémen » qui en fait l’unité militaire française la plus titrée de tous les temps. En France, au même titre que la « 2ème DB » du général Leclerc, le « Normandie-Niémen » est passé de l’Histoire à la Légende. Cette glorieuse page d’histoire à été écrite par 9 membres des services généraux (médecin, radio, interprète, secrétaire…), 42 mécaniciens, 96 pilotes de chasse et 3 pilotes de liaison. Sur ces 99 pilotes, 44 (dont 2 abattus avec la R.A.F.) sont « Morts pour la France », entre le 13 avril 1943 (premier mort) et le 12 avril 1945 (dernier tué). Cela représente un taux de perte de près de la moitié de l’effectif.

 

De plus, il est important de noter que sur le nombre total de pilotes abattus au-dessus du territoire occupé par l’ennemi, 3 seulement ont été faits prisonniers et sont rentrés en France à la fin de la guerre (soit 7%). Ce pourcentage est bien inférieur à celui de toutes les statistiques des forces aériennes belligérantes (R.A.F., U.S.A.F., Luftwaffe, etc.). Il faut donc en conclure que l’ordre formel signé en mai 1943 par le maréchal Keitel, chef d’état-major suprême allemand, stipulant de fusiller sur le champ tout pilote de « Normandie » fait prisonnier, a été exécuté dans une large mesure. D’ailleurs, le sort qui fut réservé au pilote Roger Pinon en est malheureusement le plus triste exemple. A l’occasion du procès de Nuremberg, il a été révélé que lors de sa disparition, Roger Pinon, après avoir été atteint par la Flak, était parvenu à poser son Yak sur le ventre. Mais, il fut exécuté d’une balle dans la nuque par un sous-officier allemand, sans même avoir pu sortir de son cockpit…

 

Le processus de création du Groupe Normandie Niémen

Afin de bien comprendre pourquoi et comment le Régiment « Normandie » a vu le jour, il est nécessaire de revenir deux ans avant sa création, et de se replacer dans le contexte de l’époque. En juin 1940, la supériorité des troupes allemandes écrase en quelques semaines les armées françaises. Le 18 juin, le général de Gaulle lance un appel qui deviendra historique. Depuis Londres, au micro de la BBC, la radio anglaise, il convie tous les Français qui n’acceptent pas la défaite, où qu’ils se trouvent, à s’unir à lui dans l’action, sans véritablement savoir de quoi l’avenir serait fait. Des aviateurs français qui refusent de se soumettre aux exigences du gouvernement de Vichy s’évadent de France et d’Afrique du Nord principalement, pour rejoindre l’Angleterre, désormais seule à combattre l’ennemi allemand.

 

Le premier ralliement d’aviateurs regroupe environ 600 volontaires, pour la plupart jeunes élèves pilotes en cours de formation. Le 8 juillet 1940 voit la création officielle des Forces aériennes françaises libres (FAFL) dont le commandement est provisoirement confié au vice-amiral Muselier. Celui-ci propose comme emblème des Forces françaises libres (FFL) la Croix de Lorraine, en souvenir des origines lorraines de son père. Dans un premier temps, les unités volantes françaises sont incorporées au sein de la Royal Air Force (R.A.F.). Par la suite, pour des raisons de propagande, il est décidé de donner des noms de provinces françaises aux groupes des FAFL. Les deux premières unités réellement FAFL à voir officiellement le jour sont le groupe de chasse n° 1 (G.C. I) « Alsace » et le groupe de bombardement n° 1 (G.B. I) « Lorraine », crées les 1er et 2 septembre 1941. Ils seront suivis par le G.C. II « Ile-de-France » et le G.B. II « Bretagne », respectivement créés les 20 octobre 1941 et 1er janvier 1942. Le prochain groupe de chasse sera le G.C. III « Normandie ».

 

Au début de l’année 1942, alors que la situation des Alliés est catastrophique sur tous les fronts, le général de Gaulle manifeste son intention de créer une unité française qui ira combattre aux côtés des Russes, sur le territoire soviétique. Après de longues et laborieuses négociations (dont la cheville ouvrière est le capitaine Albert Mirlesse) avec l’U.R.S.S., le groupe de chasse n° 3 (G.C. III) est officiellement créé à Rayack au Liban, le 1er septembre 1942. Quinze jours après, le G.C. III est baptisé « Normandie ». Le 12 novembre 1942, 61 militaires français, dont 15 pilotes (14 de chasse et 1 de liaison) et 42 mécaniciens, décollent de Rayack pour Bagdad (Irak). Après un long périple, en trains, camions et avions, le « Normandie » rejoint, le 29 novembre 1942, la base d’Ivanovo, ville située à 250 km au nord-est de Moscou. L’extraordinaire aventure de « Normandie » va commencer.

 

Des patriotes venus de tous les horizons

Les hommes qui vont constituer le G.C. III proviennent de tous les horizons : Indochine, Angleterre (principalement), Libye, Afrique du Nord… Il est important de noter qu’ils se sont tous portés volontaires pour le G.C. III. Ils sont unis par le même idéal : continuer la lutte contre l’occupant nazi. Le médecin (Lebiedinsky) et les deux interprètes (Schick et Stakhovitch) sont tous les trois d’origine russe. Les mécaniciens, en grande majorité, viennent des groupes « Alsace » et « Lorraine » où ils ont été recrutés par le commandant Pouliquen, premier commandant de « Normandie ». Concernant les pilotes, 6 viennent du Levant (nom donné à l’ensemble des pays de la côte orientale de la Méditerranée) et sont issus du G.C. I (Castelain, Derville, Littolff, Poznanski, Préziosi, Tulasne), 5 de la R.A.F. (Béguin, Bizien, de La Poype, Mahé, Risso), 3 du G.C. II (Albert, Durand, Lefèvre), et 1 de l’armée de l’Air (de Pange, pilote de liaison).

Ce sont principalement des pilotes expérimentés dont plusieurs ont participé à la campagne de France, à la bataille d’Angleterre, ou aux combats du Levant.

 

Un devoir de mémoire et la marque d’une amitié.

L’histoire de « Normandie-Niémen » est, en tout point, exceptionnelle. Elle est surtout exceptionnelle par l’amitié indéfectible qui a lié les Français aux Russes et qui perdure de nos jours. Mieux que de belles phrases, il suffit de lire ce qu’a écrit le célèbre écrivain et journaliste russe, Ilya Ehrenbourg : « Il ne s’agit évidemment pas d’arithmétique. Que signifiait un groupe de pilotes, même des meilleurs et des plus hardis, dans un combat gigantesque où l’on s’affrontait par millions ? Il s’agit d’amitié, d’élan du cœur, qui sont plus chers aux peuples que tous les discours et les déclarations. Il s’agit du sang versé sur la terre russe. Et la Russie n’oubliera jamais que les Français, pilotes au « Normandie », sont venus chez nous avant Stalingrad ! ».


Pour moi, cela se passe de tout autre commentaire…

En rédigeant ce livre, ma volonté a été de laisser en témoignage, pour les générations futures, une trace tangible du parcours et de la vie de ces héros dont l’épopée a rejoint la Légende. La réalisation de ce livre est aussi pour moi la possibilité d’exorciser ce sentiment de dette morale que j’estime avoir envers ces hommes dont certains n’ont pas hésité devant le sacrifice suprême afin que nous puissions vivre aujourd’hui dans un monde libre.


Yves DONJON
Pour la revue n°96 de l’ASAF

Source : Yves DONJON