ASSEMBLÉE NATIONALE : XIVe législature, Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Posté le lundi 22 septembre 2014
ASSEMBLÉE NATIONALE : XIVe législature, Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu intégral Lundi 15 septembre 2014 

Lutte contre le terrorisme

Discussion générale

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, l’heure est venue de regarder la réalité en face. Rien ne sert d’accuser un gouvernement ou l’autre, ni de se cacher derrière son petit doigt : la situation que nous devons affronter aujourd’hui et que les mesures de votre projet de loi ont pour finalité de combattre est l’illustration directe de notre échec collectif, même si elle est liée à la situation internationale que nous connaissons tous.

Je parle bien d'échec collectif, même si, pour ma part, j'en ai depuis longtemps dénoncé les causes, parfois en vain et au risque de me voir accusé d'extrémisme. La vérité oblige à dire que nous nous sommes bercés d'illusion sur la capacité de la société française à intégrer et assimiler de nouveaux venus dont la culture est, pour certains, aux antipodes d'une société laïque qui prône et fait appliquer l'égalité des sexes et estime que la religion appartient à la sphère privée de chaque individu, dans le respect de la conscience de l'autre.

Nous avons tout d’abord péché par utopie en sous-estimant gravement le prosélytisme des intégristes, qui utilisent tous les moyens, y compris la violence morale et parfois même physique, pour imposer leur diktat religieux. Nombre de nos quartiers sont désormais devenus hermétiques, je pèse mes mots, aux principes et valeurs de la République. Ils vivent en ghetto.

Nous avons péché par naïveté coupable en laissant importer en France le conflit du Proche-Orient. Nous avons péché par faiblesse en laissant les dérives communautaristes prendre pied sur le sol français, parfois même avec le soutien de quelques idiots utiles, qui défendent par exemple le voile intégral pour les femmes au nom de la liberté individuelle. J’ai même entendu, à cette tribune, monsieur le ministre, une collègue de votre majorité dénoncer la loi sur l’interdiction du voile intégral au motif qu’elle porterait atteinte à la « dignité de la femme musulmane » ! Pour ma part, je ne connais pas, dans l’ordre législatif de la République, de femme musulmane, catholique, juive, bouddhiste ou protestante : je ne connais que des citoyennes, et des citoyens !

Les choses sont simples : toute faiblesse, toute naïveté, toute utopie, toute crainte de faire appliquer les lois de la République au motif que cela pourrait entraîner des incidents et que l’on préfère souvent faire le gros dos est un recul de la République et du vouloir vivre ensemble. Céder sur le voile, intégral ou à l’école, ou sur les questions de nourriture, c’est céder sur le désir du vivre ensemble et faire le lit de la montée des communautaristes et des intégristes. Je n’exagère pas en disant cela. Je vous rappelle les propos, publiés dans un grand quotidien du soir, de Khaled Kelkal, tué le 29 septembre 1995 à Vaugneray, membre du Groupe islamique armé, responsable des attentats commis en France en 1995 : quelques semaines auparavant donc, il déclarait à un sociologue allemand : « je ne peux pas vivre dans un pays qui mange du cochon » ! C’est là une exception, me direz-vous. Mais malheureusement, elles se multiplient : Mohamed Merah, Zacarias Moussaoui, Mehdi Nemmouche, sans oublier quelques convertis comme Richard Robert ou Hervé-Djamel Loiseau. Aujourd’hui, vous nous dites vous-même qu’un millier de nos compatriotes sont entrés dans la secte des djihadistes, rejettent la France, ses valeurs, notre désir de vivre ensemble et sont devenus en Syrie des assassins.

La réalité est simple et tragique, comme l’Histoire : nous sommes en guerre, M. Larrivé l’a dit, une guerre transnationale qui se joue de nos frontières – qui, avouez-le, sont devenues de véritables passoires grâce à Schengen. Oui, l’Histoire est tragique et les Français et les Européens vont l’apprendre à nouveau. Elle est d’autant plus tragique que certains aveugles refusent de regarder en face la gravité de la situation. Monsieur le ministre, vous nous proposez à juste titre des mesures qui vont dans le bon sens et que j’approuverai, parmi lesquelles celle de l’entreprise terroriste individuelle. Mais n’ayons guère d’illusion sur l’efficacité de l’interdiction de sortie du territoire : il est si facile de faire de faux papiers, sans même parler des binationaux, qui peuvent utiliser d’autres passeports que le passeport français... Il en va de même de l’interdiction d’accès aux sites de la Toile qui font l’apologie du terrorisme, dont les serveurs sont soit au Canada, soit aux États-Unis – cela n’a pas été suffisamment souligné. Merci à nos chers amis américains, qui tiennent parfois, au nom de la liberté d’expression, un double langage ! En un mot, votre projet de loi va dans le bon sens et je le voterai. Mais il n’est à mes yeux qu’un premier pas. Nous serons malheureusement obligés d’aller plus loin, et plus fermement. La question de la déchéance de la nationalité, même si elle présente aujourd’hui de nombreuses difficultés d’ordre constitutionnel, se posera pour ceux qui veulent détruire le vouloir vivre ensemble. Il faudra y répondre, car c’est une attente de l’opinion publique. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Si une loi répressive est utile, et même nécessaire, nous devons nous interroger sur deux aspects de ces dérives communautaristes qui vont jusqu’au djihadisme criminel.

En premier lieu, nous devons, partout sur le territoire, faire appliquer fermement, très fermement, les lois de la République, comme les lois sur le voile et sur l’école. Mais il y a plus grave : je veux parler, monsieur le ministre, des écoles confessionnelles. Il m’est revenu, et malheureusement j’ai plusieurs exemples, que l’éducation nationale a laissé ouvrir des établissements dont les dirigeants n’ont pas toutes les qualifications requises, et qu’elle ne contrôle pas, tant s’en faut, le contenu de l’enseignement dispensé. Mieux encore : l’une de nos collègues socialistes m’a rapporté qu’une école maternelle sous contrat avait interdit l’accès à ses locaux à un homme, maire d’arrondissement, alors qu’il voulait entrer. Est-ce cela la République, monsieur le ministre ? Ces dérives sont non seulement inadmissibles, mais nourrissent le processus du communautarisme dévastateur et de la ghettoïsation qui ruinent le vouloir vivre ensemble auxquels nous sommes tous attachés. Il faut agir et réagir, vite, sinon la guerre civile nous attend. Mon deuxième point concerne la communauté internationale qui, à juste titre, s’est retrouvée ce matin à Paris, à l’appel du président de la République, et je pense qu’il s’agit d’une bonne initiative diplomatique, et qui prend conscience de la gravité de la situation. Il est clair que nous ne pouvons pas nous placer sous la bannière des croisés, fussent-ils américains. Je le dis sans aucun antiaméricanisme : il est clair qu’aujourd’hui, les Américains n’ont pas tout à fait la cote, au Proche comme au Moyen-Orient, et qu’il ne sert à rien de nous aligner sur eux ! Nous risquerions de passer, aux yeux de l’opinion publique arabe, qui souhaite se débarrasser de ces criminels et de ces assassins, pour des croisés contre des infidèles.

L’islam est divers, et il existe sans doute autant d’interprétations du Coran que de musulmans. Notre action doit viser à aider les pays musulmans à se débarrasser de cette secte : c’est d’abord à eux de faire le travail. À défaut, nous perdrions la bataille de la communication. C’est d’ailleurs ce que souhaitent ces assassins, dont vous savez combien ils utilisent, et à quelles fins odieuses, les sites d’hébergement de vidéos et autres moyens de communication modernes. Il est donc clair, vous en êtes d’accord, que nous ne pouvons pas nous « caler » sur une guerre contre l’islam.

Monsieur le ministre, la France et les Français vont connaître des jours difficiles, c’est indubitable. En ce moment du centenaire de la guerre de 1914-1918, il y aura des vies sacrifiées, malheureusement, mais notre détermination reste entière. Et nous soutiendrons toutes les mesures que vous serez amené à prendre au-delà du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. N’oublions pas qu’à la guerre, et il s’agit d’une guerre, les forces morales l’emportent toujours, à trois contre un, sur les forces matérielles. Eh bien, dites-leur que nous sommes prêts !

Jacques MYARD Député