ISRAËL : Des généraux de Tsahal se mettent le pays à dos.

Posté le mercredi 11 mai 2016
ISRAËL : Des généraux de Tsahal se mettent le pays à dos.

Les généraux israéliens ont du mal à s'y faire. Ils font face à une opinion publique très critique et à un gouvernement qui ne leur fait pas de cadeaux. Ce dimanche, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a ouvert la réunion hebdomadaire de son cabinet en déclarant devant les caméras : « La comparaison faite par le chef d'état-major adjoint, le général Yaïr Golan, au sujet des processus en cours en Allemagne nazie, il y a 80 ans, est scandaleuse, sans fondement. Je la trouve inacceptable. Surtout à la date où elle a été prononcée […]. C'est un officier exceptionnel, mais ses remarques sont erronées et inacceptables. » La ministre de la Culture, Miri Regev, a renchéri en réclamant la démission du général.


Cette tempête a pour origine des phrases prononcées par le général Golan, lors de la journée commémorative de la Shoah, jeudi dernier : « Une chose m'effraie. C'est de relever les processus nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en général et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70, 80 et 90 ans. Et de voir des signes de cela parmi nous en cette année 2016. La Shoah doit inciter à une réflexion fondamentale sur la façon dont on traite ici et maintenant l'étranger, l'orphelin et la veuve. » Et Yaïr Golan de marteler : « Il n'y a rien de plus simple que de haïr l'étranger, rien de plus simple que de susciter les peurs et d'intimider… »

 

La droite nationaliste est immédiatement montée au créneau. Le ministre de la Science, Ofir Akunis, a accusé le général de « porter atteinte à la communication israélienne partout dans le monde. Il doit s'excuser et se rétracter ». Même son de cloche de la part de Naftali Bennett, le ministre de l'Éducation et patron du Foyer Juif, le parti des colons. Netanyahou a immédiatement demandé au ministre de la Défense, Moshe Yaalon, d'exiger de Yaïr Golan une mise au point. Ce qui fut chose faite. « Je n'avais absolument pas l'intention de comparer Tsahal à la Wehrmacht ni Israël à l'Allemagne nazie. » Cela n'a pas empêché l'extrême droite d'attaquer l'état-major sur les réseaux sociaux. Un site francophone a ainsi écrit : « La puanteur de l'extrême gauche atteint les hauts gradés de Tsahal. »

 

Racisme et insubordination des soldats

C'est en février dernier qu'a débuté cette offensive de la droite contre les responsables militaires. Le chef d'état-major, le général Eizenkot, avait alors expliqué à des lycéens : « Nous ne pouvons pas agir selon des slogans du type : Si quelqu'un vient pour vous tuer, tuez-le d'abord. Je ne veux pas qu'un soldat vide un chargeur sur une fille de treize ans qui le menace avec des ciseaux. »

Plusieurs députés et des ministres avaient vivement réagi en qualifiant les paroles d'Eizenkot de véritable « hérésie ». « Un militaire menacé, disaient certains, doit pouvoir tirer sans hésiter sur son agresseur. » Les choses se sont encore durcies avec l'affaire du soldat de Hébron qui, le 24 mars dernier, avait achevé un assaillant palestinien gisant à terre après avoir blessé au couteau un militaire. La décision d'arrêter le soldat et de le traduire en cour martiale avait été condamnée par une très large majorité de l'opinion publique israélienne.

 

Pour le professeur Yagil Levy, spécialiste de sociologie politique, le chef d'état-major et son adjoint ont décidé de réagir face à l'état d'esprit qui infiltre de plus en plus l'armée, et « qui fait que les règles sur l'ouverture du feu ne sont pas observées ; qu'il y a des phénomènes de refus, voire d'insubordination chez certains soldats. On constate des manifestations de racisme sur les réseaux sociaux auxquelles les soldats participent. Enfin, il y a ces critiques contre l'armée qui s'expriment à l'intérieur même de ses rangs. Cela se passe surtout dans les unités qui opèrent en Cisjordanie où elles se frottent aux colons et où l'on observe un nationalisme particulièrement fort. Tout cela inquiète donc le haut commandement. » De l'avis de Yagil Levy, c'est cet état des choses qui a poussé le chef d'état-major adjoint, le général Golan, à s'exprimer, à critiquer non pas l'armée, mais la société elle-même.

 

Le danger de voir Tsahal se transformer en milice

De fait, Or Heller, le spécialiste des affaires militaires de la chaîne israélienne 10, constate que « le fossé se creuse de plus en plus entre le public et le haut commandement de l'armée. Jusqu'ici, Tsahal était l'institution la plus populaire dans le pays. Aujourd'hui, le risque est le suivant : que les soldats obéissent à une autre autorité que celle des chefs militaires… Celle provenant de sites web, de réseaux sociaux ou d'hommes politiques. » Moshé Yaalon, le ministre de la Défense, qui soutient ses généraux vaille que vaille face au gouvernement, considère que, dans ces conditions, il y a un danger : celui de voir Tsahal se transformer en milice…

 

Pour l'heure, au plan politique, la controverse est loin de s'éteindre. Yossi Verter, l'éditorialiste du quotidien de gauche Haaretz, écrit lundi matin : « Lorsqu'un général ne chante pas au rythme de la propagande gouvernementale, il est suspecté d'être une taupe et constitue une cible à éliminer. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou n'hésite pas à se débarrasser de ce qui lui reste de sa stature d'homme d'État pour porter le coup de grâce au chef d'état-major adjoint. »

 

Ce n'est pas tout. Rachel Golan, la mère du général, est intervenue dans le débat, en prenant la défense de son fils. Elle rappelle que son époux, le père de Yaïr, est un juif allemand qui a échappé à la Gestapo. « Alors on ne peut pas l'accuser de porter atteinte à la Shoah, comme l'affirme le Premier ministre. » La vieille dame en colère justifie la totalité des propos de son fils. Une ambiance loin d'être apaisée, à seulement 48 heures de la Journée du souvenir pour les soldats et les civils tombés dans les guerres d'Israël.

 

Danièle KRIEGEL

 

 

Source : Le Point