L’emploi et l’engagement massif de l’armée de Terre sur le territoire national. (dont l’opération Sentinelle) : LIBRE OPINION du Général d’armée Jean-Pierre BOSSER Chef d’état-major de l’armée de Terre

Posté le vendredi 11 août 2017
L’emploi et l’engagement massif de l’armée de Terre  sur le territoire national. (dont l’opération Sentinelle) : LIBRE OPINION du Général d’armée Jean-Pierre BOSSER Chef d’état-major de l’armée de Terre

L’emploi et l’engagement massif de l’armée de Terre
sur le territoire national.
(dont l’opération Sentinelle)

 

Général Jean-Pierre Bosser. (Extrait de l’exposé)

Nos jeunes s’engagent pour l’action et pour voir du pays. Quand on leur dit que leur première mission sera « Sentinelle » à la gare du Nord, cela ne les fait pas rêver. Je ne vais pas raconter des histoires : ils se sont engagés d’abord pour partir au Mali ou sur d’autres théâtres d’opérations extérieures.

Cela dit, l’engagement sur le territoire national n’est pas non plus une nouveauté.
Dans le milieu terrestre, l’armée de terre a depuis longtemps mission de renforcer les moyens de l’État en cas de crise, comme c’est le cas avec la contribution des armées au plan Vigipirate depuis 1995, la mission Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane depuis 2008, ou encore la mission Héphaïstos, mission ancienne déployée d’ailleurs en ce moment pour lutter contre les feux de forêt. La grande différence de Sentinelle, c’est que cette opération déploie d’énormes masses – jusqu’à 10 000 hommes – sur le territoire national. Aujourd’hui, il y en a 7 000 – et 3 000 en réserve.

La question s’est posée de savoir quels seraient désormais le rôle et la place des forces armées sur le territoire national. Cela a fait l’objet de nombreux débats, qui portent sur le bien-fondé, ou non, de déployer des forces armées. Est-ce vraiment leur rôle, par rapport aux forces de sécurité intérieure ? Si oui, pour quoi faire ? Et surtout, comment le faire ?

Depuis 2015, nous sommes passés d’un dispositif statique où nos soldats étaient vraiment employés comme des sentinelles, vers des dispositifs beaucoup plus dynamiques. Pour ma part, j’espère que dans le cadre de la rénovation ou de la suite de l’état d’urgence, nous serons encore amenés à faire évoluer le rôle et la place des forces armées. Mais nous pourrons en reparler.

Face à ces évolutions, je suis vigilant s’agissant de la disponibilité et de la réactivité de nos forces. Je suis également attentif au retour à la préparation opérationnelle. Globalement, les 11 000 hommes supplémentaires permettront de refaire une opération extérieure de grande envergure, s’il le fallait, à l’été 2018, pas avant.

  1. André Chassaigne.(député membre de la Commission)

    Ma dernière question portera sur l’opération Sentinelle et l’état d’urgence, qui mobilise actuellement 7 000 hommes, plus 3 000 hommes en réserve. Or le Livre blanc sur la défense et la loi de programmation militaire n’en prévoyaient que 3 000. C’est beaucoup, si j’ai bien compris – vous l’avez dit à demi-mot.

    Quel chiffre, s’il en est un, serait supportable au regard de vos moyens ? En effet, il ne faut pas oublier que l’opération Sentinelle – à laquelle contribue l’armée de terre – nécessite une formation spécifique, qui prend du temps et de l’argent, qu’elle ampute le budget de l’armée et pèse physiquement et moralement sur les forces disponibles.

Général Jean-Pierre Bosser. (Réponse à la question)

J’en viens à l’opération Sentinelle et à son avenir.
Les 11 000 hommes supplémentaires accordés à l’armée de terre par l’actualisation de la LPM (loi de programmation militaire) en 2015 ont permis de faire face, dans la durée, à un accroissement des sollicitations opérationnelles sur le territoire national, en opérations extérieures et à l’entraînement.

Quel que soit l’avenir de Sentinelle, je pense que nous n’échapperons pas à un déploiement militaire sur le territoire national sur des sites particuliers. Quand je me rends auprès des soldats engagés dans l’opération Sentinelle, j’interroge longuement les gens du quartier, parfois les touristes… et, dans un endroit fréquenté chaque année par 12 millions de visiteurs – Paris a retrouvé son taux de fréquentation d’avant les attentats –, je constate que la présence militaire rassure les gens. Les Français, dans la rue, me disent, très lucides : « Nous savons bien, Mon général, que ce n’est pas l’opération Sentinelle qui nous protégera mais, grâce à elle, nous aurons peut-être une chance de nous en sortir. »

On n’échappera pas, je le pense, à la présence de quelque 3 000 hommes répartis sur des points clefs de Paris comme la Tour Eiffel, le Louvre… Ensuite, il faut 3 000 hommes en réserve pour monter en puissance en cas de coup dur, n’importe où en France. Enfin, je souhaiterais qu’une troisième fraction de 3 000 hommes, aujourd’hui encore déployés, soit consacrée à l’anticipation. J’entends que l’on travaille sur les scénarios de crise – tels que définis par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – comme les prises d’otages de masse, les risques industriels, les risques bactériologiques. Ce n’est pas anxiogène pour les Français qui sont capables de comprendre qu’en nous y préparant, nous nous préparons à assurer leur sécurité.

Pour me résumer sur ce point : 3 000 soldats de l’armée de terre devraient être déployés, 3 000 en réserve et 3 000 autres se consacrer à l’anticipation. Cette dernière implique d’autres formes de présence sur le territoire national. De nombreux élus me demandent en effet « où sont nos soldats ? » Ils s’entraînent dans les camps ; mais un peu de présence militaire serait appréciable dans de nombreux endroits en France. Demandez aux habitants du Larzac s’ils sont mécontents de voir les gars de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère crapahuter, la nuit, sur le terrain. Pas du tout. Tout le monde pensait que les riverains protesteraient, alors qu’ils sont ravis de savoir que des soldats, la nuit, assurent ainsi, d’une manière indirecte, une forme de sécurité territoriale.

 

Général d’armée Jean-Pierre BOSSER
Chef d’état-major de l’armée de Terre
(Extrait de l’audition du 19 juillet devant les députés
de la Commission de la Défense nationale)

Source : Extrait de l’audition du 19 juillet devant les députés de la Commission de la Défense nationale