LIBRE OPINION : Après "Charlie", le budget de l'armée révisé : une mesure importante... mais insuffisante

Posté le mardi 20 janvier 2015
LIBRE OPINION : Après "Charlie", le budget de l'armée révisé :  une mesure importante... mais insuffisante

LE PLUS.

Afin de lutter contre la menace terroriste, François Hollande a affirmé, lors des vœux aux armées, que les réductions d'effectifs seraient moins importantes que prévu. Une annonce salutaire, mais insuffisante pour le Général Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l'IRIS.

Explications.

 Le président de la République, lors des vœux aux armées le 14 janvier 2015, a souligné que "le rythme de réduction des effectifs" des armées, pour les trois prochaines années, devait être "revu et adapté", mais "en tenant compte évidemment des nécessités budgétaires". 

Rappelons qu’il s’agissait de mettre en œuvre un plan social visant à supprimer 34.000 emplois (et donc vraisemblablement autant de chômeurs en plus) de militaires professionnels dans la Défense de 2014 à 2019.

Il y aura donc de 2015 à 2019, des plans de réduction annuels inférieurs à ce qu’il était prévu mais, à l’horizon 2019, tout indique que la cible de réduction du volume des armées à 186.832 militaires sera maintenue. 

La "situation exceptionnelle" actuelle justifierait ce ralentissement ponctuel de la déflation.

Cette prise de conscience de la gravité de la situation et de l’importance des armées pour assurer, ici et ailleurs, la sécurité de la France et de ses citoyens, est salutaire. Mais elle est fragile et insuffisante.

Les Armées ont besoin de combattants et de matériel 

Cette prise de conscience est fragile parce que ce réajustement se fera à budget constant. Il y aura donc une réduction des dépenses d’équipement et donc des commandes, pour le financer.

Les Armées ne pourront pas remplacer le matériel à bout de souffle dont elles ont un impératif besoin sur les théâtres d’opération tels que la Centrafrique, l'arc subsaharien (Tchad, Mali, Niger), l'Irak, le Liban, l'océan Indien (lutte contre la piraterie), les Caraïbes (lutte contre les trafics) ou encore la Méditerranée (protection des espaces aériens et maritimes nationaux, mais aussi désormais des espaces terrestres). Là aussi il faut du matériel, car le GIGN et le RAID sont transportés par des hélicoptères des armées [1].

Ce décalage des commandes entraînera la nécessité de payer des pénalités. Toutes ces opérations sont des obligations politiques pour assurer la sécurité de la France, sans compter les opérations à venir (Libye, Syrie). Les armées ont besoin de combattants et de matériel, non de combattants ou de matériel.

Une prise de conscience insuffisante

Cette prise de conscience est fragile parce que, sur le montant de 31,4 milliards d’euros par an prévu comme budgets annuels pour la Défense au cours des trois prochaines années, presque deux milliards sont à trouver chaque année à travers des recettes exceptionnelles non garanties, loin s’en faut (vente des fréquences de la bande 700 Mhz évaluée à quatre milliard d'euros, cessions immobilières et autres dispersions de patrimoine).

La cour des Comptes, elle-même, avait estimé en 2014, que ces recettes exceptionnelles n’étaient pas garanties à compter de 2015.

Elle est fragile parce que le poids de opérations extérieures, qui pourraient dépasser encore le milliard d’euros en 2015 pèsera aussi sur le budget de la Défense.

Elle est fragile parce qu’enfin, il y a toujours, de l’intention à la réalisation, un long chemin à parcourir.

Mais elle est avant tout insuffisante. Car si une situation est exceptionnelle, surtout dans le domaine de la Défense, c’est parce que l’on ne s’y est pas préparé.

Une poignée d’hommes et une pincée d’euros

Deux chiffres montrent la place infime qu’occupe la défense dans les préoccupations politiques : 

- Les militaires ne représentent environ que 4% de la totalité des effectifs de la fonction publique qui, rappelons-le, comprend la fonction publique d’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux

- Les dépenses de Défense ne représentent que 3,2% de la dépense publique totale

Une poignée d’hommes et une pincée d’euros donc pour assurer notre défense face à ces menaces qui font siffler les balles, hier sur des théâtres lointains souvent inconnus de nombreux Français, et aujourd’hui sous leurs fenêtres. Ce n’est pas suffisant.

La France doit réexaminer sa politique vis-à-vis de la Défense

En stratégie, il est indispensable de revoir ses plans au lendemain d’une défaite, mais cette révision doit s’inscrire dans la durée. La France doit réexaminer sa politique vis-à-vis de ses fonctions régaliennes dont la Défense est la première d’entre elles.

Il s’agit de respecter le pacte démocratique que la République a établi entre l’État et les citoyens : le premier s’engageant à défendre les seconds, car dans une démocratie, c’est l’État qui doit avoir le monopole de l’usage de la force.

Dans cette perspective du pacte démocratique, sans préjuger de la pertinence économique d’un modèle que certains mettent en doute, quel sens donner aux "sociétés de projets" à qui l’État demanderait d’acquérir des armements (voire lui vendrait les armements qu’il détient) pour ensuite les lui louer ?

Jean-ClaudeALLARD

[1]Des hélicoptères de manœuvre PUMA, mis en service en 1962.

Source : l'Observateur