LIBRE OPINION : Commentaires sur l’interview d’Hervé Morin dans le Journal du Dimanche

Posté le lundi 14 juillet 2014
LIBRE OPINION : Commentaires sur l’interview d’Hervé Morin dans le Journal du Dimanche

J’ai lu l’interview d’Hervé Morin parue ce jour dans le JDD et je dois dire que je suis assez perplexe devant les affirmations de quelqu’un qui, il n’y a pas bien longtemps présidait aux destinées du Ministère de la Défense.

J’avais été amené il y a deux ans à répondre à l’une de ses interventions dans le Nouvel Observateur, dans laquelle après avoir fustigé le gouvernement sur les réductions de crédits budgétaires de la Défense il s’en prenait à notre force de Dissuasion et en particulier à sa composante pilotée.

Aujourd’hui, je ne peux que reprendre les grandes lignes de ce que j’écrivais alors.

Un Livre Blanc a été publié, il détermine les grandes orientations de notre politique de Défense, en retenant pour les Armées trois grandes missions : la Protection du Territoire, la Dissuasion, les Interventions Extérieures. Une loi de programmation a été votée et, sans faire de procès d’intention, le gouvernement affirme ce matin même par la voix de Jean-Yves Le Drian sur Europe 1, avec confirmation ce soir du Président de la République lui-même lors de la réception des Armées au Ministère de la Défense, que les annuités budgétaires seront respectées. On ne peut qu’en accepter l’augure, car la situation des Armées est difficile et toute nouvelle réduction de crédits aurait de graves conséquences.

Que les mois et les années à venir soient compliquées sur le plan budgétaire est une évidence en cette période de crise mondiale, et la Défense est sur de nombreux théâtres mise à contribution, mais de là à remettre en cause les grandes orientations déjà arrêtées, il y a un grand pas qu’il convient, me semble-t-il d’éviter de franchir.

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S’agissant de la dissuasion, monsieur Hervé Morin préconise d’abandonner la composante aéroportée et de « se contenter de celle mise en œuvre par l’OTAN ». Je vois dans une telle affirmation deux péchés majeurs : l’un contre la doctrine même de la dissuasion, l’autre contre  l’efficacité du dispositif dissuasif.

Hervé Morin prend pour exemple les britanniques qui ne disposent que d’une composante sous-marine : il faut savoir que nos amis d’outre-manche sont totalement dépendants des USA et qu’ils n’auraient aucune marge de manœuvre en cas de crise.

L’arme nucléaire est une arme nationale, et c’est ce qui a été déterminant lorsqu’en 1966 le général de Gaulle a décidé de quitter l’organisation militaire de l’OTAN. Les armes nucléaires de l’OTAN sont soumises pour leur emploi éventuel à l’accord des USA ce qui serait pour nous, bien que nous ayons réintégré l’organisation militaire, une perte totale d’indépendance dans la mise en œuvre d’une telle composante. La dissuasion nucléaire ne peut que rester sous un contrôle national strict puisque son emploi éventuel mettrait en jeu l’existence même de la Nation.

Par ailleurs la France est le seul pays d’Europe à avoir développé et mis en œuvre une dissuasion nucléaire indépendante, et si on se place dans la perspective de la mise sur pied un jour d’une Europe fédérale - que j’appelle de mes vœux- notre FNS pourrait être le noyau d’une dissuasion nucléaire européenne, car on ne peut pas imaginer qu’une grande entité, comme le serait cette future Europe, puisse exister sans posséder une Défense indépendante dotée d’une force de dissuasion nucléaire.

S’agissant maintenant de la composante aéroportée son efficacité dissuasive est indiscutable : les gros systèmes centraux, comme la composante sous marine, sont indispensables et doivent être  maintenus au niveau suffisant ; mais ces systèmes indétectables aujourd’hui ne sont pas à l’abri d’une percée technologique qui les rendrait plus vulnérables ; par ailleurs ce sont des systèmes qui fonctionnent en « tout ou rien » et dans la montée d’une crise, il n’y a aucune « marche » avant le déclenchement irréversible de l’apocalypse. Le rôle de la composante aéroportée est justement d’apporter une souplesse supplémentaire dans le dialogue dissuasif ; cette composante permet en effet de montrer la détermination du pays par une « gesticulation » visible : mise en alerte des moyens, déploiement, décollage des appareils, leur rappel éventuel… Par ailleurs elle offre un mode de pénétration différent qui contraint l’ennemi éventuel à posséder les dispositifs de défense adaptés.

De plus, il y a des pays qui ne seraient en aucune manière dissuadés pas des gros systèmes centraux car un doute sur leur emploi éventuel persisterait dans leur esprit, mais qui le seraient certainement par la possibilité visible de frappes ciblées.

Enfin, pour ce qui concerne cette composante, les développements techniques sont terminés, et les avions par leur polyvalence peuvent être affectés à d’autres missions ; aussi sa suppression éventuelle ne rapporterait-elle pas grand-chose en matière budgétaire.

Aussi aujourd’hui, convient-il de rester dans la logique du Livre Blanc et dans le cadre de la LPM. Peut-être faudra-t-il un jour apporter quelques ajustements au programme nucléaire qui pourraient affecter le nombre de sous-marins par exemple, mais en aucun cas il ne faudra toucher à notre édifice dissuasif qui est proche de l’étiage et qui n’aurait plus aucun sens si nous suivions ceux qui veulent y porter atteinte. On entend aussi, ici ou là, des voix qui prônent la suppression pure et simple de notre Force Nucléaire Stratégique : une telle éventualité porterait gravement atteinte au statut de notre Nation, à son indépendance et n’apporterait de plus aucune amélioration dans l’équipement de nos forces conventionnelles.

Enfin, je voudrais avoir une pensée pour tous les personnels de la Défense qui servent avec courage, détermination et un grand professionnalisme, souvent dans des conditions très difficiles ; ils sont bien éloignés des grandes discussions éthérées, non dépourvues, bien souvent, d’arrières pensées politiques, des cénacles parisiens, ils ne demandent, me semble-t-il, que des moyens convenables pour exécuter leur mission et une certaine reconnaissance.

Source : Vincent LANATA Ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air le 13 juillet 2014