LIBRE OPINION d' Alain BARLUET : Le général PUGA sort de son silence.

Posté le jeudi 29 septembre 2016
LIBRE OPINION d' Alain BARLUET : Le général PUGA sort de son silence.

L’ex-chef d’état-major particulier de Sarkozy puis de Hollande revient sur sa relation avec les deux présidents.

 « On n’a pas le droit de mentir. Le politique sait accepter la vérité » : c’est peu dire que le témoignage du général Benoît Puga était attendu. Chef de l’état-major particulier (CEMP) de Nicolas Sarkozy, à partir de mars 2010 puis de François Hollande - qui l’a prolongé à deux reprises à son poste -, jusqu’en juillet dernier, ce légionnaire de 63 ans bardé de décorations s’était astreint à un silence médiatique total durant ces années à l’Élysée. Lors d’un dîner organisé mardi par l’Institut français de relations internationales (Ifri), celui qui est, depuis le 1er septembre, grand chancelier de la Légion d’honneur, est revenu sur sa vie militaire - 43 ans sous l’uniforme- et levé un coin de voile sur sa relation de confiance avec deux présidents de la République, fort dissemblables.

« En arrivant, Nicolas Sarkozy connaissait l’Intérieur mais pas les armées. En même temps, dire qu’un président est novice est à la fois vrai et faux : à ce niveau, on a forcément une compréhension globale », souligne le général Puga. « Hollande, lui, a fait son service militaire comme chef de section d’un régiment de génie, alors qu’il aurait pu y échapper. Il sait ce qu’est le service national, d’où son intérêt notamment pour le service civique », ajoute-t-il. Vis-à-vis du président de la République, le général d’armée, invoque un « devoir de vérité » de la part des chefs militaires. « Il faut lui expliquer les limites et les conséquences de telle ou telle décision. Et avoir le courage de lui dire : avec les moyens dont on dispose, voici les objectifs que l’on peut atteindre. » Il insiste sur l’« équilibre » - le mot revient souvent dans sa bouche - qu’il est nécessaire, selon lui, de faire valoir au « PR » : équilibre entre « ce que l’on veut et ce que l’on peut », entre l’expérience et la formation, entre « le nec plus ultra des équipements » et ceux qui sont plus adaptés aux besoins des armées…

Cette franchise est au cœur de la relation entre le chef de l’État et son plus proche collaborateur militaire. De cette façon, « d’emblée, le président a accroché », relève-t-il, sans distinguer l’un ou l’autre de ceux qu’il a servis. « Le président de la République n’est pas dupe. Le combat n’est pas une science exacte. Parfois, il a fallu lui dire : on a foiré… » Le général Puga insiste sur la qualité des armées françaises. « Après 43 ans, je peux dire en me regardant dans la glace qu’elles sont crédibles et efficaces, sans doute les mieux formées au monde », estime l’ancien patron du 2e régiment étranger parachutiste (REP), avec lequel il a « sauté sur Kolwezi », en 1978. « J’ai eu la chance d’occuper les postes les plus intéressants du métier militaire, parce que liés à l’opérationnel », glisse-t-il.

Autonomie d’appréciation 

En mai 2012, huit jours après son investiture, François Hollande s’envole pour Washington et le sommet de l’Otan à Chicago. Le général Puga a préparé les dossiers. « Tout de suite, le président Hollande à vu dans les yeux d’Obama l’image de crédibilité dont bénéficient les armées françaises », se remémore-t-il. « Les Américains, avec qui j’ai conduit des opérations pendant près de quarante ans, savent que nous sommes un allié fiable, à la mesure de notre taille et de nos moyens. » Un « allié fiable », mais doté aussi d’une autonomie d’appréciation. En 2003, il est alors chef du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), en pleine crise irakienne. Il raconte : « Les Américains nous disaient : à tel endroit, il y a des armes de destruction massives. Nous répondions : nous avons pu vérifier, il n’y a rien. » La France aurait eu la capacité militaire de s’engager en Irak. « Mais si nous étions intervenus, estime-t-il, nous serions aujourd’hui “séchés”, comme l’est l’armée britannique, qui en aura encore pour trois ou quatre ans à s’en remettre ». Et pendant ce temps-là, en Afrique, « c’est nous qui évacuions les ressortissants des pays de l’Otan », rappelle-t-il.

Parce qu’il « faisait confiance », Nicolas Sarkozy « n’entrait pas dans les détails ». Lors de la crise en Côte d’Ivoire, en 2010, le général travaille « main dans la main » avec Jean-David Lévitte, le conseiller diplomatique de l’Élysée. « C’était un régal, confirme Lévitte, également présent à ce dîner. Nous avions la liberté de tricoter tous les scénarios, que nous soumettions ensuite au président. »

Le syndrome de Srebrenica - la crainte de voir l’inaction déboucher sur un massacre - a pu jouer lors des interventions en Libye, (où « la post-crise a été ratée », admet-il), au Mali ou encore en Centrafrique. En 2013, au Nord-Mali, lors de l’opération « Serval », les militaires français traquent les djihadistes dans l’Adrar des Ifoghas, vaste comme la Bretagne. « J’ai dit au président : nous allons tout fouiller à pied, et on l’a fait, relate-t-il. C’est la volonté humaine qui permet de l’emporter, comme Napoléon durant la campagne d’Italie… »

 

 

Alain BARLUET 

Source : Le Figaro