LIBRE OPINION du général (2s) Bernard MESSANA : Le jour du dépassement.

Posté le samedi 19 août 2017
LIBRE OPINION du général (2s)  Bernard MESSANA : Le jour du dépassement.

          Le jour du dépassement est ce jour fatidique où les experts nous annoncent que la planète a consommé en totalité ce qu’elle produit annuellement. Une planète raisonnable s’efforcerait sans doute de faire en sorte que ce jour soit le 31 Décembre. Une planète fourmi n’hésiterait sûrement pas à aller au delà, et à le repousser jusqu’à l’année suivante. Une planète cigale, elle, n’a aucun scrupule à ripailler gaillardement et à vivre à crédit, en espérant pouvoir le faire longtemps.

          C’est ce qui vient de nous arriver en cette année 2017, où le jour du dépassement s’est situé quelque part au début du mois d’Août. Les médias ont annoncé l’événement, mais sans s’y appesantir, le « vivre à crédit » étant désormais chose banale dans notre société. Et le pouvoir politique régnant se montra ravi de ce constat qui lui permettait de fustiger avec éclat la légèreté des responsables passés imprévoyants, et de justifier ainsi, avec la rigueur voulue, les coupes claires qu’il était contraint d’opérer dans les budgets en cours.

          Mais les « gens », vous, moi, petit peuple « de rien », ont ressenti comme un malaise. Une sorte d’angoisse sans raison, un sentiment de catastrophe inéluctable. Peut-être dû au terme employé, « jour du dépassement », qui sonne comme une sorte d’apocalypse, annonçant l’entrée dans un inconnu que l’on pressent redoutable. Et ces « gens » ont alors réalisé qu’avant le « jour » du dépassement s’étaient aussi produits, sans que leur gravité ne les interpellent, des « moments » de dépassement, préludes annonciateurs du « Jour ».

 

 

Mais ce n’est pas la surconsommation des ressources de la planète et ses conséquences possibles qui ont angoissé le peuple. Lui, petit consommateur, sait qu’à cela il ne peut rien, ou pas grand chose. Il sait aussi que depuis son apparition, dite parfois Création, notre monde s’use et se transforme, et qu’il aura une fin inéluctable. Lecteur dévot de la Bible ou du Coran, ou simplement paisible incroyant, il s’y apprête ou s’y résigne. Ce qui le préoccupe davantage, c’est son quotidien, et ces « moments de dépassement », c’est dans les domaines sociaux, politiques, et sécuritaires qu’il les vit et qu’il s’en alarme.

 

Le domaine social est accablant, et le quinquennat de M. Hollande, baptisé « quinquennat pour rien », y a largement contribué. Pour réaliser l’ampleur du dépassement, ne suffit-il pas de constater que notre dette publique est désormais égale à notre PIB ! N’est-ce pas là un grand « moment » ! Autre grand moment, celui de découvrir que M. Hollande qui avait trouvé un taux de chômage à 9,2% au début de son mandat, nous le laisse au même niveau, après l’avoir poussé vers des sommets ! Bel exemple de « service inutile ».

 

Dans le domaine politique, les « moments » ont été inattendus. Qui aurait prédit qu’un candidat à la présidentielle, M. Fillon, parangon de compétence et de vertu, planant très haut au dessus d’une mêlée de candidats usés ou médiocres, serait en quelques jours éliminé, pour des raisons tout à la fois dérisoires et lamentables ? Qui aurait pu réaliser que cette Droite et cette Gauche qui cadençaient la Vème République depuis des décennies allaient pour la première imploser, pour la seconde s’émietter, pour les deux s’effacer ? Qui aurait pu annoncer qu’un jeune candidat novice en politique, mais excellent acteur, et dit-on soutenu par ce monde trouble où s’accouplent financiers et plumes influentes, allait triompher ? Et que son triomphe reposerait avant tout sur un pourcentage effarant de désertion des urnes, -plus de 60%-, rassemblant abstentions, votes blancs, votes nuls ! Vers quel « Jour » inquiétant ces « moments » conduits par une majorité minoritaire à la légitimité artificielle nous mènent-ils ? Quel en sera l’aboutissement, le « jour du dépassement politique » ? Un tribun de la France insoumise vous dirait sans doute : celui de la lutte finale ! Allez vous le croire ?

 

Dans le domaine sécuritaire, alors que les citoyens s’apprêtaient à « aller voir et féliciter l’Armée française » défilant le 14 juillet sur les Champs Elysées, deux « moments » effarants ont dépassé les bornes du raisonnable, et conduit à douter de la cohérence des décideurs. Voilà que ce Président de la République qui affirmait vouloir porter l’effort financier dévolu à notre Défense à 2% du PIB à l’horizon 2025 initiait cet effort en supprimant 850 millions du budget 2017 ! Etrange posture que de faire, en même temps, deux actions parfaitement contradictoires ! Alors même que les soldats avaient pourtant eu l’élégance d’accorder crédit à un Président élu jusqu’en 2022, sans garantie de maintien, mais tenant des promesses à l’horizon 2025 ! Le deuxième moment a été celui de la démission du Chef d’Etat Major des Armées, coupable d’avoir dénoncé, comme c’était son droit et son devoir, le sort fait aux Armées, et la « situation intenable » dans laquelle elles étaient désormais placées. Le plus haut responsable de la hiérarchie militaire était ainsi conduit à s’effacer pour avoir rempli sa mission, et en même temps, et pour cela, humilié par le Président, et même moqué par l’arrogant porte parole d’un gouvernement muet. Là par contre, nul besoin d’un tribun de la France insoumise pour annoncer que le « jour du dépassement » est proche, et qu’il sera celui de l’échec. L’échec, dans le domaine sécuritaire, nous le savons par expérience, c’est du sang, des larmes, et des cercueils.

 

Si le Président prend ce risque, n’en doutons pas, c’est en pleine connaissance de cause. Il distingue résolument l’important de l’urgent. L’important, il le sait, reste la Sécurité. La menace est forte, certes, mais nul ne sait quand elle frappera. Alors on parie sur elle, en tentant de gagner du temps… N’est-il pas sidérant d’entendre annoncer la suppression de l’état d’urgence à l’automne, comme si la menace dépendait du climat ? L’urgence par contre est palpable, mesurable. C’est de respecter notre engagement européen de limiter à 3% du PIB notre déficit en 2017. Alors le Président impose les mesures qui conviennent. L’Europe reste son objectif majeur. Et la Sécurité attendra. C’est le moment du pari, les jeux sont faits…

         

 

Mais les « dés d’acier » sont depuis longtemps jetés.

 

 Ils roulent dans la bande sahélo-saharienne (BSS) où notre dispositif, Barkhane, parfaitement pensé, mais très insuffisamment réalisé, s’enlise irrémédiablement. La menace grandit au Mali, elle infecte les Etats voisins. Et ceux-ci ne se hâtent pas de mettre sur pied les bataillons du G5, conscients que leur engagement pourrait justifier un retrait français dont ils ne veulent à aucun prix. L’exemple de la RCA, à cet égard, est éloquent. Alors, dans la BSS, l’ennemi djihadiste, jour après jour, se renforce, se rassemble, s’organise, guette ses proies,  frappe, et s’y apprête. On a connu ailleurs ce genre de dégradation qui conduit à des combats perdus, Salal, Ati, Bedo, Uzbeen… A des cercueils, des discours, et des décorations dans la cour des Invalides.

 

Ils roulent aussi, ces dés, sur le sol national où notre dispositif Sentinelle, très vite déclenché sans « idée de manœuvre » n’en est toujours pas doté deux ans plus tard. Ce ne sont pas les débats oiseux sur le choix entre concept statique ou mobile qui peuvent en tenir lieu, il faut les deux. Quant à la pertinence de Sentinelle, elle est aveuglante : peut-on imaginer une France dite « en guerre » sur son propre sol sans emploi de ses Armées ! Le tout est de les engager comme il se doit, comme elles savent le faire, selon des tactiques appropriées et connues, et les moyens afférents. Nul doute que dans les rangs de nos colonels d’aujourd’hui figurent les nouveaux Trinquier, Lacheroy ou Galula dont nous avons besoin, et à qui il faut donner la parole. Et l’écouter. Sinon, à l’automne peut-être, il y aura encore quelque part du sang et des larmes…Avec des fleurs, des bougies, des peluches…

 

Les dés vont s’arrêter de tourner, et parler. Le « jour du dépassement » qu’ils annonceront sera peut-être celui de la fin du politique. Droite et Gauche sont tombées, le « Ni-Ni » artificiel qui leur succède a-t-il la moindre chance de montrer un chemin crédible ? La très grande majorité des « gens », le peuple, en doute. Alors ne resteront que les « extrêmes »…

 

Comme en Mai 1958, un peuple en colère et divisé sera dans nos rues. Mais  il n’y a plus personne à Colombey-les- Deux-Eglises.

                                                                                                
 Bernard MESSANA  18/08/2017      

 

Source : www.asafrance.fr