LIBRE OPINION d'Hélène NOUAILLE : Franc-parler et inquiétudes sur le front des migrants.

Posté le jeudi 26 mai 2016
LIBRE OPINION d'Hélène NOUAILLE : Franc-parler et inquiétudes sur le front des migrants.

« Si l’Europe ne peut pas agir de concert pour persuader une majorité de ses citoyens qu’elle peut parvenir à contrôler sa crise des migrants, alors l’Union européenne sera à la merci d’un soulèvement populiste, qui couve déjà ». L’avertissement ne vient pas d’un quelconque tabloïd britannique, mais de Sir Richard Dearlove, qui a consacré 38 ans de sa vie au service de renseignement extérieur du Royaume-Uni (MI6) dont il a été le patron de 1999 à 2004. Il s’exprimait le 16 mai dernier à la BBC, soulignant que l’impact du flot d’arrivants (un million six cent mille en 2015) menaçait de « bouleverser le paysage politique en Europe », alors que « dans le monde réel, il n’y a pas de solution miracle à la James Bond » pour endiguer ce flot. « L’histoire nous dit que les marées humaines sont irrésistibles, jusqu’à ce que la poussée gravitationnelle qui les a provoquées ne disparaisse ». Or, ajoute-t-il, s’il « ne faut pas confondre le problème de la migration avec la menace terroriste, l’ampleur du mouvement d’immigration, en particulier depuis le Moyen-Orient, couplé avec la liberté de circulation à l’intérieur de l’UE, rend le contrôle des frontières difficile. Les terroristes peuvent exploiter ces circonstances – et le font, comme nous l’avons vu récemment avec leurs déplacements entre Bruxelles et Paris, et vers ou depuis la Syrie. Quand autant de personnes se déplacent, quelques-unes d’entre elles seront inévitablement porteuses du virus terroriste. Un certain nombre des terroristes les plus dangereux sont à l’intérieur de l’Europe, y compris au Royaume-Uni. Ils sont déjà parmi nous ». 

 

Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, ne disait pas autre chose le 1er février dernier, en évoquant les djihadistes de l’Etat islamique installés en Libye – en se disant « très inquiet » : ils « sont là, sur près de 300 kilomètres linéaires de côtes, ils se répandent. Et ils sont à 350 kilomètres de Lampedusa. Lorsque le beau temps va arriver en Méditerranée, il y a des risques de passage de combattants qui pourraient se mélanger à des réfugiés. C’est un risque majeur ». D’autant que, selon ses propres chiffres, 800 000 migrants attendraient de pouvoir passer en Europe – sans compter ce qui pourrait advenir si l’UE offre vraiment un accès libre aux Turcs. Et d’un côté et de l’autre de la Manche, les rapports se sont succédés. 

 

A Londres, c’est la Chambre des Lords qui publiait le 13 mai dernier un constat très pessimiste sur l’opération EUNAVFOR Med, dite Sophia, chargée de lutter contre le trafic maritime des clandestins en Méditerranée et mise en place après la noyade le 18 avril 2015 de 700 migrants. Lord Tugendhat, le président de la commission chargée du rapport, s’est très clairement exprimé (voir la vidéo) : non seulement l’opération n’a pas réussi à interrompre le flot d’immigrants, mais « une mission navale ne peut pas mettre en échec le modèle économique du trafic d’êtres humains, et dans ce sens, elle a échoué. Les réseaux de trafic opèrent depuis la Libye, et ils se prolongent en Afrique. Sans le soutien d’un gouvernement libyen stable, l’opération est incapable de recueillir les renseignements nécessaires pour s’attaquer aux trafiquants sur la terre ferme. Alors qu’il est prévu que, dans des phases ultérieures, l’opération Sophia puisse agir dans les eaux territoriales libyennes comme sur terre, nous ne pensons pas que le nouveau gouvernement libyen de coalition sera en position de travailler étroitement avec l’UE et ses Etats membres dans un proche horizon. Sur le point de la mise en échec des trafiquants, le rapport établit que la destruction de leurs navires a été jusqu’ici insignifiante en regard de l’échelle de leur industrie, et nous avons vu qu’ils changent simplement leur réponse tactique. Lorsqu’ils sont en haute mer, les trafiquants ne sont plus à bord, et seuls des seconds couteaux ont été arrêtés ». Neuf mille personnes ont été sauvées de la noyade en mars, un bilan très positif qui n’est pas le cœur de la mission de Sophia et dont il faut bien reconnaître qu’il joue paradoxalement comme un « accélérateur migratoire ».

 

A l’appui des Parlementaires britanniques, les deux organisations policières européennes, Europol et Interpol viennent, elles aussi, de publier le 17 mai un rapport qui confirme en tous points le pessimisme de la Chambre des Lords : 90% des migrants ont fait appel à des trafiquants très bien organisés en cellules indépendantes dédiées à des tâches différentes, proches des milieux criminels traditionnels locaux et internationaux (ils proviennent d’une centaine de pays identifiés), et qui s’avèrent résilients, adaptables, opportunistes, pouvant exploiter sexuellement ou par le travail forcé les migrants les plus démunis pour rembourser leur passage. Cet aspect est développé dans un rapport publié par la Commission européenne le 19 mai qui précise que le vol d’organes, la mendicité forcée, le trafic d’enfants a concerné, depuis 2014, plusieurs milliers d’enfants – 60% des enfants voyageant seuls auraient disparu. Europol avait noté dans un rapport précédent qu’au moins 10 000 enfants seraient manquants. Le chiffre d’affaires généré serait de plus de 6 milliards de dollars.

 

L’infiltration djihadiste.

A ce tableau très sombre, il faut ajouter que l’infiltration de djihadistes parmi les migrants est une « préoccupation croissante » pour Interpol et Europol. « Il y a seulement encore quelques mois, l’hypothèse que des djihadistes puissent se mêler aux migrants pour venir en Europe semblait, aux yeux de certains observateurs, peu probable. Pourquoi, en effet, prendraient-ils le risque d’emprunter une route dangereuse pour arriver sur le Vieux Continent pour y commettre des attentats ? » rappelle Laurent Lagneau pour OPEX360. « L’ex-juge anti terroriste Marc Trévidic (mais il n’était pas le seul) avait ainsi expliqué qu’une organisation comme l’État islamique (EI ou Daech) n’avait pas « besoin techniquement » d’envoyer des « combattants » mélangés avec les migrants étant donné qu’elles disposaient d’éléments recrutés en Europe ». Or le rapport vient confirmer les craintes exprimées par d’autres dès juillet 2015, par exemple par « Michele Coninsx, responsable de l’agence européenne de coopération judiciaire Eurojust, (qui) avait indiqué disposer d’informations sur des cas de djihadistes s’étant fait passer pour des réfugiés. ‘C’est une situation alarmante parce que nous voyons bien évidemment que des passeurs financent parfois le terrorisme et qu’il arrive qu’ils soient utilisés pour assurer des exfiltrations et des infiltrations de membres de l’État islamique’ ».

Jean-Yves Le Drian a donc quelques solides raisons d’être inquiet.

 

La France est le pays le plus menacé.

D’autant qu’à l’assemblée nationale et au Sénat, les auditions des patrons des services de renseignement français, pour l’intérieur Patrick Calvar (DGSI, direction générale des services intérieurs) pour l’extérieur Bernard Bajolet (DGSE)  n’ont pas été très rassurantes. Patrick Calvar, auditionné également le 10 mai à l’Assemblée nationale, l’a déclaré sans ambages : « La France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé ». Et de décliner différentes menaces, liées à l’Etat islamique, d’abord : « Nous savons que Daech planifie de nouvelles attaques – en utilisant des combattants sur zone, en empruntant les mêmes routes qui facilitent l’accès à notre territoire – et que la France est clairement visée (…). Si les attentats de novembre dernier ont été perpétrés par des kamikazes et par des gens armés de kalachnikov ayant pour but de faire le maximum de victimes, nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant multiplié pour créer un climat de panique ». Pas plus de précisions (l’Euro de football ? Le Tour de France ? Les plages cet été ?) mais quelques chiffres : « Les chiffres que je vais vous donner sont les nôtres et ne reflètent pas nécessairement la réalité – parce qu’il y a toujours un chiffre noir que nous ne connaissons pas. Pas moins de 645 ressortissants français ou résidents en France sont présents dans la zone syro-irakienne. Parmi eux, nous comptons 245 femmes, qui ne participent pas aux combats, et 20 mineurs qui, au contraire, s’y livrent. Ils sont donc moins de 400 à participer à des opérations militaires. Par ailleurs, 201 individus sont en transit, soit à destination de la Syrie, soit de retour de Syrie pour la France (…). Deux cent quarante-quatre personnes sont revenues de la zone syro-irakienne en France. Enfin, 818 personnes manifestent l’intention de se rendre sur place ». 

Et après avoir rappelé, parmi d’autres informations (son audition est courte, il faut la lire en note 9) qu’une autre organisation, Al Qaïda avait « besoin de redorer son blason », même, depuis l’Afrique, en exportant la violence en France (« Cette organisation a pratiquement disparu de la scène islamiste et voudra, à un moment ou à un autre, tenter une action d’envergure à même de lui redonner une importance telle qu’elle puisse recruter à nouveau »), Patrick Calvar souligne qu’il existe des formes de menaces moins connues du public : « Outre les organisations, nous avons une autre source d’inquiétude : des appels sont lancés depuis la Syrie par des gens à certains de leurs amis qui se trouvent sur notre territoire afin qu’ils y commettent des actions. Nombre des réseaux que nous avons démantelés appartiennent à cette catégorie-là. Nous sommes également confrontés à la présence d’islamistes, sur notre territoire, et qui ne sont liés à aucune organisation » - pour ne rien dire de « tous ceux qui relèvent de la psychiatrie, des instables psychologiques »… Conclusion ? « Pour finir, la question relative à la menace n’est pas de savoir « si », mais « quand » et « où ». Quant à la « radicalisation rampante », qu’il craint « cent fois plus que le terrorisme », il pense qu’elle « va bouleverser les équilibres profonds de la société ». 

 

Relevons, à ce point, qu’en commun avec Sir Richard Dearlove, Patrick Calvar souligne que la coopération existe avec les services étrangers (« grands services », dont les Américains, mais aussi les Russes (FSB) puisque « quelque 7 à 8 % des individus concernés par les filières syro-irakiennes sont des Tchétchènes »), même s’il y a toujours des ratés au niveau des services communs européens. Une coopération entre pays qui « se poursuivrait si le Royaume Uni quittait l’UE ». Où les deux hommes voient-ils alors une autre menace ? 

 

« L’impact géopolitique » causé par l’arrivée en masse de migrants, dit Richard Dearlove cité par le Guardian, peut avoir des conséquences sociales et politiques graves : cet impact « commence à remodeler le paysage politique européen quand les citoyens pensent, rationnellement ou non, que leurs intérêts et leur identité culturelle sont menacés (…). Ceci s’est déjà produit en Autriche avec la résurgence du défunt Parti de la Liberté. D’autres partis populistes de droite extrême suivront ». Comme en réponse, Patrick Calvar précise : « Cela d’autant que l’Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. Vous rappeliez que je tenais toujours un langage direct ; eh bien, cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires ». Pour l’heure, nous voyons surtout en France des troubles causés par des groupuscules d’ultra-gauche, mais peu importe : oui, partout, l’arrivée massive, non contrôlée dans l’esprit des citoyens, de vagues de migrants conjuguées avec des menaces d’attentats, a déjà, et aura, un impact sur les sociétés des pays membres et sur l’architecture globale de l’Union européenne. 

 

D’autant, ajoute Richard Dearlove, que le sujet pèse déjà sur le choix que feront le 23 juin prochain les Britanniques de rester dans l’Union ou de la quitter. Concluons avec lui : « Les enjeux sont très élevés, et le référendum britannique est le premier lancer de dés dans un jeu géopolitique autrement plus important ».

 

Il n’est pas sûr qu’Angela Merkel, les yeux rivés sur la dénatalité allemande, ait compris l’ampleur de la question. 

 

 Hélène NOUAILLE

 

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Source : La lettre de Léosthène