LIBRE OPINION de Bénédicte CHERON : «Armées : Macron tourne le dos à l'histoire»

Posté le vendredi 04 août 2017
LIBRE OPINION de Bénédicte CHERON : «Armées : Macron tourne le dos à l'histoire»

Pour l'historienne Bénédicte Chéron, Emmanuel Macron, en voulant reléguer les militaires dans une fonction purement technique, va contre ce que l'histoire des équilibres subtils entre le politique et les armées enseigne.

 

 

Le candidat Emmanuel Macron avait annoncé le 18 mars vouloir rétablir un service militaire obligatoire d'un mois érigeant ainsi les armées, de manière contestable, en solution ultime à tous les dysfonctionnements sociaux et identitaires de la France. Seulement quatre mois plus tard et deux mois après son investiture, au moment même du 14 Juillet, il est parvenu à nouer lui-même une crise politique majeure qui aboutit à la démission d'un chef d'état- major des armées dont la compétence et le sens du service n'étaient mis en doute par personne. Son seul défaut, qui est en fait un mérite, a été de tenir un discours de vérité devant des élus de la nation qui, précisément, l'auditionnaient pour cela.

 

 

La crise budgétaire de ce mois de juillet 2017 n'est pas nouvelle, elle devient simplement paroxystique

Les chefs de l'État précédents n'ont pas tous été de grands chefs des armées, loin s'en faut. La crise budgétaire de ce mois de juillet 2017 n'est pas nouvelle, elle devient simplement paroxystique. Beaucoup de gouvernements précédents en portent la responsabilité. Aucun président cependant n'avait fait la démonstration avec une telle transparence de son incompréhension de la chose militaire.

Nicolas Sarkozy, pourtant, avait lui-même tenu en certaines occasions des paroles maladroites et blessantes mais jamais en public. Les uns après les autres ont raconté avoir peu à peu pris conscience que, lorsqu'il s'agissait des armées, c'était de la vie des jeunes Français engagés sous les drapeaux qu'il était question. Les actes courageux n'ont hélas que rarement suivi, les discours ont peiné à donner du sens à l'action militaire, les choix stratégiques sont demeurés discutables, l'inadéquation entre les menaces identifiées, les missions ordonnées et les moyens alloués n'a fait que s'accroître. Cependant, l'équilibre des relations entre le chef des armées et les chefs militaires finissait par se mettre en place grâce à cette expérience collective propre aux vieilles nations politiques. Malgré des crises à répétition, pas un seul n'a fait semblant de croire et n'a tenté de faire croire aux Français que les chefs militaires auxquels ils se frottaient parfois avec rudesse étaient de dangereux rebelles à leur autorité. Depuis 1962, des chefs d'état-major d'armée ont démissionné (un de la marine, trois de l'armée de terre) ; jamais celui des armées. Des échanges houleux ont eu lieu dans les arrière-chambres du pouvoir ; jamais ils n'avaient pris la forme d'un propos public, contestable sur le fond et humiliant dans sa forme, tel que celui tenu par Emmanuel Macron le soir du 13 juillet à l'Hôtel de Brienne.

Victime de son époque, Emmanuel Macron n'a visiblement pas pris conscience de l'épaisseur historique du sujet qu'il a voulu affronter par le seul biais d'une communication binaire. Depuis la fin de la guerre d'Algérie, la complexité des relations entre responsables politiques et chefs militaires n'a que rarement été expliquée aux Français. Dans les médias grand public, après 1962, le récit de l'actualité politico-militaire s'est peu à peu construit selon un scénario bien rodé: les responsables politiques décidaient, les militaires exécutaient sans avoir leur mot à dire. La réalité des relations politico-militaires n'a jamais été celle-là, mais c'est cette histoire qui a longtemps été racontée aux Français. Parce que le traumatisme du putsch d'avril 1961 et de la guerre d'Algérie était trop lourd, les militaires se sont longtemps satisfaits de cette situation.

 

Les armées sont devenues une des institutions en qui les Français ont le plus confiance

 

Et puis, le temps a fait son œuvre. Des années d'antimilitarisme militant des années 1970, on est arrivé à la professionnalisation de la fin des années 1990. Les armées sont devenues une des institutions en qui les Français ont le plus confiance. De crise économique en crise sociale, de débat sur l'identité nationale en débat sur la place de la France dans le monde, les chefs de l'État ont trouvé dans les armées, au-delà de leurs capacités opérationnelles, le moyen commode d'affirmer leur puissance régalienne face à leurs concitoyens. Le déploiement de l'opération Sentinelle au lendemain des attentats de 2015 et sa pérennisation en ont été le signe le plus évident. La manière dont les ministres successifs de la Défense ont vampirisé la parole publique sur les opérations en a été un autre, plus diffus mais bien perceptible.

 

Emmanuel Macron a voulu effacer l'histoire subtile des relations entre chefs militaires et chefs politiques par le recours à l'argument d'autorité

 

Des équilibres subtils se sont cependant mis en place qui permettaient aux chefs d'état-major de porter une parole publique sans outrepasser leur devoir de réserve. Les temps avaient changé. Les grands chefs militaires représentaient des armées aimées bien que très mal connues. Aucun n'a jamais remis en cause l'autorité du chef de l'État. Pierre de Villiers pas plus que les autres. Depuis qu'il était arrivé dans ses fonctions, il avait trouvé son mode d'expression propre, préférant l'écrit aux aléas des médias audiovisuels. Dans ses tribunes, le ton était franc, constructif, jamais inutilement polémique. Cette parole publique des chefs militaires est nécessaire: respectueuse du devoir de réserve, elle permet aux citoyens d'être éclairés sur ce que sont leurs armées et de se positionner en conséquence. La guerre est devenue en France une affaire de professionnels mais elle est menée en leur nom. Ils doivent pouvoir bénéficier, aux côtés des discours politiques et des avis des experts, des explications de ceux qui accomplissent les missions quitte à ce qu'elles soient contredites et elles-mêmes débattues.

 

Emmanuel Macron a joué une carte qu'il pensait efficace et qui était en fait d'un autre temps, d'une époque qu'il a visiblement mal comprise et mal digérée. Il a cru pouvoir se contenter d'un storytelling simpliste où les militaires ne font qu'exécuter, en bons techniciens, sans tenir leur rôle dans la cité alors que la guerre dont ils ont la charge est un acte éminemment politique. Il a surjoué un conflit d'autorité qui n'existait pas. Il a agi comme s'il y avait eu au poste un séditieux alors qu'il s'agissait simplement d'un chef d'état- major ayant déjà fait la preuve de sa compétence. Il a voulu effacer l'histoire subtile des relations entre chefs militaires et chefs politiques par le recours à l'argument d'autorité.

 

Par ses mots tenus sur France 2 au soir même de la démission du général de Villiers, lors du «Vélo club» quotidien qui rend compte des étapes du Tour de France, en insistant sur le rôle purement opérationnel et technique du nouveau chef d'état-major, le président de la République ne semble pas vouloir davantage écouter ce dont l'histoire pourrait l'instruire. Ce faisant, il refuse de tenir compte de ces complexes équilibres, de ces coutumes qui font que, dans un cadre légal et institutionnel donné que tous respectent, quelques grands serviteurs tentent de tenir leur ligne, au sein des armées et ailleurs, et permettent à une société de ne pas de disloquer malgré les crises.

 

Bénédicte CHERON
Spécialiste des relations armées-société,


 

Elle est notamment l'auteur de  Pierre Schoendoerffer  (2012, CNRS éditions)

 

 

Source : Figarovox