LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS : Attentats de Paris : prix de la paix.

Posté le vendredi 20 novembre 2015
LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS : Attentats de Paris : prix de la paix.

Faire la guerre, ensemble, totalement, maintenir la COP21, et pas seulement pour parler d'environnement. C'est maintenant ou jamais.

Les coups de semonce furent très nombreux. Citons seulement les attentats du 7 janvier, ceux déjoués de Villejuif et du Thalys, l'enlèvement probable d'un ambassadeur iranien de premier plan lors de la bousculade meurtrière de La Mecque en septembre, le dernier attentat au Liban visant le Hezbollah, le crash de l'avion civil russe en Égypte. Puis le terrifiant carnage de vendredi dernier à Paris. Autant de jalons posés par un État islamique militairement et économiquement fragilisé depuis l'entrée en scène militaire de la Russie en Syrie. Les forces russes ont bousculé le train-train du dispositif de "la coalition" occidentale contre Daesh, une coalition composite dont le dessein est de perpétuer l'instabilité régionale et surtout d'empêcher Moscou et Téhéran de maîtriser la situation au détriment de Riyad et d'Ankara. Daesh, le Front al-Nosra (c'est-à-dire Al-Qaida) et d'autres factions islamistes ont cru, parfois avec notre bénédiction active, pouvoir s'emparer de la Syrie. Ils en sont pour leurs frais et font monter la pression. Mais Paris et Moscou aussi.

L'ennemi s'énerve

Les attentats sont aussi liés aux récents reculs de Daesh sur le terrain depuis les frappes françaises sur ses installations pétrolières à Deir ez-Zor, la reprise des environs d'Alep par les forces gouvernementales syriennes grâce au soutien russo-iranien et la prise (par les Kurdes irakiens) de la ville de Sindjar coupant l'axe stratégique Mossoul-Raqqa qui relie les deux pôles irakien et syrien du califat. Enfin, Daesh veut contrer l'activisme russe sur le front diplomatique. La valse-hésitation de Washington pour une solution politique réaliste en Syrie n'est plus tenable. Un compromis se dessine. Même Paris, arc-bouté sur des postures à contre-emploi depuis des années, ne peut plus nier l'évidence.

L'ennemi s'énerve, signe que nos quelques coups de griffe, surtout ceux de l'ours russe, portent enfin. Gloser sur l'opportunité du terme de "guerre" est dérisoire. La guerre est là, avec ou sans mots. Il faut détruire tous les sanctuaires de Daesh, en coalition russo-américano-française, en tordant le bras, si nécessaire, à certains alliés. De ce point de vue, la rumeur, que l'on espère infondée, d'une possible livraison prochaine de missiles sol-air au Front al-Nosra ou à Daesh par l'Arabie saoudite ne doit pas être tolérée. Car ce n'est pas "parce que nous sommes en Syrie" que l'on nous attaque. C'est parce que cette guerre n'est pas faite de manière décisive et coordonnée et que nous perdons un temps précieux en persistant à nous tromper d'ennemi. Pour mettre à terre Daesh, les moyens militaires sont nécessaires, mais secondaires. Un autre verrou doit sauter : celui de nos hypocrisies. Inutile de faire croire, toutefois, que les hordes du califat passeront sous nos fourches caudines. Le terrorisme est un mode d'action politique. La guerre ne sera donc jamais "gagnée". Mais la terreur peut, en revanche, être circonscrite si l'on "assèche l'eau du poisson" Daesh, que l'on s'intéresse à ses parrains et à ses chefs véritables, ceux qui ont juré, dès 2003, de faire payer très cher à l'Occident leur relégation politique, économique et communautaire. Nous les connaissons. Leur marionnette diabolique est en train de couper les fils qui la contrôlaient. Il faut lui mettre la main dessus avant qu'il ne soit trop tard.

Prendre de la hauteur

Mais prenons de la hauteur. Le califat a plusieurs cibles : l'Iran, évidemment, et les autres régimes à dominante chiite (Irak, Syrie, Liban). Le report de la visite du président Rohani en Europe (visite au pape, aux autorités italiennes et ensuite à la France...) est pour lui une victoire d'importance. Mais Daesh vise aussi la domination des territoires sunnites au Moyen-Orient et celle des communautés musulmanes sunnites en Europe. L'ultra-violence qui vient de toucher les lieux festifs de l'Occident ne vise pas la conviction ou l'adhésion de sa jeunesse (sauf celle des soldats et kamikazes séduits par le potentiel de rupture et de transgression radicale du message califal). Il vise la sidération et la soumission, par la terreur, des communautés musulmanes installées sur notre sol et de l'ensemble de nos concitoyens.

"Fille aînée de l'Église", temple d'une laïcité bruyante mollement défendue dans les faits, la France sera longtemps encore dans le viseur. Notre pays est perçu comme politiquement faible, dénonçant le communautarisme sans le combattre, accroché à une utopie pacifiste anachronique que quelques rodomontades militaires d'envergure contrainte ne suffisent pas à conforter. Il paie la dégradation méthodique, depuis vingt ans de son outil militaire exceptionnel, sous-dimensionné par rapport à l'ampleur de la menace. La tragédie du 13 novembre doit conduire l'État à redéployer des moyens financiers importants pour renforcer sensiblement ses capacités militaires et sécuritaires. C'est le seul socle possible d'une "union nationale".

Toutes les capitales européennes, comme d'ailleurs Washington, sont menacées. L'Europe est faible, politiquement divisée, stratégiquement inexistante, perdue par son entêtement à nier la violence du monde et à "sauver Schengen" comme si c'était encore le sujet ! Nous payons enfin l'ahurissant signal envoyé à l'ennemi par la décision généreuse, mais parfaitement astratégique, de la chancelière allemande d'ouvrir les vannes de l'immigration et de l'infiltration djihadiste. Une erreur colossale, une confusion entre politique et sentimentalisme qui enfonce les derniers clous dans le cercueil d'un rêve européen sacrifié sur l'autel de ses inconséquences. La Syrie, bientôt vidée de sa population sunnite modérée partie survivre ailleurs sur des barques de fortune, sera livrée aux pires des extrémistes salafistes, au reliquat des forces gouvernementales… et à Daesh ! Nous aurons beau jeu alors de condamner le manque de crédibilité d'un éventuel processus électoral en Syrie que l'intégration progressive de forces kurdes au sein de l'ASL (Armée syrienne libre) ne suffira pas à compenser.

Un drame et une occasion

Les attentats de Paris sont donc à la fois un drame et une occasion sans précédent. C'est l'heure de vérité. La vérité face au monde, face à soi-même ; celle aussi que l'on doit à nos concitoyens. Il y aura d'autres attentats en représailles à notre fermeté. Avons-nous le choix ? Nier la violence et la haine qui gangrènent certains territoires de la République ne les fera pas disparaître. Prier pour l'apaisement et la modération ne les fera pas plus advenir. Il faut répondre et encaisser les coups jusqu'à ce que l'ennemi juge sa proie politiquement imprenable.

À la tribune des Nations Unies, fin septembre, Vladimir Poutine a appelé clairement à une coalition internationale contre le terrorisme et tous ses suppôts. Qu'attend-on depuis pour lui emboîter le pas ? Souhaitons que le revirement de Paris et l'appel à la coordination de la lutte avec Moscou et Washington soient sincères et sérieux dans leur mise en actes.

Les distinguos spécieux trop longtemps entretenus entre "les bons" et "les mauvais" islamistes ont fait des dégâts humains considérables. La volonté occidentale de déstabilisation du régime syrien depuis 2011 a été une erreur stratégique, comme celle de casser les derniers États forts de la région, complexes mosaïques communautaires et confessionnelles qui ont d'évidents défauts au regard des canons de la démocratie occidentale mais préservaient une stabilité régionale inestimable. "La diplomatie de tribunal" a vécu et fait la preuve de sa nocivité extrême. La confessionnalisation de la rivalité entre l'Arabie saoudite et l'Iran avec leurs affidés respectifs est une idée américaine que nous payons dans le sang. Le savant "chaos constructif" entretenu par Washington depuis 2003, récupéré par le projet califal et son installation dans le paysage politique régional et global a fait métastaser ce cancer jusque dans nos banlieues. Car le "territoire" de Daesh ne se limite pas au "Sunnistan" irako-syrien. Toute terre peuplée de musulmans sunnites est appelée à lui être rattachée par soumission symbolique et/ou concrète.

Faire la guerre

Faire la guerre ensemble, donc, et au bon adversaire. À nous-mêmes aussi. À nos illusions, à nos utopies. Notre passion pour l'égalité nous a fait gommer l'épaisseur de l'histoire politique et religieuse de notre pays. Nous faisons "table rase du passé" en croyant servir notre idéal de fraternité alors que la négation de nos racines nationales et européennes nous livre à l'ignorance, à la complaisance et à la violence.

Faire la guerre totalement, au sol évidemment mais avec des forces locales sunnites en très grand nombre et dûment soutenues, sans pour autant tomber dans le piège de l'ennemi qui est de nous pousser à la guerre civile. Or le ver est dans le fruit. Il faut donc protéger notre communauté musulmane du cancer qui la ronge, forcer ses représentants à dénoncer l'innommable et extraire la tumeur maligne qui s'est nourrie de notre incroyable tolérance à l'intolérance. Il faut nettoyer profond et large, d'une main qui ne tremble pas. De la chirurgie de guerre, en somme.

La COP21 doit avoir lieu

La COP21 doit avoir lieu. On devra y parler d'environnement mais aussi de guerre. Le sommet de Paris sera l'occasion historique de donner enfin du corps et du sens à l'expression "communauté internationale" si galvaudée. Car c'est aussi sur ce lit de frustrations méprisées et manipulées qu'a grandi la bête aujourd'hui enragée qui a juré notre perte.

Enfin, l'Amérique peut jouer une carte cardinale et restaurer spectaculairement son crédit moral et sa crédibilité militaire et diplomatique, si abîmés depuis 2003 dans une grande partie du monde. Elle doit choisir son camp avant que sa duplicité n'éclate au grand jour. Jauger les vraies priorités, proposer un rapprochement historique avec Moscou pour faire face à une menace commune sans pareille au lieu de poursuivre le harcèlement tous azimuts de la Russie entamé en 1991 serait, pour le président Obama, une démonstration de "realpolitik" au meilleur sens du terme, celui de la recherche du compromis au service de l'apaisement. Car la realpolitik porte paradoxalement plus d'exigence humaine que les postures punitives infantiles. Un certain Prix Nobel de la paix aurait alors vraiment enfin trouvé sa raison d'être. Et Paris redeviendrait "la Ville lumière", la ville d'où serait partie l'étincelle d'un pragmatisme lucide et porteur d'une espérance véritable pour ces peuples martyrs, prisonniers impuissants de nos ambitions, naïvetés et rancunes.

C'est maintenant ou jamais. Cessons d'attendre Godot.

 

Caroline GALACTEROS

Administratrice de l’ASAF

 

Source : Le Point.fr 18/11/2015