LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS : État des lieux du nouveau désordre mondial.

Posté le jeudi 28 janvier 2016
LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS : État des lieux du nouveau désordre mondial.

Depuis le démantèlement de l'Irak, le leadership occidental a définitivement sombré et la violence terroriste s'est mondialisée. À quand le sursaut ?

En ce morose début d’année, même le tragique du monde manque de charme et d'originalité. Les attentats sanglants scandent notre quotidien et trahissent cette autre mondialisation, celle de la violence extrême aux quatre coins du monde. Après la levée partielle des sanctions contre Téhéran, souhaitons que la visite en Europe et à Paris du président iranien ne soit pas, comme en novembre dernier, l'occasion de nouveaux coups de semonce pour contrecarrer le retour de la Perse sur l'échiquier mondial.

Aux origines du chaos

Pendant ce temps, en Irak, en Syrie ou en Afrique noire, les opérations militaires se poursuivent sans grand effet sur le cancer qu'elles prétendent détruire. L'État islamique n'est finalement que la face monstrueuse de l'ahurissante désinvolture occidentale – notamment américaine – qui a suivi l'invasion de l'Irak en 2003 et a enclenché, sur fond d'États démantelés et de populations livrées au chaos et à la paupérisation, la structuration d'une riposte aux mille visages dont certains commanditaires sont en plus « juge et partie ». Au sein de ce cacophonique orchestre sans chef, chaque acteur, du plus global au plus local, joue sa partition et utilise tous les autres sans vergogne pour tirer son épingle du jeu. Les analystes redondent désormais dans l'explication de « la guerre par proxy » que se livrent l'Iran et l'Arabie saoudite via leurs alliés et clients respectifs. Certes. Mais c'est un emboîtement de type « poupées russes » auquel on assiste. « À proxy, proxy et demi », pourrait-on dire.

Qui manipule qui ? Téhéran et Riyad s'affrontent certes par Hezbollah, Al-Qaïda, État islamique, milices chiites et irakiennes interposées, et ils instrumentalisent aussi Turcs, Russes, Américains, Français (et Anglais) dans la région. Mais l'inverse aussi est vrai. La lutte entre Daech et Al-Qaïda et leurs avatars respectifs (en Afrique notamment) pour le leadership du djihad mondial joue du triangle compétitif Washington-Paris-Moscou dont chaque côté soutient « ses bons djihadistes modérés ». Quant à la Turquie, au Qatar, aux Émirats arabes unis, à l'Arabie saoudite ou à l'Égypte, chacun d'eux actionne aussi ses affidés dans un affrontement global qui les met aux prises avec un Occident renâclant devant l'évidente multipolarité du monde.

Il n'y a pas que l'économie qui se soit « mondialisée » depuis 20 ans : le terrorisme aussi. L'Irak, la Syrie, la Libye, l'Afrique noire, la Tunisie, demain l'Algérie ou le Maroc sont les théâtres de ce jeu macabre où chacun croit tirer les ficelles de marionnettes qui lui échappent largement. La paix n'en est pas l'enjeu véritable, ni même l'horizon souhaitable, encore moins accessible. Chaque attentat consolide un double mouvement de contagion géographique endémique (l'Afrique entière est désormais touchée) et d'allégeance spectaculaire à l'un des deux pôles de la radicalité islamiste.

Le rapport de force civilisationnel entre l’Occident et ses challengers est en train de se reconfigurer dans le sang

En surplomb de tout cela, États-Unis et Russie s'affrontent toujours, au Moyen-Orient comme en Europe, et la Chine les regarde faire, tout en se réarmant massivement et en mettant en place les structures notamment économiques et financières d'une alternative à l'occidentalisme qu'elle entend incarner à moyen terme. Son fort ralentissement économique actuel – signe d'une volonté de recentrage sur son marché intérieur pour réduire sa vulnérabilité à la déstabilisation, consolider sa souveraineté et son contrôle politique et social – va conditionner largement les rapprochements opportunistes et les alliances pérennes.

Le monde a basculé pour de bon, le rapport de force civilisationnel entre l'Occident et ses challengers est en train de se reconfigurer dans le sang. Un autre pôle de puissance et d'attraction autour de Pékin (avec probablement l'Iran et la Russie en « grands lieutenants ») fera jeu égal, à moyen terme, avec le magma des Occidentaux déboussolés sous un étendard américain incertain. Dans cette perspective, l'orientation que prendra l'Inde, pivot de cette nouvelle bipolarité, devient un enjeu politique de première importance.

L'impuissance de la puissance

Dans un effort brouillon et ambivalent pour réguler ce savant désordre, l'Occident s'enfonce dans des réactions militaires de petite envergure et de faible impact. D'ailleurs, qui peut aujourd'hui assurer qu'une implication militaire de plus grande ampleur parviendrait à desserrer l'emprise de l'islamisme radical sur des populations locales – otages consentantes puis déçues – ou sur nos territoires occidentaux minés de l'intérieur ? Le problème est plus grave. L'impuissance de la puissance n'a jamais été aussi patente ni « l'utilité de la force » si insuffisante. L'hyper-technologie militaire et l'application ciblée  de la force (frappes, drones, forces spéciales) nourrissent même le recrutement d'innombrables candidats au djihad qui voient dans leur sacrifice un sens donné à des existences terrestres dé-spiritualisées et livrées au consumérisme béat.

Pour riposter utilement, nous devons donc admettre que le terrorisme est aussi la manifestation purulente d'un haut-le-cœur d'une partie du monde qui rejette notre corpus de « valeurs » et modes de vie. Bien sûr, ce dégoût et ces frustrations sont instrumentalisés par des groupuscules ultraviolents qui veulent, non le règne de l'islam sur terre, mais tout simplement le contrôle politique, militaire et social de territoires, de populations et de ressources. L'islam version wahhabite, son approche salafiste rigoriste et littérale, ses recrues dans les communautés musulmanes d'une Europe ayant renoncé à elle-même ne sont que les vecteurs de cette entreprise de pure domination politique.

La « confessionnalisation » du conflit Iran-Arabie saoudite est donc largement tactique et cosmétique, et la rivalité fratricide multiséculaire entre chiites et sunnites, le paravent sanglant d'un conflit de puissance et d'influence politique et économique. Et les populations civiles – sans parler des combattants étrangers en mal de gloire – sont une chair à canon toute trouvée tant il est simple, sur fond de relégation politique et de frustration matérielle, de raviver les moteurs intimes du ressentiment et de la vengeance.

Le monde occidental, lui-même de plus en plus divisé, est donc entré dans un mouvement de repli stratégique puissant mais désordonné, sous les coups de boutoir de modèles de puissance concurrents et d'un monde islamique qui croit son heure arrivée et n'entend plus se faire impunément dépecer ni manipuler.

L'Europe, une utopie suicidaire

Il n'y a pas de pilote dans l'avion de la gouvernance mondiale. Le chaos stratégique consécutif aux errements américains semble incontrôlable et l'on en est réduit à colmater des brèches toujours plus nombreuses et à écoper pour ne pas couler trop vite. Dans cette débâcle, l'Europe offre un spectacle paradoxal. La crise des migrants manifeste les failles béantes de son rêve fondateur, englouti dans l'utopie suicidaire d'un ensemble sans colonne vertébrale politique et basé sur l'indifférenciation de chacun et de tous. Nos dirigeants européens – notamment français –, qui se sont eux-mêmes réduits au rôle de simples relais d'un cosmopolitisme destructeur de la complexité culturelle du continent et de la chair vive de ses nations, ont délibérément ouvert les vannes au communautarisme en renonçant à une assimilation exigeante des populations immigrées. En période de croissance, cela passait. En pleine crise, cela devient insupportable et met à nu les germes de la dislocation nationale.

Les résultats de cette négation du réel sont là : crispation politique et identitaire, édification de murs, renationalisation précipitée des politiques migratoires devant le coup de force allemand d'une ouverture des vannes sur fond de sentimentalisme et de culpabilité. Un coup de force dont tous les États européens sont sommés de payer le prix. L'Europe n'a toujours pas compris qu'elle était « une cible molle » sur laquelle on tirait désormais à vue et à découvert.

L'esquisse d'un sursaut

Tout espoir n'est pourtant pas perdu. Ces réactions sont aussi les signes d'une volonté de survie des États membres. Les instances européennes doivent les saisir au vol pour imposer des régulations, des contrôles de flux et recréer une cohésion et un horizon de sens pour l'UE pendant qu'il en est encore temps. Il faut oser travailler sur les paradoxes, ne pas nier les frontières, ni les différences pour nouer des rapprochements. Il faut chercher « le mieux-disant », affirmer sans rougir nos origines chrétiennes qui ont fondé notre droit et notre pratique politique démocratique. Il faut enfin, s'agissant de la France, clarifier notre laïcité qui ne nie pas les croyances mais en confine strictement l'expression, et entretient, du fait de notre histoire, une relation privilégiée avec les Églises chrétiennes.

Il faut enfin cesser, dans les médias, de relayer la démagogie dangereuse des nouveaux porte-parole autoproclamés d'une communauté musulmane nationale à laquelle on fait penser et dire des énormités. Les discours de ces nouvelles « pasionarias » – car ce sont souvent des femmes – profèrent des non-sens et nous enfoncent dans une culpabilité qui justifierait toutes les violences. À les entendre, les jeunes musulmans de France, si maltraités et méprisés depuis des décennies par l'État, l'école, « la société », les autres Français, n'auraient d'autre choix que le djihad et l'attentat contre leurs compatriotes ! Les Français musulmans ne peuvent ignorer qu'un tel discours les prend en otages, les stigmatise, les fragilise encore davantage. Ils doivent le rendre inaudible.

 

Caroline GALACTEROS
Administratrice de l’ASAF

 

Source : Le Point.fr