LIBRE OPINION de Gérard-Francois DUMONT : Un plus grand choc politique

Posté le lundi 21 septembre 2015
LIBRE OPINION de Gérard-Francois DUMONT : Un plus grand choc politique

 

Un plus grand choc politique

 

 

 

La politique de l'électrochoc : Un engagement plus fort des Etats ou bien un plus grand choc politique : ce qu'il faut pour enfin résoudre la crise des migrants
 
La photo de l'enfant syrien Aylan Kurdi diffusée le 4 septembre a provoqué un choc dans l'opinion publique. Faudrait-il une plus grande implication de l'ONU dans la gestion de la crise ou bien la nécessité d'un choc politique encore plus fort pour que les Occidentaux interviennent ? La question des moyens à utiliser pour résoudre la crise des migrants occupe tous les esprits.

Pourquoi ne pas saisir l'ONU afin de consacrer un territoire dédié et décent à l'accueil des migrants en Europe ? Où pourrait-il être situé ? Comment pourrait-on faire en sorte d'y créer une logistique efficace d'examen des demandes d'accueil et des dossiers administratifs ?
Historiquement, il est arrivé à plusieurs reprises que l'on imagine concentrer des populations en situation particulière sur un territoire donné pour les isoler, éventuellement pour leur assurer en même temps une sécurité sur ce territoire réservé.
Parmi les exemples historiques à citer, il y a le fait que les communautés juives en Europe étant considérées à part, comme des "nations", les pouvoirs ont multiplié, au fil des siècles, soit des expulsions tentées ou concrétisées, soit la possibilité pour ces communautés de vivre dans des quartiers urbains spécifiques réservés (et souvent fermés la nuit), comme le ghetto de Venise, lieu d’habitation obligatoire des Vénitiens juifs dès 1516. Au XXè siècle, du temps du communisme soviétique, Moscou a organisé l’administration de façon à concentrer chaque ethnie considérée comme non russe en une vingtaine de territoires ayant le statut de républiques, dont, pour les juifs, la République autonome du Birobidjan juif.
 
Un autre exemple historique concerne des juifs, avec un projet élaboré dans les années 1890 : lorsque Theodor Herzl vient couvrir, en 1894, le déroulement du procès Dreyfus pour le compte de la Neue Freie Zeitung, un journal de Vienne, il est révolté par l’importance de d'antisémitisme dans la patrie des Droits de l'Homme. Le journaliste en tire la conclusion qu'il est illusoire pour les juifs de trouver la paix dans une Europe qu’il juge profondément antisémite et qu'il leur faut donc posséder leur propre État, un État en mesure d'offrir un refuge à tous les juifs risquant d’être persécutés. Le 15 février 1896, il publie un ouvrage intitulé : L'État juif, recherche d'une réponse moderne à la question juive. Et Theodor Herzl entreprend des démarches auprès des chefs d'État pour obtenir un territoire. En 1903, il annonce que « Sa Majesté, le souverain de l'empire britannique, offre un cadeau, l'Ouganda ! ». Mais, finalement, après les drames de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, ça sera Israël, devenu membre de l’ONU le 11 mai 1949,  un an après sa déclaration d’indépendance.
 
Depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la question de l’accueil sur un territoire de populations soumises à des exodes se trouve traitée par l'agence des Nations-Unies pour les réfugiés. Sa mission initiale est de venir en aide aux Européens déplacés par le conflit. Et, le 14 décembre 1950 l'Assemblée générale des Nations-Unies crée l'Office du Haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, avec un mandat de trois ans pour accomplir son travail, et qui doit ensuite cesser ses activités. Le 28 juillet 1951, la Convention des Nations-Unies relative au statut des réfugiés est adoptée comme fondement juridique de l'aide aux réfugiés. La question des réfugiés se trouve pérennisée avec le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), au mandat plusieurs fois renouvelé,  dont l’une des premières missions d’urgence majeure des années 1950 concerne les réfugiés de Hongrie de 1956, suite à l’exode issu de l'écrasement de la révolution hongroise par les forces communistes soviétiques. 
Depuis, dans les différentes situations où le HCR a dû intervenir, les territoires accueillant des réfugiés se situent souvent dans des pays limitrophes des zones de conflit, fréquemment sous forme de campements gérés par cette agence de l'Organisation des Nations-Unies qu'est le HCR. Cette proximité géographique tient à ce qu’il s’agit des plus proches territoires où les personnes ont pu se sauver et à l'idée que la solution la plus souhaitable est que les réfugiés puissent retourner dans leur pays après sa stabilisation. Sinon, sont envisagées ou l'intégration sur place ou la réinstallation dans un pays tiers. 
 
Chaque fois que le monde a connu des exodes importants, le HCR a donc organisé des camps ou des modalités d'accueil. Par exemple, le HCR géra, durant la période totalitaire des Khmers rouges, des camps de réfugiés en Thaïlande. En 2015, l’accueil du HCR concerne, en Turquie, principalement des Syriens et des Irakiens, au Pakistan des Afghans, au Liban des Syriens, en Iran des Afghans, en Éthiopie des Somaliens et des Sud-Soudanais, en Jordanie des Syriens et des Irakiens, au Kenya des Somaliens et des Sud-Soudanais, au Tchad des Soudanais et des Centrafricains, en Ouganda des Sud-Soudanais, au Cameroun des Centrafricains, etc. Cet inventaire limité confirme chaque fois que nous avons affaire à un territoire proche de la zone géographique où une crise géopolitique a provoqué un exode. Mais créer un territoire unique dédié aux réfugiés ne semble pas la réponse adaptée, compte tenu, d’abord, des réalités géographiques.
 
Quelle est la gestion actuelle effectuée par l'ONU via le HCR ?
Pour comprendre la dimension de la crise des migrants syriens se dirigeant vers l'Europe, il convient de rappeler qu’en 2011, année où commence le conflit syrien, la population syrienne est de 20,5 millions d’habitants et celle de l’Irak de 31,9 millions. Parmi ces derniers, environ 10 millions habitaient dans les régions aujourd’hui contrôlés par l’organisation État islamique – dont la deuxième ville la plus peuplée d’Irak, Mossoul – ou se trouvant sous sa menace directe. En quatre ans, environ 7 millions de Syriens ont dû fuir le pays, répartis début septembre 2015 entre le Liban, la Jordanie, la Turquie et l’Europe, celle-ci ayant vu arriver environ 1 million de personnes chassées par la crise syro-irakienne.
L’hypothèse de consacrer un territoire dédié aux migrants issus de cette crise supposerait donc un territoire pouvant loger au moins sept millions de personnes. "Au moins", car, malheureusement, la crise n'est pas terminée. Même si des Kurdes ont pu contenir l'État islamique en Syrie, voire reconquérir du territoire (Kobané), l'État islamique a continué de progresser en Syrie, notamment à Palmyre. Certaines de ses troupes se trouvent même au sud de Damas. En mai 2015, les Syriens demeurés dans leur pays ont bien été obligés de constater qu’aucune puissance n'a empêché l'État islamique de diriger ses troupes vers Palmyre alors qu'il aurait été facile de les bombarder durant les centaines de kilomètres de désert qu’elles ont traversés. Nombre de Syriens n’ont pu qu’en tirer la conclusion désespérante suivante : si la communauté internationale a laissé progresser l’État islamique jusqu’à Palmyre, le jour où d’autres villes syriennes, voire Damas, aujourd’hui non conquises par l’État islamique, seront sous la pression militaire de cette organisation qui, il faut le rappeler, utilise des kamikazes, personne ne viendra les secourir. D’où une accélération, depuis mai 2015, soit de l’exode syrien depuis le pays, soit de l’exode de Syriens déjà réfugiés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, mais perdant espoir dans la possibilité de retourner chez eux, de trouver un autre pays. Il en résulte que l’exode vers un premier pays, puis vers d’autres pays, qui concernait déjà le tiers de la population de la Syrie, risque de continuer si la donne géopolitique ne change pas.
C’est pourquoi un territoire dédié aux migrants de la crise syro-irakienne devrait pouvoir accueillir 7 millions d’habitants, et peut-être davantage demain. À supposer qu’un tel territoire existe, il faudrait aussi qu’il dispose de toutes les infrastructures minimales nécessaires à ses habitants, avec une gestion efficiente. C’est une des raisons pour lesquelles une telle solution ne semble guère opérationnelle mais il y en a une autre.
En effet, il est préférable que les populations ayant dû fuir la Syrie puissent avoir des conditions facilitant leur installation et leur accueil, notamment en bénéficiant des réseaux de diasporas. Par exemple, des Syriens qui connaissent des compatriotes déjà installés à Londres cherchent à s'y rendre pour profiter de leur aide, de même que des Irakiens ayant des compatriotes installés en Suède cherchent à s'y rendre pour la même raison. Vouloir parquer ou contenir les migrants syriens dans un territoire unique qui leurs serait dédié reviendrait à les priver de leurs réseaux préexistants, utiles à leur insertion dans le pays de refuge.
 
Dans cette crise des migrants syro-irakiens, l'ONU agit, à travers le HCR, surtout sur les conséquences, par un accueil dans les pays limitrophes, mais non sur les causes. Au-delà des pays limitrophes, ou pays de premier asile, les pays de réinstallation possibles auraient, sans doute, dû faire davantage, en liaison avec le HCR, pour l'accueil d'un certain nombre de réfugiés syriens qui se trouvent dans des camps du HCR en Turquie, au Liban ou en Jordanie. Par exemple, lorsqu'il y avait des camps HCR en Thaïlande, entre 1975 et 1979, remplis de Cambodgiens qui avaient fui le totalitarisme des Khmers rouges, la Thaïlande était un pays de premier asile. Les Cambodgiens présents dans ces camps déposaient des demandes d'asile auprès de différents pays occidentaux en fonction de leurs opportunités ; par exemple, certains demandaient la France parce qu'ils connaissaient le français ou avaient déjà de la famille dans l’Hexagone. Les pays concernés examinaient les demandes et, périodiquement, proposaient des réinstallations aux réfugiés. 
L'alternative à la crise des migrants syriens est claire : soit les pays œuvrent pour parvenir progressivement à une solution politique en Syrie, soit, notamment parce que les pays occidentaux ont contribué à la déstabilisation de la Syrie, il se doivent d’accueillir des Syriens soumis à l’exode. 
 
Le 31 août 2015, la chancelière allemande Angela Merkel a exhorté les pays européens à se rassembler dans un front commun pour gérer la crise. Or, les pays de l'Est de l'Europe s'opposent à l'accueil des migrants et à la fixation de quotas. L'échelon de l'ONU ne serait-il pas plus contraignant pour faire accepter et respecter des mesures nécessaires par ces pays ?
L’échelon de l’ONU, si utile soit-il, n’est pas nécessairement le plus efficient. Si l'on considère les interventions militaires sous l’égide de l'ONU, ce ne sont pas des troupes de l'ONU qui interviennent, mais des militaires de tel ou tel pays qui portent le casque bleu. La liste des conflits non résolus par ce moyen est longue, sachant que, parfois, la situation s’en trouve même aggravée.
 
Dans le cas de la crise syro-irakienne et de celle des migrants qui en est la conséquence, l’un des grands sujets d’étonnement est l’incapacité d'anticipation des pays occidentaux et, notamment, des pays européens comme de l’UE. En effet, la crise des migrants syriens était malheureusement prévisible. Pourtant, rien n'a été fait pour la prévenir. Au contraire, comme précisé ci-dessus, cette crise s’est trouvée intensifiée depuis mai 2015 par le fait d'avoir laissé l’État islamique envahir Palmyre, laissant augmenter le niveau de désespérance des Syriens qui se sentent à la fois menacés par l’État islamique ou le conflit civil et abandonnés par la communauté internationale.
Car la conquête de Palmyre a une portée fondamentale, même si les médias traitent surtout de la dimension patrimoniale de Palmyre. Or, il y avait des civils à Palmyre. Certains ont été tués par l’État islamique, parfois dans des conditions abominables comme la décapitation, le 18 août 2015, de l'ancien directeur des Antiquités de Palmyre, Khaled al-Asaad, expert de renommée mondiale du monde antique. Les dirigeants européens devraient avoir mauvaise conscience. C'est à cause d'eux que des crimes ont été perpétrés à Palmyre, et à travers ces crimes, les Syriens peuvent difficilement continuer de croire au discours d'Obama du 20 août 2014 appelant à éradiquer l’État islamique, assimilé à un "cancer", et promettant d’agir de façon "implacable". En effet, dans la période 2014-2015, non seulement l’État islamique n’a pas été combattu de façon "implacable" mais il n'a même pas été contenu. 
 
Comment engager la responsabilité des pays arabes, et notamment du Golfe ? Quelle est la responsabilité prise par ces États actuellement ? On a l'impression qu'ils se soustraient à toute intervention dans la crise. Est-ce réellement le cas ?
Les pays arabes du Golfe semblent ne guère contribuer à chercher une solution politique, et encore moins à accueillir des Irakiens et Syriens, pourtant Arabes soumis à l’exode. D’ailleurs, une partie du financement de l'État islamique est venue de pays arabes du Golfe. Certes, il n'est pas venu des gouvernements même mais d'un certain nombre de personnes de ces pays. Or, rien n'a été et n’est fait pour empêcher le financement de l’État islamique par des sources extérieures. Prenons un exemple : après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont constaté que, parmi les 19 terroristes, il y avait 15 Saoudiens. Les États-Unis ont donc décidé de bloquer les comptes d'un certain nombre de Saoudiens dont ils pensaient qu'ils participaient au financement d'Al-Qaida. Pendant la période 2014-2015, aucune décision européenne n'a été prise pour bloquer les comptes de personnes finançant l'EI. L’enjeu économique que représentent les pays du Golfe semble, pour les pays européens, plus important que la lutte contre le terrorisme islamiste. C'est une politique à courte vue que l’histoire dénommera, peut-être un jour, "munichoise".
 
Comment mieux mobiliser les acteurs étatiques et les doter de moyens et de stratégies politiques adaptés et efficaces ?
Puisque le totalitarisme islamiste leur a déclaré la guerre, la France et les pays européens sont aujourd'hui en guerre. Ils doivent donc se défendre, une défense globale qui comprend également des aspects militaires. Concernant ces derniers, il s'agit de contenir l’État islamique, ce qui, comme rappelé ci-dessus, n’a pas été réalisé depuis que ce groupe s’est dénommé ainsi le 29 juin 2014, se considérant comme le califat, quinze mois après avoir pris le 9 avril 2013, le nom d’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), soit, en arabe, Daech : "D" pour État, "a" pour islamique, "e" pour Irak et "ch" pour Levant. Or, les pays qui peuvent agir efficacement contre l’État islamique, avec des moyens militaires adaptés, ne sont pas nombreux. En Europe, ce sont essentiellement la France et le Royaume-Uni, et encore ont-ils besoin, pour certaines opérations militaires, de l’appui logistique des États-Unis. Mais les autres pays européens peuvent apporter une aide financière ; c'est la proposition implicite de la chancelière allemande Merkel qu’il serait possible de traduire ainsi : "Moi je pilote l'humanitaire, vous le militaire". Demeure une importante question : en Europe, alors que les tensions géopolitiques s’accentuent depuis au moins deux décennies, les budgets militaires ont été considérablement  abaissés.
En fait, nombre d’hommes politiques semblent ne réagir qu’aux événements, sous forme de déclarations conjoncturelles, au lieu de les anticiper. C'est incroyable qu'il ait fallu attendre une photo terrifiante, diffusée dans les médias du monde entier, celle de  l’enfant syrien Aylan Kurdi, mort sur la plage de la station balnéaire de Bodrum en Turquie, pour que le Président français organise, le 3 septembre 2015, une réunion ministérielle sur les migrants à l'Elysée. Cela donne l’impression d'une incapacité politique à prévenir les problèmes géopolitiques et, donc, à déployer des stratégies adaptées aux réalités géopolitiques.
 
Faudrait-il un choc politique encore plus fort ?
On aurait pu imaginer que les attentats meurtriers de Paris et de Montrouge des 7 et 9 janvier 2015 contre Charlie Hebdo puis une alimentation cascher auraient engendré une nouvelle politique. Par exemple, à la suite de ces attentats, l'opinion publique aurait tout à fait compris que le gouvernement français donne l'ordre à ses forces de sécurité de mener des opérations dans des lieux où des armes circulent, par exemple, afin de confisquer des kalachnikovs. Or, depuis ces attentats, donc neuf mois plus tard, aucune action d’ampleur, politique ou tactique, n'a véritablement été prise pour prévenir le terrorisme en France, le vote d’une nouvelle loi sur le renseignement en juin 2015 ne pouvant être considéré comme une action stratégique suffisante et satisfaisante. De même, la prise de Palmyre aurait pu susciter une véritable prise de conscience et la nécessité d’une large révision de la politique étrangère française. Faudra-t-il attendre de nouveaux chocs ?

Auteur : Gerard-Francois DUMONT
Source : Magistro

Source : Gerard-Francois DUMONT