LIBRE OPINION du Général (2s) Bernard MESSANA : " Qui est l'ennemi ? "

Posté le lundi 25 juillet 2016
LIBRE OPINION du Général (2s) Bernard MESSANA : " Qui est l'ennemi ? "

Mai 2016. Un livre court et dense intitulé « Qui est l’ennemi ? », et signé de M. Le Drian, Ministre de la Défense, sort en librairie. Dans une France déclarée « en guerre », ce livre censé formuler la « pensée de l’action » du Ministère face à un adversaire déterminé, pourrait être un événement majeur. Il ne provoque pourtant que très peu de réactions. De rares louanges convenues, quelques critiques d’une prudente ironie passent, quasi inaperçues.

 

Et pourtant ! Sur l’ordre du Chef des Armées, ce ministère particulièrement stable, en fonction depuis plus de quatre ans, a dès 2013 engagé l’opération Serval au Mali, et la prolonge par Barkhane, toujours en cours dans la bande sahélo-saharienne ; il a déclenché l’opération Chammal en Irak depuis septembre 2014, et l’a étendue à la Syrie en septembre 2015 ; il a lancé en 2013 en RCA l’opération Sangaris; il a enfin mis en place en novembre 2015 l’opération Sentinelle toujours en vigueur sur le territoire national. Qui donc est plus qualifié que lui pour désigner l’ennemi, et « penser l’action » qu’il mène inlassablement depuis le tout début du présent quinquennat ? Et, dans ce cadre, n’a t’il pas d’ailleurs été conduit à provoquer une décision d’importance majeure, celle d’annuler toutes les suppressions de postes- plus de 24 000 !- que l’on s’apprêtait  à pratiquer  dans les Armées ?

 

La France est donc en guerre, écrit le ministre, car elle n’est « plus en mesure de tenir la guerre à distance ». La formule est intéressante car elle permet de réaliser que la France ne se sent en guerre que lorsqu’elle est frappée sur son territoire. Ailleurs, nos Armées professionnelles défendent des intérêts, protègent des ressortissants, répondent à des alliances dans une sorte de « défense de l’avant » qui ne se veut en aucun cas « défense préventive », précise le ministre, mais qui, à vrai dire, y ressemble fort. Et qui conduit cet ennemi, attaqué sur son terrain, à nous frapper sur le nôtre. C’est ainsi qu’après Charlie Hebdo, l’hyper-casher, le Bataclan, Magnanville, et quelques autres crimes, l’attentat de Nice renforce à nouveau ce constat, et le citoyen est donc en droit de se demander pourquoi la France n’est plus en mesure de tenir la guerre à distance. La « défense de l’avant », censée détruire l’ennemi dans ses repaires lointains au Mali, en Irak, en Syrie,- actions que nous allons d’ailleurs intensifier après l’attentat de Nice-, aurait-elle échoué ? Au cours des derniers 18 mois, les attaques terroristes en France ont fait près de 250 victimes. Le ministère censé « penser l’action » penserait-il « mal » puisque l’action qu’il définit débouche sur l’échec ? Et il nous faudrait désormais en permanence en subir et supporter ses conséquences menaçantes; « vivre avec » ne craint pas de nous dire le Premier Ministre !

 

L’ennemi, le ministre le désigne avec clarté : c’est Daech. Point. Cela, le citoyen le comprend. Il sait que répondant à l’appel des autorités légales irakiennes, nous nous sommes engagés contre Daech dès septembre 2014 en Irak. Ce n’est qu’un an plus tard, après l’élargissement de nos actions au territoire syrien, que Daech nous a directement frappé à son tour, en novembre 2015, et a, depuis, revendiqué clairement les actions de Magnanville et Nice. Mais le citoyen se souvient aussi que lors de l’opération Serval déclenchée au Mali en 2013, notre ennemi était alors Al Qaïda, dans sa version « Maghreb islamique », que nous continuons à traquer sans relâche dans la bande sahélo-saharienne avec les modestes effectifs de l’opération Barkhane. Et le citoyen peut encore se souvenir qu’en Janvier 2015, c’est encore Al Qaïda qui nous a frappé à Charlie-hebdo, dans sa version « Péninsule arabique ». Enfin, si le citoyen rajoute donc sans hésiter Al Qaïda à la liste inachevée du ministre, il sent confusément qu’il s’agit là d’entités lointaines, de bandes armées plus ou moins militarisées. Il n’a pas du tout cette perception lorsque les terroristes nous frappent sur notre sol, car il sent que ceux-là possèdent une dimension particulière : Ils sont très majoritairement Français. Et  ce constat illustre qu’il existe bien, au sein de notre population, non pas une « cinquième colonne »,- que le ministre qualifie de « fantasme » -, mais des individus prêts à en former les rangs. Cette cinquième colonne, virtuelle, est celle des islamistes fondamentalistes, radicalisés ou non. Il y a quelques mois, ils étaient des centaines, disait-on. Ils sont aujourd’hui des milliers. Si l’on se fie aux statistiques du DPSD concernant le recrutement dans les Armées en 2015, près de 16 000 dossiers de « jeunes » auraient été refusés, pour des raisons de « sécurité »… Inquiétant ?

 

Laissons ici les innombrables experts disserter sur la manière dont les islamistes naissent, prolifèrent, se radicalisent, et passent à l’action. Le citoyen, lui, note que ces individus, formés ou non en zones de combat, souvent ratés, souvent délinquants, mais surtout révoltés contre notre société, sont des blocs de haine. L’attentat  qu’ils vont accomplir, sur ordre, ou à leur totale initiative, en est l’assouvissement suprême. Et leur action où ils brandissent l’étendard de Daech parce qu’il est l’ennemi conjoncturel désigné, est une sorte de rachat sacrificiel qui transforme le raté ou le délinquant en héros et martyr. Qu’ils se soient radicalisés sur internet, en prison, ou sous l’influence d’un guide salafiste, leur foi est d’une simplicité coranique. Ce qui est écrit dans le Livre saint est parole de Dieu, qui ne souffre aucune exégèse, et exige une  application littérale. La parole salafiste a ainsi coupé l’individu de la société réelle. Pour eux, l’Islam est une religion de paix sous réserve d’être pratiquée partout, pour tout, et par tous. Si le contexte ne s’y prête pas, on le change. Par la force, par le sabre. Le citoyen comprend alors que le combat à mener contre l’islamisme radicalisé ou non a au moins deux aspects. L’un, somme toute classique, se déroule loin de chez nous. Là bas, nos Forces combattent, à la mesure des moyens qui leur sont consentis. L’autre a lieu sur notre sol, et comporte un volet idéologique essentiel. Dans son livre, le ministre le qualifie même de « crucial », sans toutefois développer sa pensée dans la mesure où, dit-il, « on ne fait pas la guerre, au sens militaire, à une idéologie ».

 

Qu’allons nous donc alors lui opposer, sachant que notre arsenal dissuasif ou répressif, même rénové, réorganisé, renforcé, mobilisé, « urgentisé », n’y suffira pas, malgré les vibrants appels à l’union couverts par les huées et vociférations de nos Assemblées ! C’est alors que reviennent en mémoire les récents propos de M. Calvar, Directeur général de la Sécurité intérieure. Sa mise en garde contre de possibles affrontements intercommunautaires à venir,-« cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu » -, est sans équivoque. Et M. Calvar sait assurément que si les affrontements survenaient, ils ne seraient pas l’œuvre d’une « ultra-droite » fantomatique qu’il évoque peut-être au nom du « politiquement correct ». Ce sont des vagues furieuses de foules tueuses qui envahiraient nos rues. L’histoire de la guerre d’Algérie, présente encore dans bien des mémoires, nous en donne de sanglants exemples. C’est donc toute la communauté musulmane qui risque de payer durement le dévoiement criminel de cette minorité islamiste qui est en son sein, et dont elle sait ou devine les desseins. Alors que cette communauté musulmane, elle, dans son immense majorité, a résolument choisi la France. La voilà donc écartelée entre menaces et soupçons, pressentant qu’il lui faut, pour survivre, s’engager dans l’action. Ou bien subir les affres d’une « reconquista » à la française, et être condamnée à l’exode ; ou bien retrouver l’élan national de Mai 1958 quand les communautés s’unissaient, dans un élan fraternel mémorable, contre l’ennemi commun, le terroriste du FLN.

 

Pour éviter l’affrontement sanglant intercommunautaire qui menace, sous forme de guerre civile impitoyable, ne vaut-il donc pas mieux organiser, aux côtés et au sein  des forces de l’Etat, la participation active de la communauté musulmane dans un combat nécessairement intracommunautaire. Et comment ne pas comprendre que ce combat complexe à multiples facettes, adaptées aux situations locales, aura aussi pour conséquence de « dépolitiser » l’Islam, de le contextualiser en le ramenant du VIIème siècle au temps présent, et de le rendre enfin « soluble dans la République ». L’union nationale et la cohésion naissent de l’action commune, pas des péroraisons des hommes politiques.

 

M. Le Drian, avec l’aide de son cabinet civil, voulait formuler « une pensée de l’action ». Le soldat, lui, engagé dans l’action au nom de cette pensée, en découvre parfois les failles, et, humblement, souvent sans le dire, tente de les corriger. L’Etat de droit le guide, bien sûr, sans le brider. L’important reste de savoir vaincre un ennemi qui lui, ne s’en encombre pas.

                                                         

Général (2s) Bernard MESSANA


 

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Source : Général (2s) Bernard MESSANA