LIBRE OPINION du politologue Mustapha BENCHENANE : Moyen-Orient - Ennemi principal et ennemi secondaire.

Posté le lundi 15 février 2016
LIBRE OPINION du politologue Mustapha BENCHENANE : Moyen-Orient - Ennemi principal et ennemi secondaire.

Les rivalités entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

En exécutant le 2 janvier une personnalité chiite, le cheikh Nim Baqr-al Nimr, le régime saoudien avait certainement, en amont, mesuré les conséquences induites par un tel événement. Force est de constater que l’Arabie saoudite n'est pas un acteur de la stabilisation de la région. Elle est convaincue que l’Iran constitue une menace prioritaire pour elle, bien avant l' "Etat islamique". Il est vrai que cette organisation terroriste est issue de la matrice wahhabite, version rigoriste et simpliste de l’islam pratiqué en Arabie saoudite et que ce pays a exporté partout dans le monde. Mais ce que le régime de Ryad peine à comprendre, c'est que, maintenant, la créature est en train d'échapper à son créateur....Michel Jobert disait que l’Arabie était un "protectorat pétrolier américain".

On peut se demander si le pacte du " Quincy" passé en 1945 entre Roosevelt et le roi Ibn Saoud - pétrole contre sécurité - n’est pas aujourd'hui quelque peu dépassé. En effet, l'exécution de ce cheikh est surtout le symptôme de la perte de confiance des saoudiens dans leur protecteur américain et de la perte de confiance des saoudiens en eux mêmes. Ils sont dépités par           l'accord sur le nucléaire iranien, par leur impuissance à faire partir Bachar al Assad, par leur
inefficacité au Yémen, par leurs difficultés budgétaires, par la moindre dépendance pétrolière américaine car les États Unis vont devenir exportateur de cette matière première stratégique. Quant à ce que l’on nous présente comme une rivalité entre sunnites (l’Arabie) et chiites (l’Iran), ne s’agit il pas plutôt d’une rivalité entre les Arabes et les Perses, le discours religieux servant à "habiller"
une lutte pour le leadership régional ?

 

La seule vérité qui compte dans les relations internationales : les rapports de force.

 

Quand aux autres acteurs qui entendent peser sur la situation au Moyen Orient, que de temps perdu avant de redécouvrir le principe de réalité qui nous ramène sans cesse à la seule vérité qui compte dans les relations internationales : les rapports de force.

 

Convaincus que le régime syrien serait balayé en quelques mois comme le furent les dictateurs tunisien et égyptien, la plupart des pays occidentaux ont apporté leur soutien à l'armée libre de Syrie (ALS). Celle-ci est présentée de façon très positive, c'est à dire composée uniquement de « démocrates ». Dans le même temps, une seule phrase est censée tout dire sur le régime de Bachar Al Assad : « Un tyran sanguinaire qui massacre son peuple... » Aujourd'hui encore, la plupart des politiques et des «experts » répugnent à identifier la vraie nature du problème : il s'agit d'une guerre civile. Dans ce type de conflit, c'est l’État et le peuple qui implosent. C'est ce qui explique la multiplicité des acteurs. Cela favorise les ingérences étrangères. Le régime toujours en place à Damas, tout dictatorial qu'il est, continue de bénéficier du soutien d'une partie de la population, en particulier les minorités qui ont tout à craindre de la victoire des musulmans sunnites dont rien ne prouve qu'ils sont des démocrates.

           

Totalitarisme et dictature.

 

Dans ce type de situation caractérisée par la complexité, il est impératif de faire le tri entre les acteurs afin de distinguer l'ennemi principal de l'ennemi secondaire.

Cette démarche semble avoir échappée à la sagacité du Président Hollande et de son (ancien) Ministre des Affaires étrangères. Ils ont toujours exigé le départ de Bachar Al-Assad comme préalable à la mise en place d'une transition politique en Syrie. Le 2 juillet dernier, M. Fabius déclarait dans « Paris-Match » : « On ne choisit pas entre dictatures et terroristes ». Or le choix ne se pose pas en ces termes. En effet, il est entre ceux qui sont porteurs d'un projet politique totalitaire (Daesh-Al-Qaïda- El Nosra etc...) et d'autre part le régime dictatorial de Bachar Al-Assad. Entre le totalitarisme et la dictature, il y a une différence de nature et non de degrés. Quant à compter sur l'ALS, les événements ont largement démontré que cette organisation ne représente pas grand chose dans les rapports de force.

 

En allant à l'essentiel, des facteurs fondamentaux différencient le totalitarisme de la dictature.

Le premier prend possession du cerveau des individus qu'il maintient dans un carcan depuis leur naissance jusqu'à la mort. Il se veut tout puissant et c'est ainsi qu'il contrôle toutes les dimensions de la vie individuelle et collective. Rien ne lui échappe et tout dépend de lui. Pour réaliser cette emprise, il se sert de la propagande, omniprésente, et surtout, de la terreur de masse. Vers l'extérieur, il pratique le prosélytisme et il utilise tous les moyens pour étendre son influence au plus loin. C'est ce qui caractérise Daesh et c'est en cela que cette organisation est l'ennemi principal d'abord pour les peuples syrien et irakien et plus largement pour tous les musulmans, mais également pour les États de la région qui ont été complaisants avec l' «État islamique ». Daesh est aussi l'ennemi principal pour les musulmans chiites et en particulier pour l'Iran. Il l'est aussi pour les occidentaux à qui ces terroristes s'attaquent chaque fois qu'ils en ont la possibilité.

 

Quant à la dictature, il s'agit d'un régime d'une autre nature : pour l'essentiel, le dictateur interdit qu'on le conteste. Il utilise la violence contre ceux qui auraient la moindre velléité de s'opposer à lui. Il a recours à une propagande grossière qui ne trompe pas grand monde et il bénéficie d'une base sociale de soutien. Le régime de Bachar Al-Assad en Syrie présente ces caractéristiques auxquelles il faut ajouter une certaine conception de la laïcité, ce qui a permis le pluralisme confessionnel. Il convient aussi d'avoir à l'esprit que ce régime est soutenu par la Russie et par l'Iran chiite, ce qui est loin d'être insignifiant.

           

Identifier l’ennemi pour constituer une alliance.

 

C'est l'identification, en ces termes, de l'ennemi principal qui est le vrai préalable à la constitution d'une alliance rassemblant tous ceux qui souscrivent à cette analyse.

Cela amènerait les armées de la région à intervenir au sol, ce qui consoliderait les effets des frappes aériennes qui, à elles seules ne permettraient pas de vaincre l'ennemi commun. Mais tout cela ne serait efficace que si les armées arabes reçoivent une aide dans le domaine de la formation et de l'encadrement par des forces spéciales. C'est dans ces domaines que les pays occidentaux peuvent jouer un rôle important, à condition que leur présence au sol soit la plus discrète possible.

 

Il ne faut pas négliger la dimension politique. En Irak, des pressions doivent être exercées sur le régime de Bagdad afin qu'il s'ouvre aux sunnites exclus de toute responsabilité depuis 2003. Cela permettrait de semer la «discorde chez l'ennemi », en détachant de Daesh ceux qui étaient proches du régime de Saddam Hussein et qui ont rejoint cette organisation par dépit, frustration, ressentiment, à l'égard des chiites qui ont le monopole du pouvoir.

Une fois l'ennemi principal vaincu, il appartiendra aux peuples syrien et irakien de choisir leurs dirigeants en ménageant une transition politique et en ayant le souci de garantir la sécurité aux minorités.

 

 

 

Mustapha BENCHENANE

Politologue (Université Paris-Descartes)

Conférencier au Collège de Défense de l'OTAN

Source : Mustapha BENCHENANE