LIBRE OPINION : Fermeture du Val-de-Grâce, budget de la défense en baisse : l'inquiétant désarmement français

Posté le vendredi 17 octobre 2014
LIBRE OPINION : Fermeture du Val-de-Grâce, budget de la défense en baisse :  l'inquiétant désarmement français

Nos capacités d'action extérieure constituent aujourd'hui le socle de nos capacités conventionnelles de défense, au sens où la défense a pour objet, face à une menace majeure, la préservation de nos intérêts vitaux, c'est-à-dire la survie de notre pays et de sa population et la sauvegarde de son intégrité territoriale.

Si cette perte de poids et d'influence institutionnels du militaire est des plus préoccupantes car le rôle des autorités militaires est de veiller sur la capacité de la nation à faire face par les armes aux enjeux de défense, elle est malheureusement à corréler avec le démantèlement en cours de l'outil d'action extérieure.

Défense des intérêts vitaux et action extérieure

Or, les opérations extérieures, qui ont pour but d'affirmer et protéger des intérêts stratégiques ou de puissance, sont tributaires de choix politiques contingents et contestables par essence. Les opérations extérieures relèvent ainsi du relatif et, en l'absence de référentiel objectif, ouvrent la tentation de considérer la défense comme une variable d'ajustement budgétaire, au demeurant d'autant plus facile à manipuler que le militaire est «aux ordres» et ne saurait contrevenir au dogme du «devoir de réserve». Bien plus, le concept même d'action extérieure, tel qu'il est décliné depuis quelques décennies, concourt au déclassement institutionnel du responsable militaire. En effet, à la différence de l'engagement de forces pour la défense des intérêts vitaux, qui s'impose au politique et le contraint au dialogue avec le militaire auquel il doit in fine s'en remettre pour obtenir la victoire, les opérations extérieures induisent une relation très nette de subordination totale du militaire au politique qui «conserve la main» tout au long du processus d'action militaire.

L'engagement extérieur étant un choix éminemment politique et non, à la différence de la défense, une irréfutable obligation, il revient au seul politique de l'assumer, le militaire n'étant alors qu'un «conseiller» parmi d'autres, et ce d'autant plus que la nature multiforme des crises a conduit pour les résoudre à développer des concepts «d'approche globale» civilo-militaire. De plus, la légitimité incertaine des engagements et la pression de média omniprésents sur les théâtres d'opération conduisent le politique à un entrisme permanent dans la micro-conduite de l'action des forces et font plus qu'empiéter sur le «domaine de compétence» du militaire, tout en ouvrant incidemment la porte à la judiciarisation des opérations. Le militaire, exécutant d'une décision sur laquelle il n'a guère de prise, devient ainsi pour la classe politique un simple technicien.

Cette tendance lourde a trouvé une nouvelle traduction récemment, en donnant aux militaires le strapontin qu'ils occupent désormais au sein du ministère de la défense. Le rapport de forces ainsi établi conduit par ailleurs, pour les choix de défense, à un «dialogue» plus que tronqué entre politique et militaire et les considérations «techniques» des militaires, fussent-elles de haut niveau, ne pèsent pas lourd au regard des impératifs «politiques» ou économiques.

Le militaire doit veiller à la cohérence entre les missions et les moyens

Si cette perte de poids et d'influence institutionnels du militaire est des plus préoccupantes car le rôle des autorités militaires est de veiller sur la capacité de la nation à faire face par les armes aux enjeux de défense, elle est malheureusement à corréler avec le démantèlement en cours de l'outil d'action extérieure qui est, s'agissant de nos forces terrestre, la pierre angulaire de la défense de notre pays.

A ce désarmement plus qu'inquiétant s'ajoute désormais la question de l'incohérence croissante entre ce qui reste de forces construites pour l'action au quotidien et les moyens budgétaires qui leur sont alloués.

En effet, en 1996, avec la professionnalisation, la priorité pour les forces conventionnelles a été donnée aux capacités de projection extérieure au détriment du concept d'armée de conscription orientée vers la défense du territoire, mais ce choix stratégique prenait en compte de manière induite l'essentiel des préoccupations relatives à un éventuel besoin de défense du territoire. Car en mettant sur pied une force polyvalente, en mesure de participer à tous les types d'OPEX possibles, il permettait de conserver les éléments fondamentaux de remontée en puissance d'un corps de bataille terrestre, si d'aventure une surprise stratégique devait conduire à recréer l'indispensable couplage dissuasion nucléaire- forces de bataille pour que la dissuasion ne puisse être contournée d'emblée. De fait, les attendus de 1996 n'excluaient ni la participation à un conflit régional de forte intensité, ni la résurgence d'une menace majeure.

Au-delà, le potentiel réalisé devait permettre la prise en compte de l'éventualité de troubles majeurs sur le territoire impliquant un engagement des forces armées en complément, voire en substitution, des forces de sécurité, dès lors que celles-ci seraient confrontées à une ampleur des troubles et un niveau de violence excédant leurs capacités. La détention d'un corps professionnel aguerri, familier de la maîtrise de la violence et des interventions en zone urbaine, répondait pour l'essentiel à ce souci

Notre stratégie d’action remise en cause faute de ressources suffisantes

Or, ce modèle se prive progressivement, faute de ressources, des quelques moyens terrestres lourds (chars, artillerie), des moyens aéroterrestres ainsi que des effectifs que ses concepteurs avaient conservés dans la perspective de disposer d'une force réellement apte à marquer au sol , hors comme sur le territoire national, notre volonté de ne pas subir.

En privant progressivement notre outil de défense de capacités essentielles, et notamment en remettant en cause, de manière plus ou moins dissimulée, ses capacités de projection de forces, c'est toute la stratégie d'action à l'origine du modèle qui est désormais mise en jeu.

A ce désarmement plus qu'inquiétant s'ajoute désormais la question de l'incohérence croissante entre ce qui reste de forces construites pour l'action au quotidien et les moyens budgétaires qui leur sont alloués. En effet, à la différence des stratégies dissuasives, défensives ou «d'attente», reposant sur un modèle de forces incomplètes et tributaires d'une montée en puissance passant par la mobilisation des hommes et des moyens, les stratégies d'action ne souffrent pas les impasses capacitaires. Elles nécessitent de disposer en permanence d'une ressource humaine apte aux missions offensives et suffisamment étoffée pour autoriser l'engagement dans la durée qui caractérise la plupart des opérations de gestion de crise. Il faut aussi souligner que les stratégies d'action mettent directement et quotidiennement en cause la responsabilité de ceux qui décident de l'engagement d'une part, et de ceux qui le conduisent d'autre part, ce qui devrait faire réfléchir…

Il est donc urgent, qu'outre le nécessaire respect des impératifs d'une stratégie d'action, nos autorités politiques comprennent que l'évolution en cours conduit à une impasse: en privant progressivement notre outil de défense de capacités essentielles, et notamment en remettant en cause, de manière plus ou moins dissimulée, ses capacités de projection de forces, c'est toute la stratégie d'action à l'origine du modèle qui est désormais mise en jeu, avec pour conséquence, à court terme, notre impuissance à conduire une politique extérieure autre que celle des vœux pieux. Au-delà, ce sont nos capacités à surmonter des troubles intérieurs graves qui sont également affectées alors que nos capacités de remontée en puissance en cas de surprise stratégique majeure sont réduites à leur plus simple expression. Nous sommes dès lors condamnés à une totale dépendance vis-à-vis du grand allié américain ou à un «tout ou rien nucléaire» totalement illusoire.

 

Auteur : Jean-Claude THOMANN Général de corps d'armée (2S)

Ancien commandant de la Force d'Action Terrestre,

Professeur associé à Sciences-Po

Administrateur de l’ASAF

Source : Le Figaro

 

 

 

Source : Auteur : Jean-Claude THOMANN