LIBRE OPINION : Ils détruisent, nous aidons à reconstruire

Posté le samedi 06 septembre 2014
 LIBRE OPINION :  Ils détruisent, nous aidons à reconstruire

Benjamin Blanchard est le trésorier de l’association SOS Chrétiens d’Orient, présente pendant tout l’été et jusqu’à aujourd’hui en Irak, mais également en Syrie où des bénévoles viennent de passer quinze jours.

Vous étiez en Syrie à Noël déjà. La situation a-t-elle changé ?

Oui, la situation a changé. À Noël, nous n’étions pas sortis de Damas. Cet été, nous avons pu nous rendre à Maaloula, mais également à Homs, Yabroud et Sidnaya. À Noël, Maaloula, Homs et Yabroud étaient aux mains des rebelles islamistes. Depuis le printemps, ces villes ont été reconquises par l’armée arabe syrienne avec l’aide du Hezbollah, comme toute la province de Homs et une grande partie des monts du Qalamoun. À Damas aussi, la situation a évolué. Plusieurs quartiers ont été reconquis par l’armée régulière. Les contrôles aux barrages sont moins stricts, ce qui réduit les temps de transport dans Damas, et les soldats ont l’air moins nerveux, plus sereins, les habitants recommencent à sortir le soir. Lors de notre dernière visite, ils craignaient d’être dehors après le crépuscule en raison des enlèvements ; désormais, les rues sont pleines jusque tard dans la nuit, les restaurants et les bars sont remplis. Cependant, les roquettes continuent à tomber sur la ville depuis les quartiers tenus par la rébellion. Les Damascènes racontent qu’elles tombent de manière aléatoire, sans aucune logique ni objectif. Les civils sont, évidemment, les premiers à pâtir de ces roquettes mais ils s’y sont habitués, si j’ose dire, et ne veulent plus s’interdire de vivre normalement. C’est leur manière de résister aux islamistes.

Vous alliez financer la restauration d’une église à Maaloula. Pourquoi ce choix ?

Maaloula est un symbole pour la Syrie et la France. C’est un village majoritairement chrétien et l’un des principaux et plus anciens sanctuaires en Syrie. De plus, la prise de Maaloula par les islamistes en septembre dernier, puis l’enlèvement des religieuses orthodoxes du couvent Sainte-Thècle et enfin la libération de la ville en avril 2014 par l’armée syrienne ont suscité quelques articles de presse en France. Les événements de Maaloula sont presque les seuls à avoir été couverts par la presse française pendant cette longue guerre syrienne. Tous les Français connaissent donc Maaloula.

En finançant la remise en état de l’église Saint-Georges, qui est l’église paroissiale pour les grecs-melkites catholiques, nous voulons donc donner un signal fort tant aux Syriens qu’aux Français : « Ils détruisent, nous aidons à reconstruire ! » Nous voulons en faire un symbole de la ferme volonté des Syriens de continuer à vivre ensemble même si cela peut leur sembler difficile pour l’instant. Malgré le déferlement de haine des islamistes – notamment contre les chrétiens mais également contre toutes les minorités et contre les sunnites qui refusent l’application de la charria –, les chrétiens montrent qu’ils continuent de croire dans leur pays en reconstruisant leur église.

Quelle est la situation à Maaloula ?

Après sept mois d’occupation par des bandes armées islamistes, proches pour certaines du Front Al-Nostra (membre d’Al-Qaïda) ou de l’État islamique, l’armée arabe syrienne a reconquis le village le 14 avril 2014, avec l’aide du Hezbollah et des gardes armés du village. Notre visite à Maaloula, en compagnie du patriarche Grégoire III Laham, fut très émouvante.

Immeubles éventrés, maisons pillées depuis les meubles jusqu’aux fils électriques, églises profanées… Maaloula est méconnaissable. L’hôtel de luxe qui surplombait la ville n’est plus qu’une ruine.

L’église du couvent Sainte-Thècle, où se trouvaient les religieuses enlevées, est calcinée. Ses icônes anciennes et les reliques de la sainte n’ont été sauvées que grâce à la présence d’esprit des sœurs qui les avaient recouvertes de chaux. L’église Saint-Georges n’est plus utilisable : coupole crevée, sol fracassé, fenêtres arrachées, iconostase entièrement brûlée… Systématiquement, les yeux des icônes ont été criblés de balles.

Les habitants qui se relaient pour nous offrir un café posent tous la même question : « Vous dites en Europe que les rebelles combattent pour la liberté et la démocratie. Mais dans ce cas, pourquoi pillent-ils nos maisons ? Pourquoi profanent-ils nos églises et crèvent-ils les yeux de nos icônes ? » Régulièrement, on nous rappelle le slogan en vogue au début des manifestations dans la province voisine de Homs: « Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au tombeau »…

Les Syriens continuent-ils à espérer ?

Plus que jamais ! C’est ce qui est le plus impressionnant. Nous avons été saisis par leur volonté de reconstruction (alors même que la guerre est loin d’être terminée), par leur volonté de vivre normalement malgré les pluies de roquettes sur Damas, par leur conviction qu’il est encore possible aux chrétiens et aux musulmans de vivre ensemble en Syrie et leur détermination à le prouver.

Nous sommes repartis de Syrie en nous sentant bien petits par rapport à ces hommes et ces femmes courageux et fiers dans la tourmente qui frappe leur pays.

Entretien avec Benjamin BLANCHARD réalisé par Charlotte d’ORNELLAS

 

Source : Entretien avec Benjamin BLANCHARD réalisé par Charlotte d’ORNELLAS