LIBRE OPINION : Interview du général (2) Vincent DESPORTES

Posté le mardi 17 novembre 2015
LIBRE OPINION : Interview du général (2) Vincent DESPORTES

Interview du général Vincent DESPORTES

Attentats à Paris : pourquoi la France est la première cible de Daech

Forces militaires mal employées, absence de stratégie européenne commune… Le général Vincent Desportes, ancien directeur de l'Ecole de guerre, dénonce les failles de la lutte contre Daech. Interview.
Le général Vincent Desportes vient de publier "la Dernière Bataille de France. Lettres aux Français qui croient encore être défendus" (Gallimard, 2015).

 

Il y a dix jours vous annonciez sur France Inter un risque majeur d’attentat de masse en France. Cette tragédie était donc prévisible ?

- Hélas, oui. Soyons clairs : nous sommes en guerre. Quand on abat un avion dans le Sinaï avec 200 passagers à bord, quand on tue plus de 100 citoyens à Paris, il s’agit bien d’une guerre. Elle a changé de visage et de nature ; ce n’est pas une guerre mondiale, mais c’est une guerre mondialisée. Une guerre qui vise la France, nos valeurs, notre mode de vie, nos libertés.

Malheureusement, la France n’a pas voulu reconnaître cet état de guerre, et ne s’est pas donné les moyens d’assurer la protection du territoire national. Or, il était évident qu’il y aurait des attentats de masse. Il s’agit là d’une attaque coordonnée, préparée avec un nouveau mode opératoire, et il est malheureusement probable qu’il y en ait d’autres… Face à ce danger, le déploiement de 1.500 militaires dans la cadre de l’opération Sentinelle n’est pas efficace. C’est absurde d’utiliser les militaires comme un stock de vigiles postés devant des lieux de culte.

Il faut aussi revoir nos priorités, puisque les moyens sont limités. Sans doute faudra-t-il se désengager de certaines opérations extérieures. Je rappelle qu’au Sahel, nous avons 3.500 soldats déployés sur un territoire grand comme l’Europe. Il faut redéployer des forces sur le territoire français, et mieux les utiliser sur le terrain.

En même temps, la lutte contre le terrorisme au Sahel est décisive. Est ce qu’on ne risque pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ?

- Exactement. On enlève des troupes du Mali pour en envoyer en Centrafrique, on se retire trop tôt de Centrafrique pour envoyer des hommes ailleurs… Mais en même temps, on n’a pas le choix. Les moyens alloués, en baisse constante, ne sont pas suffisants, l’enveloppe est trop petite. Résultat : la défense de notre pays s’est délitée. On ne peut pas jouer avec la sécurité des Français. Il faut supporter l’effort de guerre, avec tous les sacrifices que cela comporte. Les Français doivent s’y préparer et accepter de renoncer à une partie de l’Etat Providence au bénéfice de la sécurité.

En même temps, la France est bien seule sur quantité de théâtres. Avons-nous les moyens de nos ambitions ?

- On n’a pas le choix. La France n’est pas le Liechtenstein. Si elle veut continuer à peser sur le règlement des affaires du monde, elle doit se doter des moyens nécessaires. Jean-Claude Junker l’a dit, "la défense de l’Europe, c’est l’armée française." Certes, nous sommes sur-engagés par rapport à nos moyens, mais pas par rapport aux risques encourus, qui sont eux, de plus en plus importants. Maintenant, l’Europe doit arrêter de tergiverser, et surtout déterminer, d’urgence, une stratégie commune.

La France se retrouve seule car la majorité des pays font comme si cette guerre n’existait pas. D'autres ont abandonné ces questions de sécurité aux Etats-Unis, sans réaliser que ceux-ci ont refermé le parapluie. Or cette menace nous concerne tous. L’Espagne, la Belgique, le Danemark ont déjà été frappés, et ça va continuer. Il faut que les Européens se prennent en main. Cet attentat est une déclaration de guerre. Il faut une réponse commune et adaptée.

 

Comment faire quand personne n’est d’accord ?

- Une réponse militaire n’est jamais qu’un pis-aller. Elle ne permet pas de régler tous les problèmes, mais elle doit permettre de créer une situation autorisant des solutions stratégiques et politiques. On ne viendra pas à bout de Daech sans vision commune entre les différents pays. Il faut à tout prix que la France, les Etats-Unis, la Turquie, Israël, mais aussi la Russie et l’Iran travaillent ensemble à élaborer une vision future du Moyen-Orient. Même si les positions sont éloignées, il faut trouver un compromis à partir duquel on va pouvoir établir une stratégie.

L’immense avantage de Daech sur nous, c’est qu’eux ont une stratégie, une vision, une ambition très claire, qu’ils poursuivent inexorablement alors que nous, en face, nous n’avons aucune stratégie, nous avons au mieux une tactique. Et c’est pourquoi depuis août 2014, nous n’avons cessé de perdre du terrain. 

Selon vous, il faudrait donc s’allier avec Poutine, et soutenir Bachar al-Assad

- Il faut hiérarchiser les problèmes. Daech, est aujourd’hui notre problème numéro un, beaucoup plus menaçant sur l’échelle des risques que le problème d’Assad. La priorité des Russes n’est pas de maintenir Assad. On l’oublie, mais Poutine a même envisagé de le destituer il y a deux ans. Mais quels choix avons-nous ? Il faut être pragmatique. Trois forces sont aujourd’hui en mesure de s’imposer en Syrie : le Front al-Nosra, un groupe salafiste allié à al-Qaïda ; Daech et Assad. Cette troisième option n’est pas satisfaisante, mais c’est la moins menaçante. Il faut être réaliste. Daech ne sera détruit que si on arrive à mettre en place une stratégie commune. Ce 13-Novembre est un brutal retour au réel.

Difficile pourtant de lutter pour la démocratie en s’alliant à ceux qui la bafouent quotidiennement ?

- Il n’y a que les nantis pour s’adonner à des leçons de morale. Assurer la sécurité intérieure doit être la priorité du gouvernement. En 1941, quand il a fallu s’allier avec Staline contre le péril nazi, on l’a fait sans se poser de question. Comme le disait Churchill, "les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts."

Maintenant, il faut aussi faire évoluer notre stratégie militaire. Aucune guerre n’a été gagnée seulement avec des bombardements aériens. On ne peut pas raser les villes pour les libérer. Des combats au sol ne règleront pas un problème qui est avant tout politique. Dans le cadre d’une stratégie commune, il faudrait que tout le monde tire dans le même sens, que le président turc Erdogan mette fin, par exemple, aux trafics de pétrole à la frontière turco-syrienne, ce qui assècherait les finances de Daech. Là encore, il faut une stratégie globale, militaire, sociétale, et diplomatique.

Propos recueillis par Natacha TATU
Source l’Obs Attentats

Source : Natacha TATU