LIBRE OPINION : Paie des militaires : comment sortir du cauchemar Louvois

Posté le mardi 09 décembre 2014
LIBRE OPINION : Paie des militaires : comment sortir du cauchemar Louvois

Par Nathalie GUIBERT - Le Monde

Louvois, le calculateur défectueux de la paie des militaires, est devenu un coûteux cauchemar. Comme chaque année depuis son arrivée au ministère de la défense, Jean-Yves Le Drian a prévu de se rendre, vendredi 5 décembre, au régiment d’artillerie de montagne de Varces (Isère) pour évoquer avec les soldats l’état d’avancement du chantier visant à réparer ce désastre. Un pèlerinage en sorte : c’est à Varces qu’il avait découvert l’ampleur du problème. Une solution est promise à partir de 2016, au mieux.

           Le sujet est si sensible que, pour la première fois, mercredi, la Direction générale de l’armement (DGA) a présenté, en pleine procédure d’appel d’offres, les prototypes des nouveaux systèmes informatiques susceptibles de remplacer Louvois. Trois entreprises sont candidates. Le choix du prestataire sera fait « au premier semestre 2015 », a indiqué l’ingénieure générale de l’armement Caroline Gervais, qui pilote ce projet « comme un véritable programme d’armement ». Les premiers tests grandeur nature sont prévus à partir du début 2016. Les services de ressources humaines géreront alors un système de double fiche de paie le temps que le successeur de Louvois, pour l’heure baptisé « Source solde », soit pleinement validé. Le montant du contrat n’est pas rendu public.

            Depuis octobre 2011, plus de 100 000 militaires de tous grades ont vu leur fiche de paie devenir folle : des mois à zéro, d’autres au contraire trop élevés, mais aussi de nombreuses primes non versées. Le sujet a particulièrement touché l’armée de terre. En janvier 2012, deux mois après la bascule sur le nouveau système, les services du ministère découvraient que 40 000 « indemnités de service en campagne », la prime que touchent tous les soldats envoyés combattre en opération extérieure, n’étaient pas payées, certains défauts remontant même à 2010…

« Moins-versés » et trop-perçus

            Depuis, il a été recensé 116 000 anomalies, pour les 170 000 militaires de l’armée de terre, de la marine et du service de santé concernés par Louvois (l’armée de l’air, devant le désastre, a différé la décision de basculer dans le système). Le ministère a lancé un plan d’urgence fin 2012. Près de six cents contractuels ont été recrutés en urgence pour gérer les bugs, dans le centre de traitement des soldes de Nancy. Le ministère a déboursé près de 53 millions d’euros pour régulariser des situations de « moins-versés ». Les trop-perçus s’élèvent à environ 200 millions d’euros par an.

            La paie des militaires est la plus complexe des agents de l’Etat. L’on compte 174 primes différentes selon les services, et, pour tout le monde, quelque « 250 éléments de rémunération » entrent en ligne de compte. « La paie de 50 % des militaires change d’un mois sur l’autre », a rappelé l’IGA Gervais. Or les armées ne peuvent, avec Louvois, ni contrôler les dérapages, ni retrouver l’historique des erreurs, ni les corriger correctement.

            C’est ainsi que les premiers soldats arrivés le 8 décembre 2013 en Centrafrique en plein massacres interreligieux n’ont pas été payés pendant deux mois : « Le système informatique des ressources humaines ne connaissait pas cette opération qui a été déclenchée en urgence, les gens n’ont pas été payés car notre référentiel financier n’est pas corrélé au référentiel d’activité », a expliqué mercredi le colonel Patrick Merian, officier chargé du dossier à la DRH du ministère.

            La solution informatique requise n’existe pas sur le marché et doit être développée. La DGA a mobilisé dix-sept experts des « programmes complexes », des spécialistes capables aussi bien de travailler sur les nouveaux sous-marins nucléaires que sur l’architecture informatique de la défense. Mais aussi, sous la houlette d’un officier de la direction des ressources humaines, vingt-cinq « utilisateurs » internes.

Nathalie GUIBERT

Note de l’ASAF :

Le Ministre de la Défense avait été informé des disfonctionnement du logiciel de paiement des soldes « Louvois », peu après sa prise de fonctions en mai 2012, par le chef d’état-major de l’armée de Terre.

En décembre, lors d’une visite à Varces, un militaire du rang lui avait fait part des problèmes qu’il rencontrait avec sa solde. Le ministre de la Défense s’est alors attaché personnellement à traiter le problème aux conséquences inadmissibles.

Source : Le Monde