LIBRE OPINION : Repentance coloniale

Posté le mardi 26 mai 2015
LIBRE OPINION : Repentance coloniale

Une fois n’est pas coutume, j’ai voulu regarder le débat télévisé qui opposait la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, au député UMP Bruno Lemaire à propos de la réforme du collège. Hélas, les débateurs ont beaucoup soliloqué simultanément, rendant trop souvent leurs propos inaudibles. C’était consternant. L’un des rares moments où Bruno Lemaire a pu terminer une phrase concernait les programmes d’histoire. Cette phrase avait plutôt bien commencé, avec l’affirmation décomplexée que les jeunes Français devraient recevoir un enseignement grâce auquel ils pourraient être fiers de partager un "récit national" commun.
Objurgation du présentateur de service : "Mais, il faut aussi s’ouvrir au monde !". Surenchère de la ministre : « Il faut regarder en face les heures les plus sombres (etc.)… ».

Et là, patatras, le beau château de cartes que Bruno Lemaire tentait d’édifier s’écroule subitement : Bien sûr, répond-il, il faut savoir regarder en face les heures les plus sombres, la colonisation… Non mais franchement !

Est-ce que Monsieur Lemaire entend faire aimer notre pays par les émigrés et leurs descendants, presque tous issus de nos anciennes colonies, s’il se fait le relais complaisant de toutes les idioties que l’on raconte aujourd’hui sur l’entreprise coloniale ? Comme disait Raoul Follereau : « Ce n’est pas les aimer que de leur demander pardon des fautes que nous n’avons pas commises. »
 
Sur le principe, on peut très bien être en désaccord avec l’entreprise coloniale. L’idée (de gauche) de créer des colonies d’exploitation était philosophiquement contestable et, dans sa réalisation, ouverte à tous les abus. Mais, sur l’ensemble du fait colonial, il existe un bilan contrasté, avec du positif et du négatif. Ne voir que l’un ou l’autre relève de l’aveuglement idéologique ou de l’imbécillité.
 
Vingt années de recherches sur l’Indochine française, l’accès à toutes sortes d’archives, la confrontation d’innombrables témoignages de colonisateurs et de colonisés, la fréquentation assidue des pays de l’ex-Indochine, les travaux entrepris là-bas en collaboration avec d’anciens coloniaux et la jeunesse de ces pays, tout cela m’a conduit à une vision de la présence française en Indochine qui ne peut pas, qui ne peut plus supporter les crétineries idéologiques que l’on rabâche aujourd’hui.
Monsieur le présentateur de service, nos grands-parents ne vous ont pas attendu pour « s’ouvrir au monde ». Nos « grands-parents », en Indochine, s’appelaient Henri Marchal, de l’École Français d’Extrême-Orient, "le bon génie" des temples d’Angkor, Léopold Cadière, des Missions Étrangères de Paris qui remit à jour l’histoire magnifique du Vietnam, Auguste Pavie qui pacifia le Laos sans un coup de feu et créa l’École coloniale.

Ils s’appelaient aussi Jean Cassaigne, l’apôtre des Lépreux, ou Alexandre Yersin, qui vainquit la peste. Pour ces deux derniers, leurs sépultures sont encore honorées et leur mémoire est toujours l’objet d’une vénération dans le Vietnam d’aujourd’hui. Les Vietnamiens ne les ont pas oubliés, nous si. C’est là qu’est le problème.
Ils furent des centaines d’hommes exceptionnels qui accomplirent ainsi des œuvres admirables, de façon totalement désintéressée, au service des peuples colonisés. Et il y en eut des milliers d’autres pour les suivre et les seconder, parfois pour mourir à la tâche à leurs côtés.


Alors, ceux qui donnent des leçons « d’ouverture » feraient bien d’aller en prendre quelques-unes auprès de ces exemples de « colonialistes », aujourd’hui interdits de séjour dans nos livres d’histoire. C’est à ce prix que tous les Français pourront peut-être un jour être fiers d’un « récit national ». Quitte à faire hurler les bienpensants, une des premières choses à faire pour remettre l’histoire à l’endroit serait de rebaptiser de son vrai nom le musée des colonies, transformé en un dérisoire « musée de l’immigration », comble du ridicule et symbole d’une inversion des valeurs sur laquelle on ne construira jamais rien de bon.

 

 

Source : Paul RIGNAC