UKRAINE : Un accord de paix imparfait et fragile

Posté le jeudi 12 février 2015
UKRAINE : Un accord de paix imparfait et fragile

Par Yves-Michel Riols - LE MONDE, le  12.02.2015

L’accord sur l’Ukraine arraché dans la douleur, jeudi 12 février à Minsk, est forcément imparfait et fragile. Mais, en son absence, le scénario était écrit d’avance. La poursuite de la guerre masquée que mène la Russie en Ukraine depuis bientôt un an, avec son corollaire de tragédies quotidiennes : des victimes civiles de plus en plus nombreuses, des villes rasées et un flux incessant de réfugiés.

Dans ce contexte, la question n’était pas tant de savoir s’il était possible de parvenir à une paix « juste », mais d’esquisser une méthode pour freiner le bain de sang. Le président russe, Vladimir Poutine, a lâché le minimum : l’engagement à œuvrer à la mise en place d’un cessez-le-feu dans l’est de l’Ukraine, à partir du dimanche 15 février. De son côté, le président ukrainien, Petro Porochenko, a précisé que le retrait des armes lourdes commencera deux jours plus tard et que les deux camps auront 19 jours pour libérer leurs otages. Quant à François Hollande, il a évoqué un « espoir sérieux, même si tout n’est pas encore accompli », lors d’une déclaration commune, jeudi, aux côtés de la chancelière allemande, Angela Merkel.

Une fausse retenue

Vladimir Poutine pouvait difficilement faire moins et renvoyer, à nouveau, François Hollande et Angela Merkel les mains vides, comme il l’avait fait la semaine dernière, à Moscou. L’affront aurait été total alors que les dirigeants français et allemand avaient pris le lourd risque de briser le cordon sanitaire diplomatique autour de M. Poutine en se rendant dans la capitale russe, le 6 février, après s’être déplacés, la veille, à Kiev.

En cela, M. Poutine est resté prévisible. Depuis le début du conflit en Ukraine, il a, à chaque fois, feint la retenue à l’approche des rencontres des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) pour désamorcer les représailles. Le même scénario vient de se répéter puisque M. Hollande et Mme Merkel sont attendus, jeudi à Bruxelles, pour une réunion de l’UE, où la question de nouvelles rétorsions contre la Russie aurait forcément dominé les débats en cas de fiasco à Minsk.

Autre élément prévisible : Vladimir Poutine tient rarement parole. Il ne comprend que le rapport de force et le fait accompli. La Russie n’a jamais respecté les premiers accords de Minsk, conclus le 5 septembre 2014. Elle a continué à envoyer des hommes et du matériel militaire à travers une frontière dont elle s’est arrogé le contrôle. Et si M. Poutine n’a pas donné suite aux nombreuses tentatives d’ouvertures diplomatiques menées sans relâche par le couple franco-allemand depuis des mois, c’est qu’il ne cherche pas à stabiliser l’Ukraine. Au contraire, il veut affaiblir le gouvernement de Kiev par tous les moyens, militairement, économiquement et politiquement.

Affaiblir Kiev

Même si elle est déplaisante, la question qui se pose désormais est celle du moindre mal. Une « guerre totale », selon l’expression de M. Hollande, serait une catastrophe pour l’Ukraine. L’armée ukrainienne, à en croire les experts militaires, n’a ni les moyens, ni le savoir faire pour reconquérir le Donbass. Une telle option aurait un coût humain et social phénoménal. De plus, les Européens estiment, à tort ou à raison, qu’une telle stratégie ferait le jeu de M. Poutine, qui ouvrirait alors davantage les vannes de l’armement russe aux séparatistes de l’est de l’Ukraine.

Dans l’immédiat, les prochaines semaines vont donner lieu à d’épineuses tractations sur la mise en œuvre de « Minsk 2 ». Les paramètres sont connus – statut des territoires de l’est du pays, contrôle de la frontière, étendue de la zone sous influence des séparatistes, échange de prisonniers, etc. Si compromis final il y a, il se traduira forcément par une forme de mise sous tutelle russe d’une partie du territoire ukrainien. Le tout étant de savoir jusqu’où ira cette emprise. « Nous sommes engagés dans un conflit de longue durée, il faut se préparer à vivre avec la menace russe pendant 20 à 30 ans », prédit un diplomate ukrainien.

Bataille économique

Face à ce scénario prévisible au goût amer pour les Ukrainiens, les Européens disposent néanmoins d’une boîte à outils. Elle n’est pas spectaculaire, mais elle peut être efficace, sur le long terme. Dans un premier temps, les Vingt-Huit peuvent maintenir les sanctions contre la Russie, tant que Moscou continuera sa campagne de déstabilisation de l’Ukraine. Et à défaut de livrer une bataille militaire, les Européens peuvent s’engager, avec les Etats-Unis, dans la bataille économique en octroyant massivement de l’aide à l’Ukraine. Pour éviter qu’à la déroute militaire s’ajoute aussi l’effondrement social.

Ce n’est pas un hasard si Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international, a proposé, jeudi matin, l’octroi d’un nouveau prêt de 17,5 milliards de dollars (15,5 milliards d’euros) sur quatre ans à l’Ukraine. Une somme sans doute insuffisante au regard des défis à surmonter. Le financier George Soros a récemment estimé que l’Ukraine aurait besoin d’un « plan Marshall » de l’ordre de 40 milliards de dollars (35 milliards d’euros). Quoi qu’il en soit, si l’Ukraine devient un Etat failli, Vladimir Poutine aura atteint tous ses objectifs.

 Yves-Michel Riols

Source : Le Monde