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ALGERIE : Humiliation

Posté le jeudi 11 mars 2021
ALGERIE : Humiliation

« Un Président ne devrait pas dire ça ! » écrivaient Fabrice Lhomme et Gérard Davet.
En 2016, cette critique des surprenants propos alors tenus par M. Hollande avait marqué les esprits ; elle pourrait assurément s’appliquer à ceux aujourd’hui tenus par le président Macron à propos de « l’affaire Boumendjel ».

En effet, « Au nom de la France », sans le moindre débat préalable au sein d’une quelconque Assemblée, le président Macron vient de reconnaître qu’en mars 1957, pendant la guerre d’Algérie, l’avocat Ali Boumendjel avait été « torturé puis assassiné » par l’Armée française. Voilà donc nos soldats qualifiés de tortionnaires et d’assassins, l’Armée française aux bancs d’infamie ! Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

 

Pour le comprendre, il faut se souvenir qu’en 2017, candidat à la présidence de la République,  M. Macron avait déjà déclaré lors d’un déplacement en Algérie que la colonisation avait été « un crime contre l ‘humanité », accompagné « d’actes de barbarie ». Simple artifice de campagne d’un candidat soucieux de racoler les voix des Français d’origine algérienne, avaient jugé les média… Ce n’était pas que cela, et force avait été de constater que M. Macron, là, était sincère.

En effet, en 2018, dans le même esprit, « Au nom de la République française », et toujours sans débat, il reconnaissait que le professeur Audin, militant d’un Parti communiste algérien (PCA) dissous, avait été torturé puis exécuté, ou torturé à mort, par des militaires ; enfin, en 2020 il chargeait l’historien Stora, bien connu pour ses positions critiques sur la colonisation, de lui présenter un rapport sur ces « questions mémorielles » afin d’œuvrer à la « réconciliation des peuples français et algérien ». Dans ce rapport, déposé fin janvier, figuraient des préconisations dont celle de procéder, « à la suite de la déclaration concernant Maurice Audin », à la « reconnaissance de l’assassinat de Ali Boumendjel ». Ce qui vient donc d’être fait, au-delà même de la préconisation de M. Stora, puisqu’à la reconnaissance de l’assassinat, la déclaration présidentielle a rajouté la torture.

        

 Pour comprendre, il faut aussi replacer les choses dans leur contexte. L’affaire Boumendjel se situe en mars 1957, celle d’Audin en juin de la même année. Toutes deux prennent donc place dans le cadre de la « la bataille d’Alger », menée de janvier à octobre 1957. En ce temps-là, impuissant à contrer la vague d’attentats terroristes frappant Alger, le ministre résident avait, dès janvier 1957, confié aux militaires les missions de rétablissement de l’ordre. C’est donc à partir des fichiers de police que les militaires arrêtent, interrogent. Il s’agit de « chasser » des terroristes, et non des soldats réguliers. Le général Massu, en charge des opérations, s’adjoint donc des officiers issus des « services spéciaux », aptes à mener à bien ce genre de mission exigeant des modes d’action adaptés ; adaptés en matière d’interrogatoires par exemple, que le général Massu qualifiera de « Question par force », quand d’autres parleront de torture. Comment ne pas ici rappeler la mise aux arrêts de forteresse du général de Bollardière, qui s’élevait contre le procédé, par M. Bourgès- Maunoury, ministre socialiste de la Défense !  Adaptés aussi dans la manière de traiter les coupables, souvent par l’exécution immédiate que certains assimileront à un assassinat, parfois maquillé en suicide, pour « terroriser les terroristes » ; et là aussi comment ne pas rappeler qu’à cette même époque, M. Mitterrand, garde des Sceaux, livrait à la guillotine pas moins de 45 condamnés. En ce début d’année 1957, Alger a donc peur, la colère gronde, et les militaires estiment qu’il leur faut frapper vite, et fort.

         

Dans ce cadre, l’affaire Audin, dont le président Macron s’est emparé en premier, passe inaperçue. Audin est arrêté le 11 juin 1957; ce même jour sont célébrées les obsèques des victimes de l’attentat du Casino de la Corniche (7 morts, 85 blessés, 14 amputations) et une foule ivre de fureur déferle vers la Casbah ; l’Armée en garde les issues, il n’y aura pas de guerre civile. Mais c’est dans cette atmosphère lourde, fébrile, qu’Audin arrêté est interrogé, et sans doute exécuté. Il est un militant du Parti communiste algérien qui n’a rien d’un parti de « penseurs » ; le PCA, dissous et interdit, aide résolument le FLN ; dans ses rangs a figuré Maillot, aspirant déserteur avec les armes de sa section ; il sera tué lors d’un accrochage ; dans ses rangs a figuré Iveton, poseur de bombe ; il sera  guillotiné; Audin, pour ceux qui l’ont arrêté, interrogé, et sans doute exécuté, est issu des mêmes rangs. Pour eux, il était un ennemi à neutraliser.

         

Dans ce cadre, quelques mois plus tôt, en mars 1957, l’affaire de l’avocat Boumendjel n’avait pas fait grand bruit. Aujourd’hui encore, si l’on prend la peine de lire les mémoires du général Aussaresses, un des officiers des Services spéciaux placés aux ordres du général Massu, on en découvre l’histoire, ou une version de l’histoire diront certains. Ceux-là ne mettent pas un instant en doute l’exécution – eux disent assassinat -, du personnage, sur ordre d’Aussaresses qui en revendique clairement la totale responsabilité, et en donne même les détails. Mais ils ignorent certains autres propos du général, comme ceux-ci: « …Boumendjel avait révélé sans difficulté - et sans qu’il soit nécessaire de le soumettre au moindre sévice - son rôle dans l’attentat qui lui était reproché et pour lequel il avait même fourni son arme personnelle… ». Pourquoi cet avocat réputé, parfaitement introduit dans l’’intelligentsia française, et qui semblait tenir une « fonction de ministre des affaires étrangères officieux de la rébellion », aurait-il collaboré à un attentat ? « Ali Boumendjel voulait, par cette action spectaculaire, substituer une légende de terroriste à l’image d’intellectuel mondain qui lui collait à la peau » précise le général. Aurait-il menti ? Et pourquoi donc ? Lui qui dans ses Mémoires énumérait méthodiquement, dans un style précis et glaçant, toutes les opérations « spéciales » qu’il avait organisées, conduites, assumées, en précisant : « ce que l’on  fait en pensant accomplir son devoir, on ne doit pas le regretter ». En 2002 le général avait certes été condamné pour « apologie de crimes de guerre », pas pour leur négation ou leur maquillage.

 

Alors peut-être le président Macron a-t-il disposé d’éléments nouveaux susceptibles d’expliquer les propos définitifs qu’il a tenus ? Ne les connaissant pas, le citoyen est en droit de douter. Il doute d’autant plus qu’il ne comprend pas ce soudain besoin de « réconciliation » entre les peuples algérien et français. Ces peuples ne se sont pas battus. Le combat a été livré et gagné contre le FLN, et, en 1962, il y avait plus de harkis que de moudjahidines. Si l’Algérie a basculé, si l’Algérie est alors devenue algérienne, c’est parce que le général de Gaulle ne voulait pas qu’elle soit française. Et beaucoup ne l’avaient pas compris.

        

Par contre, ce que voit le citoyen aujourd’hui, ce sont ces milliers d’Algériens, parfois descendants de harkis ou de moudjahidines, qui vont et viennent entre nos pays. Ils travaillent en France, y font des enfants qui parfois deviendront français, ils retournent en vacances au bled. Ils sont nombreux à Dunkerque, et l’on a même vu des Français à Tamanrasset. Le temps qui s’est imposé n‘est pas celui de la réconciliation mais de l’apaisement. Pourquoi réveiller les vieux démons ?

Pourquoi raviver la colère de la communauté pieds-noirs, des anciens militaires d’Algérie accusés et humiliés,  des harkis se sentant à nouveau trahis ? Pourquoi désorienter la communauté d’origine algérienne, française ou non, résidant en France ? Dans les cités de non-droit qui se sont multipliées, les imams radicaux exultent, et les « cailleras » trouvent une justification à leur haine et leurs exactions. En Algérie certains ricanent ! Si la France avoue, il faudra aussi qu’elle s’excuse et qu’elle paye, avec des intérêts ! Un vrai carnage…

         

Pourquoi ? Parce que, disent les « sachants », le président Macron voulait faire de cette guerre d’Algérie son « Vél’ d’Hiv ». Mais, au Vél’ d’Hiv, M. Chirac, au nom de la France, avait reconnu la faute de la France. Pour l’Algérie, le président Macron, au nom de la France, reconnaît la faute de l’Armée française.

Non, un Président ne devrait pas dire ça.

 

Bernard MESSANA
Officier général (2s)
Mars 2021

           

   Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr

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