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CORONAVIRUS : La crise et le miroir italien

Posté le mercredi 25 mars 2020
CORONAVIRUS : La crise et le miroir italien

« L’économie tombe comme une pierre », écrit ce 24 mars Arnaud Leparmentier dans le Monde. « Les Etats-Unis paniquent face à leur économie en chute libre » (1). Donald Trump en vient à tweeter en lettres capitales (« Nous ne pouvons pas laisser le remède devenir pire que le mal ») tout en remettant à 15 jours sa décision sur « la direction que nous voulons prendre » pour sauver l’économie. Laquelle ? Hors les imprudents, personne ne peut se risquer sans ridicule à l’exercice. Quant à reconstruire, le moment de vérité n’est pas venu. Ni aux Etats-Unis, qui a une quinzaine de jours de retard sur l’Europe, et pourrait, selon l’OMS devenir « l’épicentre de l’épidémie », ni ailleurs.

Pour l’état des lieux, les indices PMI IHS Markit, indice composite des directeurs d’achats de l’activité manufacturière d’un pays, publiés ce 24 mars (2) sont à un plus bas historique. Exemple : « L'activité globale de la zone euro s’est effondrée en mars, la contraction signalée par les derniers résultats de l’enquête surpassant de loin celle observée au plus fort de la crise financière mondiale », écrit le chief business economist à IHS Markit.
« Malgré les efforts des gouvernements afin d’endiguer la crise sanitaire et de soutenir l’économie, les prévisions de croissance se sont effondrées, les données flash de mars signalant le plus fort degré de pessimisme des entreprises depuis le début de l’enquête » il y a 22 ans. Et les choses ne vont pas mieux au Japon, en Australie ou dans le Commonwealth. En Allemagne ? L’indice a chuté de 52,7 en février à 37,2 en mars. En France ? L’indice a chuté de 57 en février à 30,2 en mars. Et en Italie, premier foyer européen de l’épidémie, avec disons dix jours d’avance sur la France ? L’indice a chuté de 51,6 en février à 31,4 en mars, record absolu depuis 1998.

Justement, l’Italie.

« Une part croissante de l'économie est mise hors service. Les niveaux d'emploi ont déjà chuté à un rythme jamais vu depuis juillet 2009 et la méfiance envers l'avenir s'accroît. L'optimisme quant à l'activité de l'année prochaine est tombé à son niveau le plus bas jamais atteint. Cela suggère que les décideurs politiques n'ont jusqu'à présent pas réussi à présenter la situation de manière moins catastrophique ». Puisque les courbes des décès et les mesures de confinement prises en France (comme maintenant aux Etats-Unis) illustrent une similitude de situation avec un léger décalage dans le temps, peut-on regarder comment tient le pays ?

Oui, grâce au travail remarquable de l’ambassade de France à Rome, qui rédige tous les jours en semaine une revue de la presse italienne (3). Bien sûr, nous dit le compte rendu du lundi 23 mars, « le coronavirus sature toujours l’espace médiatique italien, JT et quotidiens. Sur Twitter, l’hashtag #messina domine, en référence à l’isolement de la Sicile. Les JT ouvrent sur les nouvelles mesures restrictives adoptées hier ainsi que sur la moindre augmentation du nombre des contaminations et des décès. Ils relèvent également les critiques des partis de l’opposition vis-à-vis du gouvernement ».

Bien sûr, les Italiens confinés ne se passionnent pas tous pour les indices Markit – ils lisent la presse et regardent la télévision. Comme dans les autres démocraties – et bien que les systèmes électoraux soient partout différents - le système italien privilégie la proportionnelle, c’est aux décideurs politiques élus que revient la légitimité de gérer la situation, de trancher, d’être entendus clairement et compris d’une population traumatisée. C’est à eux qu’elle doit, et c’est vital, accorder sa confiance. Et que voit-on ? « Peu de clarté, hésitations et retards, les interventions de Conte critiquées » écrit Francesco Grignetti dans la Stampa. « Au quinzième jour d'urgence, c'est le président du Conseil Conte qui est mis en accusation. Non seulement parce que la direction de Palais Chigi, ces derniers jours, semble hésiter mais aussi parce que le dernier message de Conte, par le biais des réseaux sociaux, a jeté le pays dans la confusion. Il faut tout fermer, sauf la production essentielle, mais quelle est la production essentielle ? C'est facile à dire mais plus difficile à comprendre : le décret, annoncé samedi dans la nuit, a été signé seulement hier soir et beaucoup d'Italiens se sont demandés ce qu'ils devaient faire aujourd'hui ». De plus, apprend-on dans la Repubblica, sous la plume de Roberto Mania, « les syndicats (…) se sont dits prêts à la grève générale » à la fois pour des raisons de santé des travailleurs et de fermeture générale des entreprises, décision annoncée « samedi soir tard, ce qui provoque la colère des syndicats ».

Effervescence qu’on entend ailleurs en Europe, en France par exemple sur la clarté de la communication gouvernementale ?

Pour Il Messaggero, Mario Ajello insiste : « la méthode Conte risque d'alimenter l'anxiété et l'incertitude des citoyens ». Un Etat fort « est celui qu'on perçoit en tant que source primaire de légitimité, décidé à exercer son autorité, surtout pour la défense de la santé publique et contre le danger des pulsions que l'on appelle aujourd'hui autonomie différenciée mais qui représentent le véritable bacille de l'anti-unité du pays ». Précisément, y a-t-il union des partis politiques ? Pas si l’on en croit Carmelo Lopapa (La Repubblica) : « Le siège de Giuseppe Conte reprend, de Salvini à Renzi ». Il s’agit « d’assiéger Conte et de tenter de le désarçonner dans le moment de pire fragilité pour le pays. Après les dernières restrictions annoncées par le Palais Chigi et après que le seuil tragique de 5 000 morts a été atteint. Sous le manteau, on voit des convergences, plus ou moins voulues, entre les deux Matteo (Renzi et Salvini) avec l’objectif de mettre Conte de côté et dans les semaines à venir le remplacer par un nouvel exécutif de santé publique, des techniciens ».

Pourtant, rapporte un sondage évoqué par la Repubblica, si 96% des Italiens sont inquiets, en particulier pour l’avenir de leurs enfants, « 70% des Italiens apportent leur soutien au gouvernement. Et acceptent des mesures qui changent sensiblement la vie. Les Italiens, on le sait, ont toujours eu du mal à supporter les pouvoirs ‘‘centraux’’ et la pression fiscale (élevée) par rapport aux autres pays européens. Mais la situation d’urgence, et la peur, changent la donne. Par ailleurs pour 9 Italiens sur 10, il est justifié de limiter la liberté des citoyens, au nom de la sécurité ».

Rien ne distingue donc les Italiens de leurs voisins proches (4) ou plus lointains – hommages à leur « héros en blouses blanches » compris. Ils regardent au-delà de leur frontière aussi, et la presse s’en fait l’écho.
Vers les Etats-Unis, (« Le New York Times a écrit, entre autres, que l’expérience de l’Italie devrait servir à Trump pour éviter les mêmes incertitudes », La Repubblica), vers l’Union européenne : « Les divergences d'opinions ont commencé quand l'Europe a essayé de se transformer en un État ‘'presque fédéral'’ avec son propre Parlement, son propre gouvernement (la Commission) et pour certains pays une monnaie unique avec sa propre banque centrale commune. Aujourd’hui (…), cette idée risque d’être détruite. C'est le moment de se demander si elle était erronée depuis le départ. Il y a deux raisons pour lesquelles elle pouvait l’être. La première est que les Européens sont tellement différents entre eux que les réunir dans un État fédéral est impossible. Mais une recherche récente, qui analyse les opinions des Européens sur des sujets considérés fondamentaux pour le partage d'un sens collectif, montre comment ils sont entre eux plus proches que les habitants des États-Unis. Cela n'est pas suffisant pour penser que les ‘‘États-Unis d'Europe’’ sont une bonne idée » (Corriere della Sera, A. Alesina, F. Giavazzi).  

Réflexion qui ne les empêche nullement d’évoquer les outils européens utiles à soutenir l’Italie dans la crise (la BCE et son pouvoir sur les spreads - écarts des taux d’emprunts selon les pays, achats possibles de titres par la Banque centrale, ou possibilités de contributions du Mécanisme européen de stabilité, etc.). « Le virus peut détruire le projet européen ou lui faire donner un coup de rein ».

Au total le pays tient, pas si vacillant malgré l’épreuve, avec ses « caractéristiques italiennes ». Mais sans illusions sur la suite. « La deuxième pandémie n’est pas loin », écrit Federico Rampini dans l’éditorial, très lu de tous, de la Repubblica. « Il faudra également l’affronter, elle s’appelle la Grande Dépression (…). Les prévisions sur le désastre économique ont été mises à jour. On va du scénario Oxford economics (cité par le New York Times) qui prévoit au second semestre une chute du PIB de 12% à celui de Goldman Sachs, autrement plus pessimiste : moins 24% du PIB entre avril et juin (…). Mais le secrétaire du Trésor Mnuchin fait l’hypothèse d’un scénario encore plus alarmant avec un taux de chômage à 20%, au lieu des 3,5 actuels. La crise de 2008-2009 n’est rien à côté de celle qui vient. La seule comparaison possible est avec la Dépression de 1929-1933 qui, toutefois, a eu un développement ‘‘au ralenti’’ par rapport à ce qui va nous tomber dessus ».

Soit. Il faudra faire avec. Au miroir de l’Italie, on voit une démocratie endurer librement. Et avertir, avec Il Foglio : « Quand tout cela finira, l’Italie devra se rappeler qu’un compétent ne vaut pas un incompétent, et qu’un responsable ne vaut pas un irresponsable ». Et qu’il faudra réfléchir « avant de confier l’Italie au premier lascar qui passe ».

Ailleurs aussi.

Hélène NOUAILLE
(Lettre de Léosthène)  

Notes  

(1) Le Monde, le 24 mars 2020, Arnaud Leparmentier, Coronavirus : les Etats-Unis paniquent face à leur économie en chute libre 
https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/24/coronavirus-les-etats-unis-paniquent-face-a-leur-economie-en-chute-libre_6034168_3234.html

 (2) PMI release, March, le 24 mars 2020, vue d’ensemble
https://www.markiteconomics.com/Public/Release/PressReleases

Pour la zone euro (en français)
https://www.markiteconomics.com/Public/Home/PressRelease/1e5d5b74a98144a9ad7ff13e8b5e8b87

Pour l’Italie (en italien)
https://www.markiteconomics.com/Public/Home/PressRelease/27fe47306f9b427e8f3a1fff50306ee5

 (3) Ambassade de France à Rome, Abonnement à la revue de presse quotidienne (gratuit)
https://it.ambafrance.org/Abonnez-vous-a-la-revue-de-presse-quotidienne

 (4) Le JDD, le 21 mars 2020, Christine Ollivier, Les Français de plus en plus inquiets et de plus en plus critiques contre le gouvernement
https://www.lejdd.fr/Politique/sondage-les-francais-inquiets-et-de-plus-en-plus-critiques-contre-le-gouvernement-3956864

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

 

Source : www.asafrance.fr

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