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Libre opinion du général (2s) Bernard MESSANA : Babel en France

Posté le samedi 02 mai 2020
Libre opinion du général (2s) Bernard MESSANA : Babel en France

C’est une vidéo découverte un peu par hasard sur une « Toile » où elles pullulent. Son titre m’a attiré : Les nouveaux jeunes Français, et je l’ai visionnée une fois, puis deux, et plus encore… Deux minutes 15 secondes, ce n’est pas très long. Et depuis je ne cesse d’y penser.

On y voit une vingtaine de jeunes « ados », Noirs ou d’origine maghrébine, bavards et souriants, rassemblés dans une salle de classe. Face à eux trois adultes, peut-être des enseignants, posent des questions simples, sans pièges, sans ambigüité : « Qui est Français dans le groupe ? » Tous le sont, les mains se lèvent. « Qui se sent Français ? » Murmure gêné, embarras, les mains se font hésitantes, retombent … Tous Français et personne ne se sent Français ! Si, moi, dit une jeune Noire ; je suis «  Blanche dans ma tête ».

Est-ce donc ça être Français ? Je ne sais pas. Un jeune Noir, embarrassé, avoue son incapacité à se définir. « Mais tu es quoi, au fond ? » Silence, et puis lourde, presque accablée, tombe la réponse : « Noir ». Un autre va expliquer qu’on peut avoir la nationalité française mais ne pas l’être, car le vrai Français est un « blond aux yeux bleus ». Une jeune Maghrébine dira qu’elle ne se sent pas Française car chez elle, on ne parle qu’arabe. Point. On la sent perdue, égarée. Un jeune Maghrébin plein d’assurance déclare lui, qu’il ne se sent qu’Algérien. « C’est quoi, être Algérien ? ». « C’est avoir des parents algériens ».

J’ai là tout dit, ou presque. Qu’en retenir ? La couleur « de la tête », la couleur « dans la tête », et le primat des origines et du milieu ? Assurément. Mais si je ne cesse de penser à ces jeunes, c’est parce qu’une autre histoire est depuis longtemps gravée dans ma mémoire :

Sitôt conquis et pacifiés les territoires de l’Algérie après 1830, et à l’appel d’une France qui avait besoin de « bras », beaucoup d’Italiens, de Maltais, d’Espagnols se sont levés. Eux fuyaient la misère, parfois la « malavita », et leur fuite était rupture volontaire avec leurs origines. Devenus petits paysans dont les fermes plus tard brûleront, ouvriers du bâtiment, cantonniers, tailleurs de pierres, ils ont contribué à bâtir une Algérie française qui leur offrait ses espaces à défricher, à modeler. Ils le faisaient avec d’autant plus d’ardeur et de talent que c’était là aussi exprimer leur gratitude envers ces « Gaulois » qui les avaient acceptés dans leurs « petites huttes » ; il est vrai qu’ils avaient dû bien sûr courber un peu la tête pour y entrer. Cette gratitude, ils la transmettaient alors avec rigueur à leurs enfants nés sur cette nouvelle terre, et donc Français par droit du sol. Ceux-là, à l’école républicaine, apprenaient que la France, c’était la grandeur, le talent, les Lumières, et qu’être Français était une grâce, un privilège ; il fallait le mériter, en être digne. Beaucoup s’acharneront d’ailleurs à le prouver à Cassino, jusqu’à Berchtesgaden et, plus tard, en Indochine. Quant à leurs enfants, la deuxième génération, eux seront alors structurellement Français, Français jusqu’à la moelle. C’est ainsi par exemple que lorsque la Nation hésite, se divise, se déchire, et que le Français en colère redevient Basque, ou Breton, ou Corse, eux restent Français, uniquement Français.
Alors pourquoi pas le ou la Noire, le Maghrébin ou la Maghrébine ?

Parce que des apprentis sorciers ont totalement faussé le jeu. Un jeu où aux côtés de ces émigrés, essentiellement européens, qui, en Algérie mais aussi en Métropole, répudiaient leur nation d’origine et aspiraient à devenir Français à part entière, figuraient aussi des travailleurs temporaires. Ceux-là, depuis nos colonies, venaient simplement gagner en France de quoi faire vivre leur famille, leur village, leur douar. Ils venaient seuls, travaillaient, puis retournaient chez eux, remplacés aussitôt par un frère, un cousin. C’était le temps de la « noria ». Dignes, en costumes gris un peu fripés, le dimanche aux terrasses des bars, ces travailleurs disaient leur respect pour la France qui les nourrissait. Aujourd’hui, on voit toujours, le dimanche, des travailleurs aux terrasses des cafés maures de nos cités ; ils portent la djellaba et égrènent un chapelet à gros grains. Pour eux, la France a avoué tout le mal qu’elle leur a fait. Elle doit payer.

Payer quoi ? Les méfaits de la colonisation. N’ont-ils pas été assimilés, par notre Président, à des « actes de barbarie », à un « crime contre l’humanité » ? Dès lors, toujours présents sur notre sol, les descendants de ceux à qui nous avons imposé le joug colonial sont en droit de s’interroger. Et de réagir. Parmi eux, les plus anciens, très majoritaires, fils et filles de ceux qui ont fui l’Algérie indépendante, comme nos harkis échappés aux massacres, ou bien d’autres fuyant les insuffisances et faillites du nouveau régime algérien. Leurs enfants, journalistes, politiciens, entrepreneurs, écrivains, etc. sont aujourd’hui largement intégrés. Comment ne pas noter, par exemple, alors que sévit chez nous une pandémie, le nombre et l’engagement de médecins et soignants aux noms à consonance maghrébine ? Mais il y a aussi les autres, minoritaires mais nombreux, qui ont échoué, main d’œuvre à bas coût entassée dans des banlieues désertées par les Français de souche, et devenues zones dites de « non-droit ». Ceux-là ont reçu la décision du « rapprochement familial » de 1976 comme l’aubaine leur permettant désormais de vivre d’ « allocs », et des trafics divers auxquels se livrent leurs enfants qui, de plus, nés en France, ont vocation, par « droit du sol », à devenir Français Ils le deviennent ainsi, de fait, sans l’avoir voulu, sans l’avoir désiré. C’est cette troisième génération qui, en 2005, va enflammer nos cités, par une révolte noyée par le pouvoir sous une pluie de crédits vite détournés par les intermédiaires et les gangs islamo-mafieux.

La quatrième génération est là, sous nos yeux, dans cette salle de classe que je décrivais. On la sent indécise, perdue, hésitante, et navrée, et l’on devine alors, sous cette tristesse qui pourrait devenir désespoir, une sorte d’appel à l’aide. Alors j’ai pensé irrésistiblement que le plus humble de mes anciens caporaux[1], face à ces jeunes désorientés, aurait d’instinct trouvé les mots simples et vrais qui rassurent, répondent, mobilisent. Comme autrefois les hussards noirs de la République savaient dire le juste, le vrai, savaient dicter la Loi et convaincre de ses bienfaits, savaient former des « citoyens », au service de la Cité France. Non, le Français n’est pas blond aux yeux bleus ! Et la France écrivait Michelet, s’est faite « races sur races, peuples sur peuples » ! Si des parents étrangers préfèrent entretenir chez leurs enfants la dévotion à un État étranger, qu’ils soient donc raccompagnés à nos frontières ! S’ils ne parlent qu’arabe, inscrivons-les d’office à des cours de français ! Le jeune Noir qui ne se sent que « Noir » le croira-t-il encore lorsqu’an sein d’un nouveau Service national vibrant et engagé il aura partagé épreuves et aventures avec ces « Blancs » qui deviendront ses amis, et peut-être plus tard ses « frères d’armes » ? « Il est évident que les Français ne sont plus les Gaulois », écrivait encore Michelet, et la France s’est faite de mélanges s’achevant par « le mystère de l’existence propre ».

La France c’est Babel, la vraie Babel de la Genèse où « tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots », au point de vouloir, tous ensemble, « bâtir une tour dont le sommet perce les cieux ». En ce temps-là, Yahvé ne l’avait pas voulu. Certains illuminés y verront sans doute, aujourd’hui, la volonté d’Allah. Laissant les dieux à leurs fantaisies, nos élus devraient, alors que la pandémie déchire le rideau de leurs menus calculs politiciens, et de leurs insatiables appétits, s’attacher à reconstruire Babel en France, sans qu’il soit nécessaire de percer les cieux. Retrouver le mystère de « l’existence propre », comme cette jeune Noire, « Blanche dans sa tête », redécouvrant en fait le mystère du Cantique des cantiques, « Nigra sum, sed formosa[2] ».

 

 Bernard MESSANA
Officier général (2s)

 

[1] Il est vrai que les miens étaient tous exceptionnels.

[2] « Je suis Noire mais je suis belle ».

 

Source photo 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr

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