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OPEX : le rôle irremplaçable des associations de combattants

Posté le lundi 11 novembre 2019
OPEX : le rôle irremplaçable des associations de combattants

Qui veut la peau du monde combattant ?

 

Dans la perspective du 11 novembre la presse titre sur la disparition des anciens et sur le fait qu’il y a de moins en moins de monde aux cérémonies… Les élus, qui multiplient paradoxalement les commémorations[1], alors qu’il faudrait les concentrer sur une date emblématique, s’inquiètent de ne plus avoir de porte drapeaux et cherchent par tous les moyens[2] à les remplacer par les enfants des écoles… De leurs côtés les politiques, pourtant conscients de cette situation, continuent à osciller entre repentance et pacifisme bon teint pour satisfaire les humeurs versatiles de l’opinion… Tout ceci interpelle sur ce qu’est devenu le monde combattant, sur son avenir immédiat, mais aussi sur la responsabilité des armées et de nos institutions quant à cet état des lieux, voire plus inquiétant ? sur les risques d’instrumentalisation du devoir de mémoire. Au rythme actuel, le risque réel de récupération, voire de disparition du monde combattant devient une préoccupation pour tous ceux qui sont attachés à une certaine idée du patriotisme.

De quoi s’agit-il ? Les jeunes issus des OPEX[3], qui devraient assurés la relève du monde combattant, ne rejoignent pas les associations issues des grandes guerres et conflits du XXème siècle. Ils ne contribuent pas comme nous pourrions l’espérer, et à la hauteur de leurs faits d’armes, au devoir de mémoire. Beaucoup se replient au mieux sur leurs amicales, quand ils ne rejettent pas tout simplement la chose militaire et leur statut d’anciens combattants. Pendant ce temps les anciens, qui n’ont rien anticipé, partent en laissant un vide sidéral que des associations, comme le Souvenir Français qui n’a absolument rien à voir avec le monde combattant, s’empressent de vouloir combler pour répondre aux sollicitations compréhensibles des élus locaux. Tout ceci ne fait que favoriser un risque d’implosion de ce monde combattant qui est désormais confronté à une chute drastique de ses effectifs et à une atomisation de sa représentation sur le terrain avec une myriade d’associations que de grandes fédérations centenaires essayent tant bien que mal de maintenir et de réunir.

La crise est profonde. Elle n’est pas que le résultat de la désaffection de cette 4ème génération au feu[4] pour relever leurs anciens et s’investir dans le devoir de mémoire. La responsabilité est collective et nationale. Il faut bien reconnaître que ceux qui sont actuellement aux commandes n’ont jamais connu la guerre, même pas la guerre froide. Cette génération n’a pas eu à verser le « prix du sang ». Elle a été enfantée, voire infantilisée, par la complainte du « plus jamais ça ». Elle n’a finalement qu’une vision virtuelle, technologique et financière de l’existence. Elle n’a connu que des « crises de riches », un peu de terrorisme, mais rien de vraiment vital. De plus les conflits que nos soldats ont assumé au cours des six dernières décennies, avec les opérations extérieures, ont fait très peu de morts au regard des pertes massives subies par les trois dernières générations au feu[5]. Alors pourquoi se préoccuper de ce monde combattant qui se meurt et ne se renouvelle pas puisque tout se déroule bien à la marge sur le plan sécuritaire[6]. Ce bilan positif, qui est en grande partie le résultat du professionnalisme de nos forces armées, notamment des OPEX, assure au politique ce minimum de posture martiale requise pour garantir notre rang en termes de puissance. Raison de plus pour ne pas en faire plus vis-à-vis de ce monde combattant vieillissant qui est souvent perçu comme « ringard » par nos populations, certes de plus en plus incultes sur le plan historique, mais quand même admiratives face aux engagements de nos derniers grands anciens quand elles assistent à un hommage au pied d’un monument…

D’autre part nos experts, qui n’ont souvent pas connu l’épreuve du feu…, expliquent que nos soldats de la 4ème génération, ceux des « OPEX », n’ont eu à traiter finalement que des conflits dit de « basse intensité » et qu’il ne s’agit pas de « guerre » au sens fondamental du terme. Personne n’explique que ces combattants ont acquis au fil du temps une maitrise de plus en plus élaborée des conflits, souvent des guerres civiles, et qu’ils œuvrent dans des combinaisons civilo-militaires, humanitaires et diplomatiques beaucoup plus complexes et sensibles qu’au siècle dernier. La plupart de ces conflits souvent lointains durent entre 10 et 15 ans avec des niveaux de dégâts collatéraux sur les populations inimaginables pour nos sociétés marquées par 75 ans de paix et de prospérité. Pour autant l’objectif assigné n’est plus de « faire la guerre » au sens napoléonien mais de « faire en sorte qu’elle n’ait pas lieu », ce qui est infiniment plus difficile et valeureux comme exercice. Il est évident que ce type de combattant qui fait de « la réduction de risque » ne rentre plus dans l’inconscient de notre société marqué par les guerres de masse et dans les codex véhiculés par l’institution, notamment par le monde combattant au travers de son vécu et de ses témoignages.

Ce mode de représentation de l’ancien combattant qui s’est battu sans véritablement se battre, qui n’est plus contraint comme ses anciens mais qui s’engage volontairement, est très confuse et incompréhensible pour une population qui n’est plus aguerrie, qui est devenue plaintive, narcissique et faiblement résiliente. Fort de cette dérive les combattants de la 4ème génération au feu se sont progressivement retrouvés marginalisés. Certes ils ont droit désormais à un monument dans le parc André Citroën , après 15 ans de négociation…, pour honorer leurs frères d’armes : ces 545 morts pour la France en OPEX. Mais il leur a fallu aussi des décennies pour obtenir la fameuse carte du combattant[7]… Il a fallu aussi attendre nos morts en Afghanistan et désormais au Sahel pour se rendre compte et admettre que nos soldats de la 4ème génération au feu « sont bien en guerre » depuis désormais six décennies. Pourtant à Beyrouth et à Sarajevo nos soldats ont payé le prix fort à plusieurs reprises mais le déni de réalité l’a toujours emporté pour masquer le véritable engagement de nos troupes… De fait ils se sentent oubliés par le pays, trop souvent incompris par leurs anciens sous prétexte qu’ils n’ont pas vécu le même niveau d’atrocités ou de brutalités. Ils se sentent surtout ignorés et méprisés par l’institution qui leur refuse la reconnaissance de leur engagement et de leur volontariat pour aller au feu[8].

Fort de ces constats, la tentation pour le politique est désormais très forte de réorganiser le dispositif et de « classer » ce dossier, ce qui permettrait aussi de construire à terme un nouveau récit sur ces questions mémorielles. La restitution des vécus de nos combattants deviendrait alors secondaire avec le risque d’être remplacée par une appréciation idéologique des évènements. Le cas du contentieux sur les opérations au Rwanda est une bonne illustration de ce type de dérive ou le combattant devient dossier à charge et où le journaliste et le polémologue deviennent les nouveaux procureurs de l’Histoire… Nous pouvons aussi aller vers des mélanges de genre en fabriquant de la « bouillie mémorielle » et y adjoindre des compositions citoyennes, civiques pour faire croire que le vivre ensemble et la « res-publica » peuvent être illustrés par quelques pages héroïques afin de donner l’impression à tout un chacun d’être finalement un « bon patriote ». Fermez le ban !

Dans cette perspective tout est imaginable : les enfants des écoles porteront les drapeaux, ou d’autres figurants, feront de la reconstitution, comme nous le voyons de plus en plus lors des cérémonies locales, se substituant ainsi aux rares anciens combattants qui resteront chez eux. Nous pouvons imaginer que parmi eux les plus dévouées, et surtout les plus dociles, accepteront de devenir des sortes « d’intermittents du spectacle » avec leurs médailles. Ils deviendront ainsi, le temps d’une mise en scène, la bonne conscience et l’antidote d’une population qui n’a surtout plus envie de se battre pour sa survivance. Ainsi tout le monde pourra se bercer d’illusions et s’enfermer dans une forme de schizophrénie collective. Ce choix s’avérera tragique s’il se confirme car il n’offrira qu’une vision mortifère et virtuelle de l’engagement militaire, alors que nos anciens combattants, au travers de leurs vécus méconnus, incarnent de façon singulière la victoire sur la barbarie et la contribution à la paix. Ils sont, par ailleurs, le meilleur garant du lien armée-nation et ne l’oublions jamais le meilleur recruteur pour nos armées!

Il convient de reprendre le dossier au bon niveau et de se ressaisir collectivement en redéfinissant les enjeux et les priorités. La véritable question n’est pas de savoir comment remplacer les porte-drapeaux par des enfants des écoles pour fleurir des tombes… mais comment faire en sorte que la 4ème génération au feu puisse enfin prendre sa place et relever nos anciens en devenant les nouveaux « passeurs de mémoire ». Tout le reste n’est qu’agitation bureaucratique, opération superficielle de communication, et ne peut que nourrir les divisions entre organisations, la confusion sur le fait mémoriel et l’implosion d’un dispositif indispensable pour notre conscience collective.

Ne nous trompons pas de guerre ! Comme l’a dit Clémenceau : « la guerre est une affaire trop grave pour la confier à des militaires ». Ne serait-ce pas finalement la même chose pour le devoir de mémoire : « qui est bien trop sensible pour le confier à des politiciens ». Ce sujet est éminemment stratégique et doit être traité politiquement au plus haut niveau de l’Etat. Il ne doit pas être « classé » au sens budgétaire et administratif comme certains politiciens ou bureaucrates le souhaiteraient vu la déflation rapide des effectifs du vieux monde combattant. Il ne doit pas non plus être délégué, ou relégué par défaut par nos élus, à une association, fut-elle sympathique, qui s’autoproclame « la plus grande association mémorielle française du XXIème siècle …[9]», pour se complaire uniquement dans une vision funéraire du fait mémoriel. Un ancien combattant est d’abord un soldat vivant qui incarne des valeurs et une force d’âme!

Les combattants de la 4ème génération méritent mieux du pays ! Mais ils doivent désormais « défendre leur peau » en termes de reconnaissance politique. Ils ne peuvent plus continuer par leur absence sur les rangs à contribuer à briser cette chaine intergénérationnelle qui fait la force de l’Histoire de notre pays. Il faut qu’ils se mobilisent, qu’ils prennent conscience de leur rôle et de leur devoir au sein de notre société, certes irresponsable sur plein de points, mais de plus en plus demandeuse sur le fond en termes de référentiel et d’exemplarité.

Pour cela il faut que les anciens les aident à assumer rapidement cette passation intergénérationnelle qui n’a pas vraiment eu lieu, notamment en regroupant les associations afin d’avoir plus de moyens et en réduisant sérieusement le nombre de commémorations afin d’être plus présents et crédibles auprès de la population. Mais il faut surtout que nos politiques fassent vraiment un effort et leur permettent de reprendre le flambeau en reconnaissant leur honneur et leur engagement pour le pays, d’autant que cela ne coute rien au budget de l’Etat… Il s’agit juste d’un acte patriotique de la part de nos décideurs et de nos élus! Qu’attendent-ils pour le faire ? Une nouvelle « grande guerre » ? Soyons sérieux !

Personne d’autre qu’un combattant qui a été au feu ne peut incarner mieux que lui la mémoire des combats de la France!

 

Xavier GUILHOU
2 novembre 2019

 

[1] Outre toutes les cérémonies dites nationales, il faut comptabiliser toutes les cérémonies locales au sein des départements, plus celles des amicales etc… Dans les agendas de certaines associations il y a quasiment une cérémonie par semaine… avec 10 personnes sur les rangs, ce qui devient pathétique et contreproductif…

[2] Notamment avec le soutien du Souvenir français qui est une association privée, n’appartenant pas au monde combattant, crée en 1887, reconnue d’utilité publique en 1906, qui garde le souvenir des soldats morts pour la France par l’entretien de tombes et monuments commémoratifs.

[3] OPEX : acronyme pour évoquer les Opérations Extérieures conduites par la France depuis six décennies.

[4] La première fut celle de la guerre de 1914-1918, la seconde fut celle de 1939-1945 et de la résistance, la troisième fut celle des guerres coloniales Indochine et Afrique du Nord, la quatrième est celle depuis 1963 des Opérations Extérieures.

[5] Pour la France la première guerre mondiale a fait 1 700 00 morts civils et militaires et 4 300 000 blessés militaires. La seconde guerre mondiale, qui reste le conflit le plus meurtrier de l’histoire récente avec ses 50 à 70 millions de morts, a fait 600 000 morts civils et militaires et autant de blessés militaires. L’Indochine a fait de l’ordre de 94 000 morts militaires français, légionnaires, africains et indochinois. L’Afrique du nord a fait 27000 morts civils et militaires et 60 000 blessés. Depuis 1963 les pertes en Opérations extérieures sont de l’ordre de 686 militaires ( dont 545 reconnus morts pour la France) soit sur 56 ans une moyenne de 8 morts par an…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_militaires_fran%C3%A7aises_en_op%C3%A9rations_ext%C3%A9rieures_depuis_1963

[6] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/bilan-de-50-ans-des-opex-de-la-france-quelles-lecons-en-tirer

[7] Actuellement Il y aurait de l’ordre de 175 000 cartes du combattant délivrées pour cette génération. En 2019 22 000 OPEX touchent une retraite du combattant. En 2020 ce chiffre devrait doubler ce qui signifierait qu’un tiers des OPEX titulaires de cette carte auront plus de 65 ans. Actuellement 11 200 ont plus de 75 ans, le reliquat à a entre 65 et 75 ans. Ces chiffres révèlent la faiblesse des effectifs de ce monde combattant issus des OPEX au regard des cartes distribuées pour les autres conflits… La transposition de ces effectifs recensés par le budget au sein des associations est à priori inférieur à 5%...

[8] cf. les négociations pour l’élargissement de l’attribution de la Croix du Combattant Volontaire – agrafe missions extérieures - pour les engagés volontaires contrats courts qui durent depuis plus de 15 ans et qui n’aboutissent toujours pas sous prétexte que ces engagés volontaires sont désormais des professionnels et qu’ils ont signé un contrat pour exécuter des missions tout temps et tout lieu …et qu’ils ne sont plus de fait des volontaires… alors qu’ils ont signé un volontariat… voire sur les sites du Sénat et de l’Assemblée nationale les réponses faites par l’administration aux requêtes des élus à la demande des grandes associations sur cette question.

 

Rediffusé ur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

[9] cf.la déclaration du CGA Serge Bercellini, Président du Souvenir Français, lors de sa prise de fonction. L’association revendique plus de 200 000 membres actifs avec ses 1650 comités locaux et 68 représentants à l’étranger . Les grandes fédérations du monde combattant comme la FNAM (Fédération Nationale André Maginot) regroupent un nombre similaire d’adhérents (240 000 répartis en 253 groupements). http://le-souvenir-francais.fr/wp-content/uploads/2015/04/article-Barcellini.pdf

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr

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