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SOUS-MARIN : Rebondir après la gifle anglo-saxonne

Posté le mardi 28 septembre 2021
SOUS-MARIN : Rebondir après la gifle anglo-saxonne

La gifle pourrait fonctionner comme une heureuse piqûre de rappel pour les dirigeants français, les invitant à arrêter de rêver, pour prendre les réalités internationales telles qu’elles sont.

Le 15 septembre 2021, les Français ont ressenti comme une gifle l’annonce de l’Aukus, ce traité stratégique dans le Pacifique, négocié dans leur dos par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. L’Aukus prévoit une coopération approfondie dans les technologies militaires de l’avenir, dans la cyberguerre et dans la guerre navale. Huit sous-marins d’attaque américains à propulsion nucléaire devraient être livrés dans le futur à l’Australie, pays qui bannissait jusque-là toute substance atomique sur son sol. Le contrat, gagné par la France en 2016, de livraison de 12 sous-marins à propulsion classique, tombait ipso facto, sans que les Australiens n’aient jugé utile de prévenir à l’avance les dirigeants français.

Infligée à un individu, une gifle crée de l’humiliation mais pas de dégâts corporels. La France est dans le même cas. L’humiliation a été cinglante pour le président de la République et son ministre des Affaires étrangères, à qui leurs homologues anglo-saxons n’ont cessé de mentir par omission. Pour l’industrie française, c’était en réalité un mauvais contrat, avec un mauvais client. Le dégât est donc négligeable pour Naval Group qui, à moyen terme, n’allait pas gagner la moindre marge sur ces sous-marins, dont la fabrication devait se faire sur des chantiers navals australiens. Le constructeur de Cherbourg a par ailleurs un carnet de commandes plein.

Si le mot gifle s’applique à la France, qui l’a reçue, elle ne convient en revanche pas à nos alliés anglo-saxons. Ils étaient en effet dépourvus de toute intention de blesser la France. Ils l’ont juste oubliée. Aucune hostilité anglo-saxonne envers la France, juste de la désinvolture. Nos alliés avaient la tête ailleurs, occupée par des sujets beaucoup plus importants pour eux que l’ego français. Dans sa stratégie militaire, l’Amérique vient de reléguer son Central Command (qui s’étend de l’Égypte à l’Afghanistan), pour se concentrer sur son Pacific Command (qui s’étend sur toute la zone indo-pacifique). Dans sa stratégie de containment de la Chine dans le Pacifique, l’Amérique a besoin de cette immense base arrière que représente l’Australie.

Aux yeux de l’Australie, l’affaire était entendue dès que la Chine se mit à l’invectiver pour avoir osé demander une enquête internationale sur l’origine du Covid

Pour les Britanniques, l’Aukus a juste été une magnifique aubaine. Boris Johnson, responsable de leur sortie de l’Union européenne, avait désespérément besoin d’un exemple pour concrétiser son idée, jusque-là fumeuse, de «Global Britain».

Aux yeux de l’Australie, l’affaire était entendue dès que la Chine se mit à l’invectiver pour avoir osé demander une enquête internationale sur l’origine du Covid. Elle a pris peur et a immédiatement songé à la protection du grand frère américain.

Mais la gifle pourrait fonctionner comme une heureuse piqûre de rappel pour les dirigeants français, les invitant à arrêter de rêver, pour prendre les réalités internationales telles qu’elles sont. Dans le domaine du rêve, figurait le partenariat de la France et de l’Australie contre la Chine. Dans le Pacifique, la France a deux urgences à sa portée : combattre la cyberactivité chinoise en faveur de l’indépendantisme en Nouvelle-Calédonie ; accroître la protection navale de sa zone économique exclusive.

Paris devrait être plus ferme dans son veto de toute extension de l’Alliance, en termes de pays membres comme de zones de déploiement

La défense européenne tient également du rêve. Aujourd’hui les seuls soldats de l’UE prêts à se battre réellement sont les Français. Face à l’expansionnisme turc en Méditerranée, la France s’est retrouvée seule en juin 2020.

L’autonomie stratégique de l’UE ne se conçoit pour le moment que dans le domaine économique. Sur les normes, elle peut progresser vite et bien. Mais dans le domaine de l’action militaire, les points de vue des pays membres sont trop divergents. Les Portugais n’ont pas le même regard sur le monde que les Polonais et cela ne changera pas avant longtemps.

Il serait ridicule pour la France de sortir de l’organisation militaire intégrée de l’Otan, après avoir demandé à y revenir sous Sarkozy. Un pays sérieux ne fait pas de tels allers-retours. En revanche, Paris devrait être plus ferme dans son veto de toute extension de l’Alliance, en termes de pays membres comme de zones de déploiement.

Le rebond de la France se jouera à deux niveaux. D’abord dans un accroissement très sensible de son budget militaire, avec notamment sa propre production de drones de combat. Ensuite par la constitution de partenariats ad hoc. Pourquoi ne pas vendre à nos vieux amis indiens des sous-marins nucléaires? Pourquoi, en Méditerranée, ne pas étendre l’axe France-Grèce à d’autres partenaires ? Pourquoi prolonger des sanctions contre la Russie, qui nous pénalisent, alors que les Allemands ont achevé leur gazoduc avec elle ?

Il est temps pour les Français de se souvenir du grand principe de lord Palmerston, énoncé aux Communes en 1848: les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.


Renaud GIRARD
www.lefigaro.fr
28 septembre 2021

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr

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