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SOUS-MARINS. Des sous-marins qui bousculent la France en campagne

Posté le jeudi 23 septembre 2021
SOUS-MARINS. Des sous-marins qui bousculent la France en campagne

« Il ne manque pas de spéculatifs qui portant leurs vues au-delà du possible voudraient faire envisager l’Amérique comme une puissance redoutable, un jour, même, à ses bienfaiteurs. Que par une succession progressive de temps, elle puisse devenir assez considérable, c’est ce dont on ne disconviendra pas ; mais qu’elle puisse devenir formidable c’est une terreur contre laquelle on se prémunira ». (Vergennes, mémoire à Louis XVI, le 23 juillet 1777)

Le Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères de Louis XVI ne se trompait pas, peu de temps pourtant après la déclaration d’indépendance des Treize colonies américaines, le 4 juillet 1776. Avec l’aide de la France (voir le document ci-dessous) et « encore bien des années pour ne pas dire des siècles avant que les nouveaux Angleterriens aient mis en valeur tous les terrains qui leur restent à défricher », ceux qui sont devenus les Etats-Unis d’Amérique sont bien, depuis 1945, la puissance redoutable avec laquelle Emmanuel Macron est aux prises. Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences du coup de force de Washington contre la vente en 2016 par Naval Group, héritier des arsenaux et de la Direction des constructions navales (DCN), de douze sous-marins d’attaque à propulsion classique à la Royal Australian Navy – le « contrat du siècle » pour la France, qui excelle dans ce domaine, disait-on. Elles peuvent être considérables, à tous les points de vue, nous y reviendrons plus tard, AUKUS compris.

Mais on peut mesurer la violence du coup à son impact, déjà, sur la vie politique française. Quand jamais la perte d’un contrat commercial a-t-elle tenu si durablement la presse et les politiques français en haleine ? Mais il s’agit aussi de diplomatie, de politique extérieure, direz-vous. Certes. Mais il y a bien longtemps que ces sujets ne font plus la une, au plus près disons en 2003 avec le refus de Jacques Chirac (et de Gerald Schröder en Allemagne) de soutenir l’agression américaine de l’Irak. Les Français avaient alors entendu – et soutenu – les explications parfaitement claires de Dominique de Villepin à l’ONU (1). Aujourd’hui ? Etonnés, les Français découvrent la colère de leur ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Sur France Info le 16 septembre, il évoque, pour parler en bon français, « un coup dans le dos » (2). « Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance, cette confiance est trahie (…) il va falloir des clarifications ». Colère confirmée au journal de 20 heures, sur France 2, le 18 septembre. « Nous avons rappelé nos ambassadeurs » aux Etats-Unis et en Australie « pour essayer de comprendre et pour montrer à nos pays anciennement partenaires que nous avons un très fort mécontentement » annonçait-il (3). Une première dans les relations franco-américaines. « Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu rupture majeure de confiance, il y a eu mépris, donc ça ne va pas entre nous ». Et pour Londres ? L’ambassadrice n’a pas été rappelée. Pourquoi ? « On connaît leur opportunisme permanent. La Grande-Bretagne dans cette affaire, c’est quand même un peu la cinquième roue du carrosse. »

Oui. Mais alors une roue ancienne. En 1780, dans une lettre à Montmorin, alors ambassadeur de France en Espagne, Vergennes écrivait : « Pour terminer cet article tâchons de faire la paix d’une manière que les Américains contents et tranquilles sur leur indépendance ne soient pas obligés d’en chercher la sûreté et la conservation dans des engagements trop intimes avec l’Angleterre. Si jamais ces deux nations venaient à renouer et à consacrer le pacte de confraternité dont les meilleures têtes de l’Angleterre ont eu le projet, bientôt la paix que nous aurions rétablie ne serait plus qu’une trêve perfide qui ne durerait qu’aussi longtemps que la situation de l’Angleterre est fatiguée ». Il semble, malgré la folie de « déconstruction » à l’œuvre, qu’on ait à apprendre d’hier. Même si l’amiral Coldefy confirme à Maxime Perrotin, très bien documenté (4), « que l’industrie de sa majesté fut bien «incapable» de développer seule l’Astute, la dernière génération de sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), pressentie pour servir de modèle aux futurs submersibles australiens. «Plus d’une centaine d’ingénieurs américains sont venus aider les Anglais à construire leurs SNA !», raille-t-il ». En soulignant que deux acteurs «comptent pour du beurre». Aux «pions» australiens qui n’ont aucune connaissance en matière de nucléaire, Alain Coldefy ajoute donc les «faire-valoir» britanniques ».  En réalité, ajoute l’amiral, « On est en frontal avec l’administration démocrate américaine». On ne saurait mieux dire.

Mais Jean-Yves Le Drian est aussi ministre de l’Europe, dont la défense tient essentiellement à l’OTAN ? Et ce sont les Américains qui en ont le commandement militaire ? Oui. Il reprend donc les antiennes de son président : « L’OTAN a engagé une réflexion, à la demande du président de la République, sur ses fondamentaux. Il y aura au prochain sommet de l’OTAN à Madrid l’aboutissement du nouveau concept stratégique. Bien évidemment, ce qui vient de se passer aura à voir avec cette définition ». Et encore : « Si les Européens ne sentent pas que pour rester dans l’Histoire, il faut qu’ils s’unissent et défendent ensemble leurs propres intérêts, alors leur destin sera totalement différent ». Mais les faits valent mieux que les mots, écrit en résumé Pierre Haski ce 20 septembre (5). « Pas un commentaire, pas une déclaration venue des 26 partenaires de la France ; tout juste une allusion du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, qui a dit « comprendre la déception française ». C’est peu, c’est intrigant ». Intrigant ? « Mais il ne faut pas beaucoup creuser pour comprendre que l’enjeu n’est pas là, ou disons pas seulement là ; il est politique, dans le comportement des États-Unis avec leurs alliés » lesquels ont pourtant été choqués par « le fait accompli américain en Afghanistan le mois dernier ». Alors, « pourquoi le silence lorsqu’un nouvel épisode de manque de respect minimum entre alliés se produit, cette fois vis-à-vis d’un membre de l’Union européenne ? ». 

Pierre Haski a la réponse : « On en revient une nouvelle fois à la difficulté qu’ont les Européens lorsqu’il s’agit de la garantie de sécurité américaine : ils savent qu’elle est affaiblie, mais ne veulent surtout pas s’en passer (…) au profit d’une hypothétique défense européenne dans laquelle Paris aurait le rôle principal ». Notons de plus qu’il y a une grande différence avec 2003 quand le refus de l’intervention américaine en Irak était partagé par toutes les opinions publiques européennes – y compris en Grande-Bretagne. Le compte-rendu de RFI est disponible en ligne, avec les sondages de l’époque (6). Les temps ont changé, et pas dans le sens désespérément souhaité par Emmanuel Macron.

Et le président français, qui est en campagne pour sa réélection, a des raisons d’être inquiet. Parce que les postures gaulliennes sont insuffisantes. La presse, ou plutôt le petit monde clos des journalistes, si proche de ses positions d’ordinaire, pose des questions. Sur les Etats-Unis et son président, d’abord, en se permettant d’exprimer des doutes – ce qui est proprement extraordinaire après le déluge de bons sentiments qui ont suivi son élection. Sur la « solidarité » européenne, ensuite, le quasi-silence à peine troublé par les réactions tardives de nos partenaires leur étant parvenu aux oreilles – il devient difficile de s’abuser. Sur le « camouflet » subi par la France et son président : est-ce à dire que nous sommes devenus si faibles ? Que nous ne sommes pas « plus forts avec l’Europe » mais très seuls quand nos voisins s’interrogent (7) ? Que nos « alliances », avec l’Allemagne en particulier, ne veulent rien dire ? Que nous avons un service de renseignement défaillant ? Que nous ne savons pas vendre ? Que nous avons abandonné des pans entiers de notre industrie (Alstom, négocié par Emmanuel Macron), de notre indépendance, pour des chimères ? Et l’opinion s’éveille, s’émeut. Comme nous sommes en campagne électorale, les candidats s’emparent, contraints et forcés, de sujets jusqu’ici tabous parce qu’ils divisent les partis.

Et voilà qu’apparaissent dans leurs discours les questions qui fâchent : pourquoi rester dans le commandement intégré de l’OTAN ? Que veut dire cette nouvelle défaillance de l’Union européenne ? Pourquoi lui avons-nous tant cédé de notre liberté de décider ? Où est notre avenir, en définitive ? On parle même, et c’est exceptionnel, de nos responsabilités sur notre domaine maritime (le deuxième au monde), des besoins de nos armées, de notre stratégie, de nos engagements, de la pertinence – et du danger – de suivre une « Amérique » dont les intérêts ne sont pas les nôtres. Emmanuel Macron est pour l’heure silencieux, enfermé avec ses « communicants » campagne oblige, et son Conseil de Défense – la situation est vraiment grave.

Il devra trouver concrètement comment prévenir la France d’une Amérique devenue formidable et parfaitement indifférente à notre destin.

Hélène NOUAILLE 
Lettre de Léosthène

  

Document :

Déclaration du Roi de France remise par le Marquis de Noailles à la Cour de Londres, le 13 mars 1778 (un traité d’alliance a été passé avec les Insurgents des Treize colonies américaines le 6 février 1778) :

« L’ambassadeur soussigné de Sa Majesté Très Chrétienne a reçu l’ordre exprès de remettre à la Cour de Londres la déclaration suivante :

Les Etats-Unis de l’Amérique septentrionale, qui sont en pleine possession de l’Indépendance prononcée par leur Acte du 4 juillet 1776, ayant fait proposer au Roi de consolider, par une convention formelle, les liaisons qui ont commencé à s’établir entre les deux Nations, les Plénipotentiaires respectifs ont signé un Traité d’amitié & de commerce, destiné à servir de base à la bonne correspondance mutuelle.

Sa Majesté étant résolue de cultiver la bonne intelligence entre la France & la Grande-Bretagne, par tous les moyens compatibles avec la dignité & avec le bien de ses Sujets, croit devoir faire part de cette démarche à la Cour de Londres, & lui déclarer en même temps que les Parties contractantes ont eu l’attention de ne stipuler aucun avantage exclusif en faveur de la Nation Française, & que les Etats-Unis ont conservé la liberté de traiter avec toutes les Nations quelconques, sur le même pied d’égalité & de réciprocité.

En faisant cette communication à la Cour de Londres, le Roi est dans la ferme persuasion qu’elle y trouvera de nouvelles preuves des dispositions constantes & sincères de Sa Majesté pour la paix, & que Sa Majesté Britannique, animée des mêmes sentiments, évitera de son côté tout ce qui pourrait altérer la bonne harmonie, & qu’elle prendra particulièrement des mesures efficaces pour empêcher que le commerce des Sujets de Sa Majesté avec les Etats-Unis de l’Amérique septentrionale ne soit troublé, & pour faire observer, à cet égard, les usages reçus entre les Nations commerçantes, & les règles qui peuvent être censées subsistantes entre les Couronnes de France et de Grande-Bretagne.

Dans cette juste confiance, l’Ambassadeur soussigné pourrait croire superflu de prévenir le Ministère Britannique, que le Roi son Maître étant déterminé à protéger efficacement la liberté légitime du commerce de ses Sujets, & de soutenir l’honneur de son Pavillon, Sa Majesté a pris en conséquence des mesures éventuelles avec les Etats-Unis de l’Amérique septentrionale. 

A Londres, ce 13 mars 1778 ».

 

Notes :

 

(1) Intégralité du discours de Dominique de Villepin à l’ONU, le 14 février 2003, (Le Figaro du 8 avril 2014)
https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2014/04/08/25001-20140408ARTFIG00066-le-discours-de-villepin-sur-l-irak-a-l-onu.php 

(2) Dailymotion, le 16 septembre 2021, Intervention de Jean-Yves Le Drian sur France Info TV (5’26)
https://www.dailymotion.com/video/x847n4n

(3) Le Monde/AFP le 18 septembre 2021, Sous-marins australiens : Jean-Yves Le Drian dénonce une « rupture majeure de confiance » avec les Etats-Unis et l’Australie
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/18/sous-marins-australiens-jean-yves-le-drian-denonce-une-rupture-majeure-de-confiance-avec-les-etats-unis-et-l-australie_6095174_3210.html

(4) Sputnik, le 16 septembre 2021, Maxime Perrotin, Contrat du siècle torpillé par l’Australie: « l’adversaire c’est le démocrate américain ! »
https://fr.sputniknews.com/20210916/contrat-siecle-torpille-adversaire-americain-1046143778.html

(5) France Inter, le 20 septembre 2021, Pierre Haski, Crise des sous-marins australiens : le silence assourdissant de l’Europe
https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-du-lundi-20-septembre-2021

(6) RFI, le 9 janvier 2003, Irak - Les opinions publiques contre la guerre
http://www1.rfi.fr/actufr/articles/037/article_19189.asp 

(7) La Tribune de Genève, le 21 septembre 2021, Contrat pour des sous-marins rompu – La France en situation délicate sur la scène internationale
https://www.tdg.ch/la-france-en-situation-delicate-sur-la-scene-internationale-260546484626

Source photo : Ministère des Armées 

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