11 NOVEMBRE. Le refus de la victoire, maladie française. LIBRE OPINION du général (2s) Olivier KEMPF

Posté le mercredi 07 novembre 2018
11 NOVEMBRE. Le refus de la victoire, maladie française. LIBRE OPINION du général (2s) Olivier KEMPF

Je poursuis la réflexion entamée sur cette non commémoration de la Victoire décidée par l’Élysée et balancée, à ses yeux, par le voyage mémoriel que le président de la République, compte effectuer, rendant ainsi hommage aux combattants.

Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas de discuter des sujets annexes qui ne sont pas ici essentiels :

  • ni la question d'un éventuel défilé ou parade (traditionnellement, le 11 novembre fait l'objet d'une prise d'armes de pied ferme autour de l'Arc de Triomphe et personne n'a demandé un défilé particulier) ;
  • ni la question de la mise à l'honneur des maréchaux de la Première Guerre mondiale (je rappelle qu'ils furent nombreux : Foch, Joffre, Gallieni, Lyautey, Franchet d'Espèrey, Fayolle, Maunoury, et Pétain, celui qui pose problème...) ;
  • ni la question de la négociation avec l'Allemagne de ces modalités (car après tout, il est compréhensible qu'on use de tact et de diplomatie en la matière).

Selon l’Élysée, « Le sens de cette commémoration, ce n'est pas de célébrer la victoire de 1918 ». Voilà le point dur, celui qui cause problème, plus encore que les propos inutiles d'un conseiller mémoire qui n'a pas de mémoire sur « les civils que l'on a armés ».

Ne pas célébrer la victoire.

Que célébrer, alors ? La « fin d'une guerre » ? Mais ne comprend-on pas qu'il n'y a pas de fin de guerre si l'un des adversaires n'accepte le résultat de la fortune des armes ? Il y a un anachronisme persistant à considérer, par un crypto-pacifisme, que « la guerre c'est mal et que donc toute guerre est mauvaise ». Les guerres sont douloureuses, nul n'en disconvient mais si les États, si les parties (dans le cas de guerres irrégulières) décident de les faire, c'est bien parce que leurs raisons sont à leurs yeux plus impérieuses que les incontestables catastrophes qui les accompagnent. Oui, la guerre est catastrophique et pourtant, on la fait. Ce n'est d'ailleurs pas parce qu'on ne se veut pas d'ennemis qu'on n'en a pas. Souvent, c'est l'ennemi qui décide, les djihadistes nous l'ont montré récemment ; c'est d’ailleurs parce qu'ils ont pris l'initiative que nous parlons désormais à tout bout de champ de « guerre ».

On la fait pour de bonnes raisons, par exemple pour défendre sa liberté (une des trois valeurs de la devise de la République). Peut-on quand même rappeler à certains que trois départements étaient en 1914 annexés contre la volonté des peuples depuis plus de 45 ans, et que pendant la guerre, justement, dix départements français, de l'Est et du Nord du pays, soit deux millions de personnes, vivaient sous la domination du Reich ? La victoire a permis que ces territoires-là soient libérés et elle a évité qu'au lieu d'avoir trois départements annexés, il n'y en ait eu cinq ou dix. Ce n'est pas rien.

Car eussions-nous été défaits, nous aurions vécu sous une domination étendue. La défaite de 1870 n'avait pas laissé que des bons souvenirs, faut-il le rappeler (juste une histoire de mémoire...).

Alors, de quoi ce refus de la victoire est-il le nom ?

Si l'autre nous déclare la guerre, nous devons la conduire. Sinon, comment comprendre les déclarations de nos gouvernants répétant sans relâche que « nous sommes en guerre » ? L'absence de réflexion sur le sens de la guerre fait qu'on ne désigne pas l'ennemi : non, on « fait la guerre contre le terrorisme », formule du président précédent reprise par le président actuel. Mais alors, qu'y a-t-il, selon eux, au bout de cette guerre ? Si le terroriste est notre ennemi, ne devons-nous pas « vaincre » ? Sinon, quel est le but ?

Si donc nous sommes en guerre aujourd’hui, c'est que nous acceptons le mécanisme de la guerre. Parfois, la force doit prévaloir afin qu'elle crée le droit.

S'agit-il alors de cet étrange goût français pour célébrer les défaites ? On célèbre Sidi-Brahim, Bazeilles, Camerone ou Diên-Biên Phu, on se souvient d'Azincourt et Crécy plus que de Castillon qui pourtant nous donna la victoire, à la fin de la guerre de Cent Ans. Heureusement que les cyrards fêtent encore le 2S en l'honneur d'Austerlitz... Mais la tradition militaire aime les glorieuses défaites, celles où le panache est mis en avant, où l'on célèbre la lutte jusqu'au bout, le sacrifice suprême. Mieux vaut la manière (l'héroïsme) que le résultat.

En l'espèce, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Nulle célébration de vertus militaires. C'est juste que la victoire, ça sonne trop guerrier. Et puis il y a ce côté moderne qui trahit en fait un sentiment refoulé de supériorité : on refuse de célébrer sa victoire « car l'on est au-dessus de ça », on oublie Austerlitz mais on va fêter Trafalgar. On se croit humble et généreux, on est juste orgueilleux et méprisant, sans même s'en rendre compte, plein de bons sentiments, d'autant plus que l'autre se fiche de nos abaissements, lui n'hésite pas à célébrer ses victoires. Car il ne s'agit pas de triompher, mais de célébrer. Nuance. La victoire de 1918 n'est tout de même pas une exaction... Le XXe  siècle en a connu bien d'autres, ailleurs qu'en France.

Au fond, ce refus de célébrer la victoire est une pensée anachronique, une trahison du devoir de mémoire, un vain calcul politicien contemporain. Il faut revenir à Renan et sa définition de la Nation. On rappellera (avec Wikipedia, qu'on ne peut accuser de déviation idéologique) que Renan insiste sur la conception française contractuelle de la formation de la Nation, à l'opposé d'une vision allemande (eh oui!) beaucoup plus essentialiste, venue notamment de Fichte. J'ai décrit par ailleurs, dans mon livre Géopolitique de la France, la dialectique entre les deux approches et comment le nationalisme allemand est né à la suite de la Révolution française.

Pour Renan, être une Nation « c'est avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore dans l'avenir ». Mais encore faut-il se souvenir des belles choses faites ensemble.

Le terrible sacrifice de nos grands-parents en fait partie, quoi qu'on en dise. Certes, la France sort épuisée de la guerre, certes le défilé de la Victoire (qui a lieu le 14 juillet 1919) commence par les blessés, estropiés et gueules cassées, certes les anciens combattants affirment « plus jamais ça », mais pas un ne regrette le combat ni le sacrifice, car victoire il y a eu. Alors, il peut y avoir réconciliation.

Il n'y a pas de paix s'il n'y a pas un vainqueur et un vaincu, n'en déplaise aux conseillers de l’Élysée. Ainsi que le précise le sociologue américain Charles Tilly, la guerre est une chose d'abord politique car « la guerre fait l’État avant que l’État ne fasse la guerre ». Vouloir la paix, ce n'est pas refuser l'idée même de guerre, c'est la regarder sereinement, avec justement le recul de l'Histoire.

Il y eut donc une victoire. On ne peut la célébrer sans la passer sous silence. Se souvenir permet de construire justement d'autres destins. Interpréter, c'est trahir, y compris l'avenir.Un coup de tête jamais n'abolira le passé !

Olivier KEMPF
Officier général (2s)

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr