A contre-courant de la repentance

Posté le dimanche 22 septembre 2019
A contre-courant de la repentance

Il n'y a pas eu davantage embouteillage sur les gazettes locales que sur les autoroutes de l'information pour rappeler le 80e anniversaire d'un événement historique sans précédant. Tout simplement, parce qu'il dément les partis-pris des « repenteux », notamment vis à vis du Maréchal Lyautey.


En ce 3 septembre 2019, le devoir de mémoire nous imposait sinon de célébrer, du moins d'évoquer un anniversaire qui fait date dans notre Histoire commune avec le Maroc. C'est une Histoire commencée avec Lyautey. C'est pourquoi la Fondation Lyautey s'est associée à la Fondation France Maroc Développement pour célébrer cet anniversaire en présence de SE Chakib Benmoussa, ambassadeur du Royaume du Maroc en France, lors d'un colloque à Bordeaux.


De quoi s'agit-il ? Lors de la déclaration de guerre - il y a tout juste 75 ans - le Sultan Mohammed, futur Roi Mohammed V, faisait lire dans toutes les mosquées du Maroc une lettre historique. 


C'est un appel au peuple marocain pour qu'il apporte son concours sans réserve à la France qui prend les armes pour se défendre. Il justifie ce concours par la nécessaire reconnaissance du Maroc pour les bienfaits apportés par le protectorat de la France. La réaction du Sultan Mohammed se situe dans le droit fil de la pensée de Lyautey.


Lyautey visait à la prospérité d’un Royaume chérifien devenu à terme souverain sous la conduite d’un Monarque « éclairé ». N'avait-il pas demandé, à l'issue de la Guerre 1914-18, que le Sultan du Maroc fasse partie des négociateurs du traité de Versailles ? C’est pourquoi j'évoquerai le Maréchal Lyautey comme un Exemple, un Symbole, une Référence.

 

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A l’occasion de cet anniversaire, il faut souligner « l'impérieuse » nécessité du souvenir. Le devoir de mémoire invoqué par les uns, comme le droit de mémoire avancé par d’autres, relève d’un besoin vital de transmission de valeurs que SM Hassan II exprimait en ces termes :   

« Le présent et l'avenir d'un pays sont solidaires de son passé », ce qui confirme l’énoncé du Maréchal Foch : « Les peuples ne perdent la vie que lorsqu’ils perdent la mémoire ». Quant au Maréchal Lyautey, il avait écrit : 

« La tradition est la colonne vertébrale d'une société. Si elle se brise, c'est la paralysie d'abord, la mort ensuite. »  

 

Aujourd’hui, Lyautey continue d'étonner et de fasciner, et même de séduire, ceux qui le croisent par le biais de ses nombreux écrits, de ses formules à l’emporte- pièce, mais toujours frappées au coin du bon sens, de ses vues prophétiques ou tout simplement des relations qui ont été faites de son épopée.

 

Son épopée, est bien celle d’un officier devenu Maréchal de France, Résident Général de France au Maroc, Ministre de la Guerre, Membre de l'Académie Française. Cette phrase, dont il est l’auteur peut être considérée comme le fil conducteur de sa réussite :

« Je n'ai pas de doctrine. Je ne connais que l'action, que l'homme, que cette pâte humaine que le chef doit savoir animer avec cœur par l'action créatrice et sociale. »

 

Le moment venu de la retraite, après son retour du Maroc en 1925, il fut encore Commissaire Général de l'Exposition Coloniale Internationale de 1931, Président du Comité français de propagande aéronautique, Membre d’honneur à perpétuité de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Nancy, Président d’honneur de toutes les fédérations du scoutisme en France.

 

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Force est de constater qu’au fil de sa vie Lyautey fut tout à la fois, soldat, pacificateur, administrateur, humanitaire, bâtisseur et urbaniste, écrivain et protecteur des arts. 

 

Évoquer Lyautey ce n’est pas seulement évoquer un visionnaire qui avait la stature d’un homme d’Etat humaniste, un colonial soucieux d’un meilleur avenir pour les peuples colonisés ou « protégés », comme ce fut le cas pour le Maroc. C'est aussi évoquer la grandeur de la France et l'œuvre humaine et généreuse qu'elle a accomplie outre-mer.

 

C'est encore affirmer les liens historiques, culturels et affectifs tissés avec le Maroc, à l’histoire et au développement duquel son nom reste associé. Il demeure respecté dans ce Royaume dont il a sauvé et consolidé le trône et où il a su faire aimer la France. Il n’est pas anodin de constater que ceux qui critiquent Lyautey sont généralement ceux qui lui reprochent d’avoir consolidé la monarchie alaouite.

 

Ce n’est pas le Sultan Mohammed qui me contredirait, vu Sa lettre du 3 septembre 1939 lançant un véritable appel au peuple marocain : 

 

« Il est de notre devoir le plus absolu de manifester au gouvernement de la France notre reconnaissance pour tout ce qu'elle a fait pour nous...

À partir de ce jour et jusqu'à ce que l'étendard de la France et de ses alliés soient couronnés de gloire, nous lui devons un concours sans réserve ... »

 

Évoquer Lyautey, c’est également mettre à l’honneur l’Armée d’Afrique qui s’est couverte de gloire sur tous les champs de bataille où elle a servi avec la France pendant 132 ans, de 1830 à 1962.

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Sans vouloir faire une biographie d’Hubert Lyautey (1854-1934), il est intéressant d’évoquer sa période marocaine où il joint la passion à l'action. Car, c'est au Maroc que s'épanouit pleinement son génie créateur. Il y restera treize ans de 1912 à 1925. Dans une conjoncture parfois difficile, souvent en désaccord avec le gouvernement français, il fait des merveilles sans jamais se laisser arrêter par les difficultés. Il pacifie le pays qui aurait pu voir plusieurs prétendants au Trône s’affronter, en appliquant avec succès sa théorie dite de la « tache d’huile ».

 

Il jette les bases du Maroc moderne tout en respectant son Sultan, ses forces traditionnelles, sa religion, son patrimoine culturel et architectural, avec le dessein avoué de l'amener à son indépendance dans les meilleures conditions. 

 

C’est pourquoi, il dote le pays des infrastructures nécessaires pour son évolution économique et sociale. On y construit les premières routes goudronnées, des voies ferrées, ports, écoles primaires et professionnelles, collèges, dispensaires, hôpitaux, la première maternité - dite de la Maréchale - à Rabat, bâtiments pour les services publics créés, etc. 

 

Le Maroc est en chantier. Lyautey se révèle un urbaniste. Il édicte des consignes strictes pour les constructions nouvelles et le respect des Marocains, de leurs mœurs et de leur patrimoine. Fait significatif, dès son arrivée en 1912, il fait restaurer la porte monumentale de la casbah des Oudayas à Rabat qui avait du être murée.

 

On ne souligne jamais assez ses réalisations dans le domaine de la Santé publique où tout était à faire. A son arrivée, Lyautey dispose dans l’urgence des médecins militaires qui prodiguent des soins et vaccinent au cours de tournées médicales. 

 

Pour sa part, Madame Lyautey (1862-1953), qui, au début du siècle dernier, avait initié des actions du type « Infirmières sans frontières » se dépense sans compter pour l’organisation d’actions sanitaires et la création d’œuvres pour l’enfance. Plus tard, pendant la guerre 1939-45, elle organise des collectes à Paris pour envoyer des colis aux soldats marocains prisonniers de guerre en Allemagne.

 

Les travaux gigantesques entrepris au port de Casablanca sont critiqués en France. Mais Lyautey a de l’intuition. Après la découverte du phosphate, il a imaginé que ce serait une richesse pour le Maroc à condition qu’il puisse être exporté. Taxé de «mégalomanie», il s’en explique : 
« Je ne construis pas pour le présent, mais pour l'avenir. Or, l'avenir a le pouvoir de rendre tout trop petit. »

 

Appelé comme Ministre de la Guerre fin 1916, il préférera démissionner quelques mois plus tard, plutôt que de composer avec des hommes politiques qui refusent de prendre les décisions dictées par la situation. Il restera amer de n’avoir pu ni empêcher l’offensive du Général Nivelle, dont il avait pressenti le dramatique échec, ni installer un commandement unique interallié, gage d’efficacité, dont Clémenceau s’attribuera le mérite un peu plus tard.

 

De retour au Maroc, il poursuit son œuvre de bâtisseur tout en continuant à participer à l’effort de guerre contre l’Allemagne dont les agents cherchent à soulever les tribus. Il ne cesse d’envoyer en France vivres, matières premières et renforts de troupes. Il continue de créer et d’entraîner des unités marocaines : tirailleurs, spahis, goumiers, qui une fois aguerries partent à leur tour pour le front où métropolitains, pieds-noirs et marocains mêlent leur sueur et leur sang pour défendre la France.

 

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Clairvoyant, Lyautey en véritable Homme d’Etat, avait perçu après le premier conflit mondial la révolution technologique et industrielle qui allait secouer le monde, la révolution économique qui suivrait, mais aussi la modification des équilibres dans les sociétés et entre les sociétés. Il y avait préparé le Maroc. 

 

Chef, dans toute l'acceptation du terme, il tenait en horreur ceux qui pratiquent la division pour régner. Au contraire, l'un de ses leitmotiv était « la recherche du dénominateur commun qui unit les Hommes.»

 

Respectueux du traité de Protectorat et de sa mission, il affirmait avec vigueur : 

« Le Maroc est un État autonome dont la France assure la protection, mais qui reste sous la souveraineté du Sultan, avec son statut propre. Une des premières conditions de mon rôle est d'assurer l'intégrité de ce régime et le respect de ce statut. »
Et, comme il le prévoyait, à peine avait-il quitté le Maroc que le gouvernement français - qui l’avait acculé à la démission - s’employait à prendre le contre-pied de sa politique et à accumuler les erreurs.

 

Du moins, avait-il quitté le Maroc, en octobre 1925, avec ce rêve inachevé que SM Mohammed V n'a eu de cesse de réaliser : 

« Ce que je rêve, c'est que, parmi tant de désordres qui ébranlent le monde au point de se demander quand et comment il reprendra jamais son équilibre, il s'élabore au Maroc un édifice solide, ordonné et harmonieux, qu'il offre le spectacle d'un groupement d'humanité où des hommes si divers d'origine, d'habits, de professions et de races poursuivent, sans rien abdiquer de leurs conceptions individuelles, la recherche d'un idéal commun, d'une commune raison de vivre.»

 

Colonel (er) Pierre GEOFFROY
Président de la Fondation Lyautey


Rediffusé sur le site de l'ASAF :  www.asafrance.fr

 

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