A la recherche du « La » perdu… LIBRE OPINION du  Bernard MESSANA

Posté le vendredi 26 avril 2019
A la recherche du « La » perdu… LIBRE OPINION du  Bernard MESSANA

La première manifestation des Gilets jaunes a rassemblé plus de 280 000 citoyens issus d’un magma confus que l’on pourrait qualifier de peuple des « dominés », travailleurs pauvres, chômeurs, retraités. C’était là l’expression spontanée et irrépressible de leur désespoir et de leur colère ; exclus du « système », condamnés à une pauvreté irrémédiable, sans espoir, et en même temps humiliés par un pouvoir affichant à leur égard une condescendance vaguement méprisante, se révolter, c’était pour ces citoyens l’occasion de soudain renaître et retrouver, dans l’insoumission, une dignité. Le peuple de France l’avait aussitôt compris. Mieux encore, 5 mois après la première manifestation, il continue, très majoritairement, à considérer que cette révolte est légitime.

 

Elle a pourtant fortement perturbé le fonctionnement de notre société. Des extrémistes de Droite comme de Gauche, mêlés aux Gilets jaunes, ont durement affronté les forces de l’ordre dans les rues de certaines villes, y apportant la désolation; les anarchistes des Black Blocs se sont méthodiquement acharnés à détruire et incendier tout ce qui s’offrait à leur portée ; certains banlieusards des cités dites de non-droit, masqués, sont venus « faire leurs courses » en pillant les magasins ; et quelques uns de leurs ressortissants à barbe rousse se sont à l’occasion risqués à la chasse aux Juifs errants. Les forces de l’ordre, Police et Gendarmerie, se sont engagées avec force, et les militaires de l’opération Sentinelle les ont épaulées en assurant à leur place la garde de certains points sensibles, cibles possibles de certains provocateurs. C’était pourtant là courir le risque extrême de l’ouverture du feu. On se souvient du 26 mars 1962, rue d’Isly, à Alger, et l’on sait qu’il suffit d’une rafale venue de nulle part pour provoquer l’embrasement incontrôlable et étouffer le cri dérisoire du « Cessez le feu ! ».

 

Voilà donc cinq mois que ces Gilets jaunes manifestent tous les samedis, plus ou moins nombreux, plus ou moins agités, sans chef d’orchestre, ce qui a conduit à la cacophonie. En fait, ces « musiciens » d’un autre type, aspirant à un concert final libérateur, s’efforcent vainement d’accorder leurs instruments et c’est difficile, car on a, semble-t-il, perdu le « La », et même mélangé les partitions. Alors les sons les plus grinçants et dissonants se mêlent et s’entremêlent. Et le chef d’orchestre lui-même a semblé ne pas vouloir se presser de s’installer au pupitre. On l’a vu aller et venir, dissertant, interrogeant ; en fait, il réfléchissait… cherchant le « La » lui aussi, assurément, et peut-être même à gagner du temps.

Un bref essai de conciliation par des mesures économiques jugées  insuffisantes avait en effet échoué à remettre de l’ordre dans les partitions. Et c’est donc à tous les Français, Gilets jaunes ou pas, que le Président chef d’orchestre avait alors pris l’initiative de demander d’exprimer leurs doléances, en les conviant à un « grand débat », défouloir espéré salutaire, catharsis souhaitée purificatrice.

Le débat est clos. Succès pour l’un, « blabla » pour l’autre, peu importe. M. Philippe, Premier ministre d’un gouvernement censé gouverner la France, y a surtout décelé une « exaspération fiscale » et mesuré l’épaisseur du « mur de défiance » séparant les citoyens de leur classe politique. Désormais conscient d’un « besoin de changement radical », il s’est alors tourné vers le Président, le priant d’annoncer des mesures « puissantes ». Et le Président, « maître des horloges », avait alors choisi la date du 15 avril pour présenter aux citoyens ce qui aurait pu apparaître comme les nouvelles tables de la Loi. Mais, ce jour-là, Notre-Dame de Paris a été livrée aux flammes !

Incendie accidentel, acte criminel, nul ne le sait encore, sauf les coupables. Et le Président a décidé, avec sagesse, de reporter à plus tard l’annonce de ses décisions. Va-t-on parler aux citoyens de taxes, de vitesse sur les routes, du prix des carburants, ou de référendums quand un immense et merveilleux symbole de l’Histoire de France part en fumée ? Quand les citoyens éperdus regardent la flèche de Notre-Dame s’incliner et s’abattre, et pensent alors au 11 septembre ? Quand ils semblent redécouvrir leur attachement viscéral à leurs racines historiques, chrétiennes ou pas ? À des Français réunis par une douleur commune, doit-on parler de leurs divisions ? Un Président ne devrait pas faire ça. Et il ne l’a pas fait.

 

Avec une émotion certaine, et une rare simplicité, il a su trouver les mots rassembleurs, invitant à une sorte d’élan de communion nationale, à un renouveau de l’esprit « bâtisseur ». Il est en fait apparu, en un moment tragique, comme le Président de tous les Français. N’était-ce pas là, enfin, le « La » tant recherché ?

OUI, si le Président choisit désormais de camper à sa place de Président de tous les Français, et n’est plus confondu avec le chef de file d’une majorité artificielle. Les mesures techniques censées répondre aux doléances figurant aux conclusions du « grand débat » ne sont pas de son niveau. Il ne gouverne pas, il préside. En 1968, le général de Gaulle avait-il dirigé les discussions de Grenelle ? Bien sûr que non. C’est là la tâche des ministres. S’ils y échouent, si les troubles durent et s’intensifient, alors il faudra dissoudre et revenir aux urnes. Quant au risque d’une cohabitation, il reste d’un effet mineur qui n’a d’ailleurs pas interdit à MM. Mitterrand et Chirac, qui l’ont subi, d’effectuer deux mandats successifs.  

NON, si le Président préfère redevenir le chef omniscient et omnipotent d’où tout découle. Solution à tout, il sera alors LE seul problème, LE responsable unique, que nombre des citoyens risquent de venir « chercher ».

 

Les situations provoquées par ce Oui, ou ce Non, illustrent parfaitement le défaut institutionnel qui fausse le jeu démocratique. En l’an 2000, sous prétexte d’éviter le prétendu « risque de cohabitation », la durée du mandat présidentiel a été alignée à cinq ans, comme celui des députés. Dès lors, l’élection présidentielle immédiatement suivie des législatives  conduit les Français cartésiens à accorder une claire majorité au Président qu’ils viennent d’élire. Pendant ces cinq années, le Président est donc libre de se comporter en autocrate absolu, ce qu’il fait sans hésitation ; et confortablement installés dans le confort d’une stabilité quinquennale, les députés se gardent bien de scier la branche sur laquelle ils sont installés. Au bout des cinq ans, le système, devenu insupportable, est rejeté par les citoyens : échec d’un M. Sarkozy jupitérien à se faire élire à nouveau, désertion d’un M. Hollande volage préférant ne pas se représenter. De plus, les alternances se transforment en ruptures presque haineuses. Du passé, on fait table rase. M. Hollande consacrera les premiers temps de son mandat à défaire ce que M. Sarkozy avait bâti. M. Macron n’a certes pas eu besoin de défaire les œuvres du « quinquennat pour rien » de M. Hollande, mais sa majorité composite née de la décomposition des grands partis traditionnels, et parcourue de courants contraires, l’oblige à se conduire en chef de parti. Il lui faut « être et durer » quand une très large majorité de Français, aujourd’hui, ne semble plus vouloir lui en reconnaître le droit.

 

Notre-Dame de Paris a été livrée aux flammes, les Gilets jaunes sont dans la rue, relayés par les retraités, les syndicalistes, des enseignants, des écologistes, etc. Pompiers, policiers et gendarmes sont engagés, les militaires sont « prêts à »… Et cette figure marquante des Gilets jaunes de commenter : « Un symbole brûle et se meurt, mais un peuple demande à vivre. Les deux sont à reconstruire ».

Pour Notre-Dame de Paris, le Président a choisi un « chef de chantier » très symbolique, un soldat, le général Georgelin. Il fallait oser !

Et pour le peuple ? Ne faudrait-il pas, là aussi, oser ? Comme le général De Gaulle avait su, en 1968, oser et gagner. À moins d’attendre, pour faire enfin le pas décisif, les résultats d’élections européennes désormais détournées de leur objet et devenues référendum présidentiel ?

 Bernard MESSANA
Officier général (2s)

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr