AERONAUTIQUE. SCAF : Il faut que Français et Allemands trouvent un compromis et évitent l’irréparable

Posté le vendredi 19 février 2021
AERONAUTIQUE. SCAF : Il faut que Français et Allemands trouvent un compromis et évitent l’irréparable




La coopération franco-allemande sur le système de combat aérien futur (SCAF) semble mal engagée : on parle de pillage de la technologie française détenue par Dassault, des Allemands qui pourraient partir seuls pour fabriquer le démonstrateur : qu’en est-il ? Le point avec Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

 


Comment comprendre cette situation ?


Il faut tout d’abord bien comprendre les données du problème

Une coopération en matière d’armement ce n’est jamais simple, il faut que les intérêts des États et des entreprises soient préservés. Si l’on ne prend en compte que les Français et les Allemands, cela fait quatre acteurs : l’État français, l’État allemand et les entreprises Dassault et Airbus. Si on ajoute les acteurs espagnols, cela fait six avec l’État espagnol et l’entreprise Indra. Et il faut ajouter les entreprises de rang majeur comme Thales en France ou Safran et MTU pour les moteurs.

Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est la signature de l’accord pour la phase 1B du programme, celle qui verra la fabrication d’un démonstrateur. À ce stade, même s’il n’y a pas d’accord à trouver pour la phase de fabrication, des technologies importantes sont en jeu : celles que l’on va utiliser pour développer le démonstrateur, ce que l’on appelle le background dans le jargon des droits de propriétés intellectuelles, et celles que l’on va développer, ce que l’on appelle le foreground. Et c’est là que se situent les difficultés actuelles. Dassault considère que le background qu’il détient et qui servira à développer le futur SCAF constitue la richesse technologique de l’entreprise. C’est ce qui fait la valeur de Dassault qui ne veut donc pas céder son background. C’est un point de vue qui est légitime.

L’État allemand considère qu’il va payer pour financer une capacité militaire, mais que s’il n’a pas accès à ce background, il ne pourra pas redévelopper ce matériel. Il aura acquis un objet, mais il n’en aura pas la maîtrise. C’est un point de vue qui est également légitime.

La question des droits de propriétés intellectuelles, ce que l’on appelle les IPR (Intellectual Property Rights) a toujours été une question difficile, car les intérêts des États et des industriels sont toujours objectivement contradictoires, même quand on est dans un cadre national sans coopération, et quand il y a plusieurs États et plusieurs industriels comme c’est le cas avec le SCAF, c’est encore plus compliqué.

On peut prendre l’exemple de la technologie développée en commun dans le domaine des missiles dans le cadre franco-britannique et avec MBDA. Cette coopération est toujours citée comme l’exemple de ce qu’il faut faire : l’entente est bonne avec les Britanniques, il y a une seule entreprise, en l’occurrence MBDA. Et pourtant, au début de la coopération franco-britannique dans le cadre de Lancaster House, il a fallu six mois pour trouver un accord sur la question du partage des IPR dans le cadre de l’accord sur le MCM ITP missiles (Materials and Components Missiles, Innovation and Technology Partnership).

 

Y a-t-il une solution ou cette coopération risque-t-elle d’échouer ?


Il faut espérer que cela n’échoue pas. Un accord sur les IPR est toujours un compromis. C’est une question juridique. Si on revient aux termes de la question à régler, Dassault détient des droits sur les IPR. Les technologies développées par cette entreprise fondent sa richesse : elles ont donc un prix et ne peuvent être cédées sans forme de procès sous peine de mettre en cause la compétitivité future de Dassault. Mais en même temps, ce sont les citoyens qui financent les technologies qui ont été développées puisque ce sont les États qui financent la recherche et technologie des entreprises de défense que ces citoyens soient français ou allemands. Et la défense c’est la sécurité des citoyens, ce ne peut être uniquement une affaire d’intérêts privés. Il faut donc trouver une solution juridique à ce dilemme, qui sera nécessairement une solution de compromis en prenant exemple sur les solutions qui ont pu être trouvées dans d’autres cas de figure et sachant aussi qu’on ne peut déroger au principe adopté lors du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet 2017 qui veut que la France ait le leadership pour piloter le projet du SCAF et que l’Allemagne a le leadership pour piloter le projet du MGCS.

Le problème est qu’aujourd’hui, les Cassandre de tous bords sont à l’œuvre. Le débat, relayé par certains médias des deux côtés du Rhin, est parfois presque caricatural comme s’il n’y avait que de gentils Français et des méchants Allemands ou de méchants Français et des gentils Allemands selon la rive du Rhin où on se situe. La coopération franco-allemande dans le secteur industriel de défense est faite de méfiance et d’incompréhensions qui s’ajoutent aux difficultés de nature objective qui existent sur la question du partage des IPR. Cela crée un mélange explosif. Il y a un an avec mon collègue allemand Christian Mölling de la DGAP, nous avions écrit un long article sur ce sujet. Nous avions en tête les projets que nous devions conduire dans un cadre franco-allemand, le SCAF et le MGCS, et nous redoutions ces écueils. Cet article n’était pas à la gloire de la coopération franco-allemande et soulevait toutes les difficultés à surmonter. Il donnait les clés de compréhension de ces écueils et par là même indiquait la méthodologie à suivre pour éviter des échecs sur le SCAF et le MGCS. Nous avions écrit cet article en parfaite intelligence, chacun avec son background culturel, l’un français, l’autre allemand, et nous nous étions trouvés en accord sur tout. Je pense que c’est un exemple à suivre.


Pourquoi la réussite de la coopération sur le SCAF est-elle absolument indispensable ?


La solution la plus simple serait bien sûr de revenir à un programme national. Et, là aussi, les arguments de part et d’autre du Rhin sont d’une simplicité biblique. « Nous réussirons, car nous sommes les meilleurs » ou « nous réussirons, car nous avons l’argent » ou « nous réussirons, car comme cela nous sauvegarderons nos emplois ». Faites votre choix : ces arguments invoqués sont plus simplistes que simples, mais ils ne disent pas la vérité à nos citoyens.

Il y a trente-six ans maintenant, François Mitterrand écrivait à son homologue Helmut Kohl pour regretter l’échec de l’avion de combat européen et il posait les conditions d’une coopération future dans le domaine aéronautique militaire. Il semblerait qu’il n’ait pas été bien entendu, et ce alors qu’encore plus qu’il y a trente-six ans, nous avons besoin de cette coopération, pour au moins trois raisons :

  • Aucun de nos pays n’a la capacité de financer seul un tel équipement dans le futur. Une compétition destructrice entre nos industriels conduirait à la disparition de nos capacités industrielles aéronautiques militaires ;
  • L’échelle de l’enjeu de cette coopération sur le SCAF n’est pas franco-allemande ou franco-allemande-espagnole ; elle n’est même pas européenne, mais mondiale. Le SCAF est un élément essentiel au plan politique et industriel de la capacité européenne aéronautique future dans la défense. Il est donc de ce fait un instrument essentiel de l’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale, et ce, au moment où le monde est en train de se structurer autour d’une confrontation entre la Chine et les États-Unis. Il est indispensable que l’Union européenne puisse exister face à cette confrontation sous peine de devenir un acteur subalterne des relations internationales. Dans ce contexte, l’échec du SCAF serait perçu comme l’échec de l’affirmation de l’Union européenne. Ce serait donc très grave alors qu’on a vu ces dernières années que la France et l’Allemagne ne peuvent avoir seules une influence significative dans le cours des évènements internationaux ;
  • Pour le moment, nous vivons sous une règle où on dépense sans compter pour faire face à la crise du Covid-19 et certains prônent donc la relance par les dépenses de défense dans un cadre national. Or, on a vu que cette politique, adoptée après la crise de 2008, outre qu’elle n’est soutenable que sur quelques années alors qu’un programme d’armement dure quarante ans et plus, conduisait à tuer la coopération en matière d’armement. Une telle politique serait donc contraire à toutes les initiatives qui ont été lancées au niveau de l’Union européenne comme le Fonds européen de défense et tuerait donc dans l’œuf ces initiatives européennes qui visent à faire de l’UE un acteur qui compte sur la scène internationale.


Pour résumer, on voit donc que les solutions qui visent à mettre fin à la coopération sur le SCAF au profit de programmes nationaux, que ces solutions soient prônées à Berlin ou à Paris, sont des solutions qui sacrifient le long terme au profit du court terme. Ce que l’on attend de nos dirigeants, c’est qu’ils préparent le monde de demain, celui de 2050 et non leur chance d’être élu ou réélu lors des élections législatives allemandes de septembre de 2021, et présidentielles françaises de mai 2022. Il faut donc que Français et Allemands trouvent une solution de compromis et négocient avec transparence et avec des arguments rationnels pour la trouver.

 

Jean-Pierre MAULNY
16 février 2021
Source : https://www.iris-france.org/154362-scaf


Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr