EXPRESSION. Alexandre SOLJENITSYNE : Le déclin du courage

Posté le lundi 29 août 2022
EXPRESSION.  Alexandre SOLJENITSYNE : Le déclin du courage

Les prédictions politiques étant on ne peut plus sombres en raison du conflit en Ukraine, l’auteur a trouvé utile d’évoquer les raisons d’espérer au-delà du temps présent et ne pas confondre privation d’abondance et douleur morale.

 

Crise de sens ou Berezina de la parole.

 

Déjà, en juin 1978, Alexandre Soljenitsyne, un russe à l’époque idolâtré, avait dans son célèbre discours de Harvard, postulé que la presse était devenue la force la plus importante des pays occidentaux notamment et dépassait en puissance d’influence sur les esprits les pouvoirs exécutifs ou législatifs. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’elle donne aujourd’hui une résonance particulière aux évènements selon la tendance générale. Ainsi, six mois après l’inacceptable invasion russe de l’Ukraine, le monde occidental, mené par les Etats-Unis et l’alliance politico-militaire de l’OTAN, a renoué avec les horreurs impensables de la guerre. Chaque jour surgissent des nouvelles alarmantes, d’abord pour les populations directement concernées mais aussi pour l’occident tout entier qui subit l’impact des sanctions économiques et financières imposées à la Russie. Contre l’ignorance et les préjugés, le savoir et le courage doivent primer dit-on. Pour autant, expert après expert et jour après jour le décryptage est incertain voire apocalyptique. En France, le Haut-Commissaire au Plan va jusqu’à prédire « la crise la plus grave que la France ait connue depuis la guerre … ». Le déclin du courage, qui était le thème du discours d’Harvard, et l’effondrement qui vient n’ont peut-être pas été enrayés par les hommes politiques eux-mêmes et, aujourd’hui, nous allons tous « en payer le prix ».

 

La parole de la Grande Muette est enfin à l’honneur depuis six mois sur les plateaux de télévision comme dans la presse écrite. Le pouvoir politique laisse libre d’expression ceux qui, en d’autres occasions, auraient pu être cloués au pilori pour avoir osé porter une opinion jugée impertinente concernant l’évaluation de menaces potentielles contre le pays. En revanche, dans le contexte du conflit en Ukraine il est heureux que ces officiers, dont le métier et la mission est l’art de la guerre, s’expriment sur les raisons du jeu dangereux et de l’effet funeste des conflits de haute intensité (peu compatibles avec certains projets d’encadrement par l’armée de délinquants mineurs). En effet, personne ne veut mourir pour une idée honteuse ou une cause perdue. Après le passage de la Berezina, Napoléon malgré les pertes immenses avait échappé à l’anéantissement final. Il devait sa survie « au capital amassé depuis des années et sa force tenait dans la réputation de ses gloires passées » dira Clausewitz. Aujourd’hui il convient dans les démocraties d’expliquer aux peuples comment on en arrive à l’affrontement armé, économique et juridique. Les experts qui nous éclairent ne sont pas des Nostradamus et leurs analyses point des prophéties, mais leur message est, jour après jour, nécessaire à la compréhension évolutive du conflit et à la consolidation du sentiment national français.

Désormais les gouvernants nous promettent « la fin de l’abondance et de l’insouciance », comme si la vie n’était habituellement qu’un long fleuve tranquille, sauf à ce que le pouvoir soit sourd aux gémissements de ses concitoyens. Certains français dans le dénuement espèrent l’aide de l’état providence, d’autres savent avec grandeur ce que sont les sacrifices quotidiens pour avoir connu la douleur paroxysmique d’accompagner en terre un père, un époux, un fils « Mort pour la France ». Ils comprennent assurément le sens de l’histoire et celui des décisions politiques mais attendent des réponses concrètes car la mémoire de ces militaires morts en opérations extérieures depuis trente ans ou de ces civils assassinés dans les attentats terroristes nous oblige. Dans un monde qui se nourrit de l’hypothétique équilibre des forces armées et de la paix universelle dans le village planétaire, chacun rêve en effet du droit au bien-être général. Malheureusement l’expérience géopolitique internationale démontre que les Etats, quand bien même ils appartiennent à des ensembles de coopération ou d’alliances, ménagent d’abord leurs intérêts vitaux, « quoiqu’il en coûte ». Reste, au-delà du temps présent, la légitime interrogation des peuples : comment en est-on arrivé à la confrontation actuelle si désavantageuse et signe d’impuissance politique ? « Il est bon qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même » écrivit Albert Camus dans l’avant-propos de ses Chroniques algériennes.

Dominique BAUDRY
Colonel (h) et membre Asaf
www.asafrance.fr

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Source : www.asafrance.fr