ALGERIE : Disparu en Algérie  

Posté le dimanche 21 mars 2021
ALGERIE : Disparu en Algérie   

Régulièrement, une vidéo, parfois remplacée par un texte écrit, circule sur Internet, relatant les conditions de captivité endurées par un jeune soldat français dans les mois qui suivirent l’indépendance algérienne. Nombreux sont ceux que ce récit émeut et interpelle, voire parfois révolte. Car tous se demandent : est-il possible que ces faits soient vrais ?

Le général Henry-Jean Fournier, président de l’Association SOLDIS ALGERIE[1], qui connaît le cas de ce soldat, André A…, a rencontré l’intéressé et étudié son dossier, pour savoir ce qu’il en est.

 

André A… originaire de Villeneuve-sur-Lot (47) a été appelé en 1961 pour effectuer son service militaire. Au cours de ses classes à Fréjus, il a maille à partir avec la justice militaire à la suite d’une absence irrégulière qui lui vaut une sanction. A l’issue, il est affecté en Algérie, au 23e RIMA.

Début juillet 1962, dans le cadre du redéploiement des forces françaises en Algérie à la suite de la proclamation de l’indépendance, son régiment fait mouvement vers la région d’Alger et stationne à Maison-Carrée, dans la banlieue d’Alger.

C’est là que le 21 juillet 1962, bien que consigné dans son cantonnement, le jeune André sort malgré tout en ville. Il est interpellé par des Algériens en uniforme. Il raconte :

«  Ils m’ont pris ma carte d’identité militaire et l’ont déchirée. Je me suis retrouvé dans une camionnette avec des civils européens, dont le propriétaire du véhicule. On a été conduits dans une briqueterie, déshabillés et jetés dans un four encore tiède. Dans la nuit, d’autres Européens sont arrivés. A la fin, on était 17. Nous sommes restés là, entassés, sans boire ni manger, à redouter qu’ils allument le four. Au bout de quarante-huit heures environ, nous sommes partis en camion bâché. Une fois dans le djebel, on nous a fait descendre et on a entamé une marche forcée pour arriver à la mine de fer de Miliana[2]. Là, on nous a jetés à moitié nus dans une galerie. Dans la mienne, on était environ 60, mais il y avait d’autres galeries avec d’autres Européens. On nous obligeait à creuser avec des petites pioches. On avait droit à un verre d’eau par jour et parfois à un plat de semoule. Pour ne pas mourir de soif, on mettait nos slips dans les parois humides de la mine et on suçait les gouttes d’eau. Quand le plat de semoule arrivait, on se battait comme des chiens entre nous. Certains sont morts d’épuisement, d’autres se sont volontairement tués. Une fois, l’un d’entre nous a planté sa pioche dans la terre et s’est jeté sur la lame. 

Un jour, un ministre algérien est venu visiter la galerie. Je ne me suis pas levé pour le saluer. Il m’a balancé un grand coup de pied dans la tête [la cicatrice à l'arcade sourcilière est encore visible]. J’ai essayé de m’évader deux fois sans succès. La première fois, en représailles, on m’a donné de grands coups de bâton sur les chevilles. La deuxième, on m’a assis sur une pierre, ligoté à un pieu et arraché les ongles des orteils avec une pince. La troisième tentative a été la bonne. J’étais avec deux autres copains qui ont été abattus. J’ai marché jusqu’à l’épuisement. Des pieds-noirs m’ont découvert évanoui et nu dans un fossé. Ils m’ont soigné, puis embarqué dans un chalutier en direction de Marseille. Quand je suis arrivé chez moi, à Bordeaux, ni mes parents ni ma fiancée ne m’ont reconnu. Je pesais moins de 40 kilos. »

Mais le malheur d’André A… ne s’arrête pas là

« Le 22 juillet 1963, j’ai été arrêté par la gendarmerie de Villeneuve-sur-Lot. C’était pendant mon voyage de noces. On m’a interné au fort du Hâ à Bordeaux pour « désertion en temps de paix » ! J’ai été brutalisé. On voulait que je livre les filières qui m’avaient permis de revenir d’Algérie. Je suis resté muet. On m’a ensuite conduit à l’hôpital militaire Robert Piquet. Sur la porte de ma chambre, on avait inscrit : « Individu dangereux, à ne pas mettre en contact avec les autres recrues ». Le tribunal militaire de Bordeaux m’a finalement acquitté. Je rends hommage au commissaire du gouvernement qui a plaidé pour ma non culpabilité. Il a ensuite été muté. »

André bénéficie en effet d’un non-lieu et retrouve enfin la vie civile, mais on peut imaginer dans quel état psychologique il se trouve, abandonné à lui-même et sans aucune aide, jusqu’à ce que, dans les années 2000, l’UNC prenne en charge son dossier et l’aide à bénéficier de ses droits d’ancien combattant.

Pour comprendre ce qui s’est passé, il est nécessaire de rappeler qu’en ce temps-là les autorités françaises soupçonnaient systématiquement tout militaire absent de désertion, avec, en outre de fortes présomptions d’appartenance à l’OAS[3], ce qui explique l’incarcération sans ménagements d’André.

D’autant plus que celui-ci, à son retour en France, n’avait pas eu le souci de régulariser sa situation militaire, sans doute par crainte de la justice militaire avec laquelle il avait déjà eu maille à partir. Il est vraisemblable aussi qu’il ne se considérait plus comme membre d’une institution qui l’avait abandonné à son triste sort, comme beaucoup d’autres, hélas.

On dénombre en effet, après le 19 mars 1962,  235 cas de militaires français de souche européenne portés disparus. Une centaine d’entre eux ont été retrouvés vivants[4], parfois après seulement quelques heures de détention, mais 125 ne sont jamais revenus[5]. Car, à partir du 19 mars 1962, le port de l’uniforme français n’offrait plus aucune protection en Algérie[6] et l’armée française n’était plus en mesure d’assurer la protection de ses propres soldats.

Le cas d’André, comme celui de beaucoup d’autres disparus non revenus fut évoqué très officiellement à l’Assemblée et au Sénat, où le gouvernement fut interpellé à plusieurs reprises sur ce dossier. Parmi les intervenants, il convient de saluer tout particulièrement le sénateur Étienne Dailly, dont l’intervention figure au Journal Officiel[7].

Mais ces dossiers furent étouffés, car, comme ceux des harkis, ils contrariaient la politique des relations avec l’Algérie. Ils ne furent périodiquement évoqués, de plus en plus faiblement, que par quelques élus courageux, lors des débats sur le vote des fonds accordés à l’Algérie, fonds généreux qui ne permirent même pas d’obtenir la moindre information sur les soldats français disparus.

Que faut-il en conclure ?

Tout d’abord, que l’histoire d’André est sans doute vraie, car elle corrobore d’autres informations parcellaires, obtenues ici ou là, sur le sort de nombreux captifs européens ou nord-africains, qui furent employés à des travaux forcés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il est aussi peu vraisemblable qu’il ait été mêlé à l’OAS d’une part parce que celle-ci avait cessé d’exister à la date de sa disparition et d’autre part, parce qu’il n’avait aucune raison, ni aucune compétence pour s’engager dans une telle voie.

On peut aussi estimer que cette histoire est emblématique de l’attitude des responsables politiques français de l’époque, qui se sont refusés à exiger des informations sur les disparus, à un moment où il était sans doute encore possible de retrouver des survivants, et alors que l’armée française était toujours présente, en force, sur le territoire algérien. De nombreux renseignements confirmaient la présence, clairement identifiée, de camps de prisonniers. Une enquête de la Croix-Rouge Internationale, effectuée en Algérie en 1963, n’aboutit à rien, tant pour les militaires portés disparus que pour les civils qui avaient, eux aussi, été victimes d’enlèvements.

Peu, très peu, en sont revenus, comme André. Celui-ci vit aujourd’hui dans une maison de retraite de la région de Bordeaux. Pressentant peut-être qu’il ne pourrait plus parler un jour (ce qui est pratiquement le cas aujourd’hui en raison d’énormes difficultés d’élocution), il a voulu témoigner,  en réalisant en 2003 cette vidéo, pour que l’on n’oublie pas ceux qui ne sont jamais revenus et qui ont été abandonnés par la patrie qu’ils servaient.

C’est pourquoi l’association SOLDIS ALGERIE s’emploie activement à établir la liste précise de ces militaires portés disparus, dont elle souhaite perpétuer la mémoire grâce à un monument qu’elle projette de réaliser avec l’aide de tous ceux qui ne veulent pas oublier.



Henry-Jean FOURNIER
Officier général (2s)

 

 

[1]  Association nationale pour la mémoire des militaires français portés disparus en Algérie

[2]  Miliana se trouve à environ 110 kms au sud-ouest d’Alger, à l’aplomb de Cherchell. La mine de fer a été fermée en 1975.

[3]  Organisation de l’Armée Secrète, organisme clandestin ayant lutté contre l’abandon de l’Algérie.

[4]  Une dizaine seulement de corps ont été retrouvés.

[5]  Les recherches de SOLDIS n’étant pas encore achevées, ces chiffres ne sont pas définitifs.

[6] Le cas des militaires de souche nord-africaine est tout aussi dramatique, mais difficilement dénombrable, car, aussitôt l’indépendance, les autorités militaires prirent la décision de ne plus poursuivre pour désertion les militaires FSNA n’ayant pas rejoint leur corps. S’il est vraisemblable que certains ont effectivement déserté sous la pression des événements ou des menaces dont eux-mêmes ou leurs familles ont pu être l’objet, il est tout aussi certain qu’un grand nombre a été purement et simplement éliminé, pour avoir servi le drapeau français.

[7] JO du 24 novembre 1963, page 2572.

 

bandeau soldis in algerie

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr