ALGERIE : Macron veut réconcilier sans céder à la repentance

Posté le jeudi 21 janvier 2021
ALGERIE : Macron veut réconcilier sans céder à la repentance

L’historien Benjamin Stora a publié son rapport sur la colonisation mardi. Le président prévoit des actes « symboliques » forts dans les prochains mois.

Après plus de trois ans et demi de mandat - et autant de réflexion -, Emmanuel Macron a enfin achevé sa mue sur le sujet sensible et explosif de la guerre d’Algérie. Sur la forme, cela s’est matérialisé mercredi après-midi, lorsque l’historien Benjamin Stora est venu lui remettre en main propre l’épais rapport qui porte son nom et qui lui avait été commandé il y a six mois. Sur le fond, cela s’est traduit, au même moment, par un changement de discours diamétral de l’Élysée.

Car même si ses proches assurent qu’il « ne regrette aucunement » d’avoir qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » en 2017, le chef de l’État a compris qu’il avait fait une grave erreur durant la campagne. D’abord parce que les fractures et les déchirements qu’il avait réveillés à l’époque dans une partie du pays l’ont profondément marqué. Mais aussi parce que les exemples de la Corée et de la Chine, qui nourrissent une très vive défiance à l’endroit du Japon, lui ont prouvé que l’autoflagellation était au mieux inopérante, au pire contre-productive. Résultat, « il n’est pas question de présenter des excuses », balaie fermement l’un de ses conseillers. « La repentance est vanité, la reconnaissance est vérité. Et la vérité, ce sont les actes », poursuit-on de même source.

D’où le choix de préférer désormais les gestes à haute portée « symbolique » plutôt que l’empilement des mots inutilement « polémiques ». Dans cet esprit, le chef de l’État a décidé de « présider lui-même » trois grandes commémorations dans les prochains mois, à ­savoir : la journée nationale des harkis, le 25 septembre 2021 ; une cérémonie en mémoire des « événements » de 1961, le 17 octobre prochain ; et le 60e anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars 2022. Une célébration qui, si la situation sanitaire le permet, interviendra un mois presque jour pour jour avant le premier tour de la présidentielle.

D’ici là, Emmanuel Macron a promis d’accéder à « bon nombre » de « préconisations » de Benjamin Stora. Au total, sur les quelque 150 pages que compte son épais rapport, l’historien a recensé une trentaine de recommandations. Elles portent sur de très nombreux sujets, qui concernent aussi bien la refonte des programmes scolaires que l’accessibilité des archives, ainsi que la panthéonisation de l’avocate féministe Gisèle Halimi ou la construction d’une stèle en hommage à l’Émir Abdelkader. « Il suffit de connaître un petit peu le président pour comprendre assez vite qu’une énorme proportion de ces propositions seront retenues », sourit son entourage. Ces arbitrages devront toutefois faire l’objet d’échanges et de discussions avec les membres de la commission qui va être créée ad hoc, et dont la présidence va être confiée à Benjamin Stora. À la tête de cette struc­ture, l’historien sera notamment « chargé d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie ». « Certaines mesures seront franco-algériennes, et d’autres seront franco-françaises. Il y aura bien sûr des éléments diplomatiques, mais ça n’est pas l’objet premier. Nous devons d’abord et avant tout mener ce travail pour nous-mêmes. C’est une question de mémoire nationale », résume un conseiller élyséen.

Et pour cause, depuis les premières vagues d’immigration venues d’Afrique du Nord au milieu du siècle dernier, jusqu’à la fameuse « troisième génération » pourtant née sur le sol français, aucun gouvernement n’a su - ou voulu - régler les problèmes d’identité et d’intégration. Pire, ces fléaux se sont aggravés avec le temps, entraînant parfois les dérives séparatistes contre lesquelles l’exécutif entend lutter aujourd’hui. « L’histoire de la guerre d’Algérie et de la colonisation est très souvent mal racontée - parfois pour des raisons politiques malsaines - aux jeunes. (…) Il y a des gens qui font une lecture anachronique de notre histoire, expliquant que ce qu’il s’est passé il y a soixante ans vaut pour aujourd’hui », déplore un proche du chef de l’État. « Certaines forces politiques dans ce pays, que l’on peut qualifier “d’extrême gauche”, sont issues des milieux universitaires américains dits “ décoloniaux ” et “indigénistes”. Elles se sont saisies de ce dossier pour raconter une histoire qui n’est pas la vérité et casser la ­République », assène-t-on de même source.

Face à ce péril, que Benjamin ­Stora appelle la « communauta­risation des mémoires », Emmanuel Macron entend répondre en opposant une « réconciliation des mémoires ». Cela implique selon lui de sortir « du déni et du non-dit », de « regarder l’histoire en face » et de « reconnaître pleinement » les blessures de chacun. « Le chantier qui est devant nous est le chantier d’une ­génération. Nous devons absolument l’ouvrir maintenant si l’on veut ­es­pérer qu’il puisse être réglé dans dix, quinze ou vingt ans », veut-on croire à l’Élysée. Où l’on espère que, contrairement à ses prédécesseurs, Emmanuel Macron sera la bonne personne pour y parvenir : « Le président peut engager ce travail car il n’est ni un acteur ni un témoin engagé (de cette période) ».

Arthur BERDAH
Le Figaro - jeudi 21 janvier 2021

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr