Angela MERKEL en Chine : l’Allemagne d’abord

Posté le vendredi 13 septembre 2019
Angela MERKEL en Chine : l’Allemagne d’abord

Le président de Siemens, Joe Kaeser, faisait partie de la délégation qui accompagnait Angela Merkel en Chine, du 5 au 8 septembre derniers – douzième visite de la chancelière allemande depuis son accession au pouvoir en 2005.

Délégation qui comprenait de nombreux dirigeants et cadres supérieurs de l’industrie automobile allemande. A son retour à Berlin, il confiait son sentiment à la presse, à la fois sur le danger du découplage possible entre les Etats-Unis et l’Union européenne vis-à-vis de Pékin et sur les positions divergentes entre la France et l’Allemagne. Positions qui ne sont pas, disait-il, toujours « alignées » dans les domaines industriels et agricoles. Il relevait encore, propos repris par Bloomberg (1), les risques particuliers pour l’économie allemande dont « la croissance pourrait décliner en-dessous de zéro dans les mois à venir », soulignant que « le monde se réorganisait en nouvelles sphères économiques, rendant le travail des entreprises exportatrices plus difficile », avec le risque de « devoir décider entre amis et ennemis ». Le tout dans un contexte troublé par « le soulèvement à Hong Kong, une base clé pour Siemens avec 1800 employés et un effet de halo pour toute la région ».

« L’Europe serait bien avisée d’éviter ce découplage bilatéral, mais elle ne pourra y parvenir que lorsqu’elle sera entendue comme la troisième force dans le monde, ce qui n’est pas le cas pour l’heure », ajoutait-il.

Encore faudrait-il, répondait comme en écho dans Politico (2) Mikko Huotari, directeur adjoint de l’institut Mercator pour les affaires chinoises, que l’Union européenne parle d’une seule voix. En effet, « peut-être que le plus grand danger pour une position européenne unie sur la Chine sera-t-il la manière dont Berlin va se positionner maintenant ».
Le communiqué publié par la Commission le 12 mars dernier (3) souhaitait sans ambiguïté un « ordre groupé » européen à l’égard d’une Chine devenue « un concurrent économique dans la course à la domination technologique et un rival systémique dans la promotion d’autres modèles de gouvernance ». Et ce, même si la Chine est, « dans différents domaines stratégiques, un partenaire de coopération avec lequel l’UE partage des objectifs étroitement intégrés ». Un partenaire important, puisqu’elle est « le deuxième partenaire commercial de l’UE derrière les Etats-Unis » et que l’UE est « le principal partenaire commercial de la Chine » (13% des importations chinoises de biens et 16% des exportations chinoises de biens - chiffres 2017).

Dans le même temps, le 26 mars dernier, la France recevait le président chinois Xi Jinping à Paris en visite d’Etat de trois jours pour marquer le 55e anniversaire de la reconnaissance de la Chine communiste par la France du général de Gaulle, une première, alors controversée, pour le monde occidental.
Emmanuel Macron, soucieux de symboles, avait tenu à associer, à l’issue d’un « mini sommet inédit d’un peu plus d’une heure de diplomates sur l’Europe, la Chine et la gouvernance » (4), le président de la Commission Jean-Claude Juncker et la chancelière allemande à la réception offerte à Xi Jinping dans le grand salon de l’Elysée. « Voulue par l’Elysée », rapportait encore Marc Semo pour Le Monde, « cette rencontre inédite visait à afficher un front commun des Européens, parfois divisés sur l’attitude à adopter face à une Chine de plus en plus conquérante ». Conquérante – sans compter l’Italie - jusqu’en Europe centrale et orientale, où Pékin a multiplié les investissements notamment dans le domaine des infrastructures (routes et ponts, chemins de fer, centrales électriques, réseaux de fibres optiques, mais aussi mines de charbon, sidérurgie etc.) dans le cadre de ses Routes de la soie. En avril, le président chinois rencontrait ainsi le groupe dit « 17 plus 1 » en Croatie. Une initiative vue avec prudence, sinon méfiance, par l’UE. Qui avait été précédée en juillet 2018 d’un sommet à Sofia (Bulgarie) dans un format « 16 plus 1 » avec le premier ministre chinois Li Keqiang.

Il y a la Chine « rival systémique » - ou compétiteur systémique, une qualification retenue par le BDI allemand (équivalent du Medef en France) dès octobre 2018 dans un document de 25 pages qui listait « les obstacles rencontrés par les entreprises allemandes en Chine », nous disait Reuters (5), et puis il y a les difficultés propres de l’économie allemande - dans le contexte d’un ralentissement général des échanges.

Depuis 15 à 20 ans, l’Allemagne vendait à la Chine ce dont Pékin avait besoin pour développer ses capacités de production. Une adéquation parfaite avec l’industrie et le savoir-faire allemands. Qui a conduit les exportations allemandes à quelque 93 milliards d’euros, malgré un déficit commercial, tout de même, de 13 milliards d’euros. 900 000 emplois y seraient liés. Mais précisément, la Chine s’est équipée et transferts de technologie aidant, est montée en gamme. Le paysage a donc changé, et la volonté de Xi Jinping (plan China 2025) est claire : produire en Chine tout ce qui peut l’être, réduire donc les importations, est une priorité. De plus, rappelle Politico (2), il y a l’industrie de l’automobile allemande – visée par Donald Trump, menacée par le Brexit, deux marchés vitaux – qui « a beaucoup à perdre en Chine, où des fabricants tels que Volkswagen, BMW et Daimler produisent des millions de véhicules par an ». Avec trente usines en terre chinoise (huit en 2010), les Allemands produisent sur place 5,8 millions d’unités (2 millions en 2010), « un cinquième du marché chinois », mais les ventes ont baissé légèrement l’an dernier, conjoncture oblige. Il y a encore la concurrence et l’installation des géants chinois en Europe quand les autorités européennes de la concurrence refusent l’émergence de géants européens (Alstom-Siemens).

« Le débat a été relancé récemment lorsque le chinois CRRC, un géant appartenant à l'État et qui est déjà le plus grand constructeur de trains au monde, a annoncé qu'il achèterait une usine de locomotives à Kiel, dans le nord de l'Allemagne, à Vossloh (…), excellent exemple de la façon dont la Chine s’installe dans l’arrière-cour industrielle de l’Europe ».

L’enjeu est donc important pour Angela Merkel, qui souhaite inciter l’Europe à s’ouvrir aux investissements chinois contre une ouverture de la Chine aux investissements européens. « Selon des responsables allemands, Merkel envisage en effet de promouvoir l'accord de protection des investissements en Chine » poursuit Politico. Il s’agit de la négociation, difficile en raison des réserves de Pékin, du CAI (EU-China Comprehensive Agreement) : Angela Merkel envisagerait de « finaliser l'accord - ce qui serait également une aubaine pour les entreprises allemandes - au cours du second semestre 2020. Elle envisage d'accueillir un sommet chinois avec d'autres dirigeants de l'UE lorsque l'Allemagne assumera la présidence tournante du Conseil de l'UE », de juillet à décembre 2020. Un activisme qui suscite les réserves de certains observateurs : d’une part, relève Nicolas Goetzmann (Financière de la Cité) pour le Figaro (6), parce que cette volonté d’ouverture n’est pas conforme à la position commune exprimée par la Commission européenne de mars dernier (3), d’autre part parce que, « en agissant de la sorte, Angela Merkel accroît le risque de voir Donald Trump imposer des tarifs sur le secteur automobile européen » - en donnant l’impression, pour défendre ses intérêts propres, de vouloir « sauver son économie, non pas en faisant ce qu’il faut pour rééquilibrer sa balance commerciale avec les Etats-Unis, mais en se précipitant dans les bras de Pékin ».

Sans associer en outre, comme l’avait fait Emmanuel Macron en mars dernier, ses partenaires européens. Sans envisager non plus les enjeux géopolitiques qui s’inscrivent dans le temps long entre la Chine et l’Occident. Et qui concernent aussi bien les « sujets militaires » que « technologiques, politiques et économiques » en face d’une Chine qui privilégie aujourd’hui une « stratégie de puissance dominante », après avoir bénéficié, depuis son entrée à l’OMC en 2001, d’une « sorte de gigantesque plan Marshall (…) financé pour une large part par les déficits commerciaux des Etats-Unis et de l’Europe (…) sans que l’espoir d’une ouverture démocratique ne prenne jamais forme ». Nicolas Goetzmann, sévère, rappelle encore que la volonté de contenir cette stratégie de puissance dominante chinoise, si elle est celle de Donald Trump, avait été initiée par Barack Obama lui-même « et que les actuels candidats démocrates » à la présidence américaine « sont parfois sur une ligne encore plus dure vis-à-vis de Pékin ».

Si l’on en croit le Quotidien du Peuple (7), Xi Jinping est satisfait du contenu des échanges bilatéraux, soulignant « qu’il était nécessaire de rendre plus grand le gâteau de coopération Chine-Allemagne » et insistant sur « la coopération industrielle automobile (qui) est un bon exemple d’avantage mutuel entre les deux pays ». Ajoutant : « La Chine accélère l’ouverture de ses secteurs financiers et de services et accueille les investissements allemands dans ces secteurs ».
Où est l’Europe ? Où est la France ? Le Global Times (8), proche du pouvoir, se contente de remarquer que « la question de Hong Kong » - sur laquelle la presse occidentale a fait quasiment tous ses titres et commentaires – « ne dominerait pas l’agenda de Merkel en Chine (…). Nous pensons que lorsque Merkel a soulevé les affaires de Hong Kong à Pékin, il s’agissait juste d’un show à destination des publics occidentaux et allemands ».

Au-delà du show, il y a eu l’Allemagne d’abord. On sait donc comment Berlin s’est positionné vis-à-vis d’un rival systémique : pas « d’ordre groupé » européen. Mais cette fois, le pari sera-t-il vraiment gagnant ?

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène, le 11 septembre 2019
http://www.leosthene.com 

 

Notes:

(1) Bloomberg, le 9 septembre 2019, Benedikt Kammel, Siemens CEO Urges Europe to Take Stronger Stance in Trade Battle

https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-09-09/siemens-ceo-urges-europe-to-take-stronger-stance-in-trade-battle

(2) Politico, le 5 septembre 2019, Hans Von der Burchard et Joshua Posaner, Battered by trade war, Merkel begins contreversial China trip

https://www.politico.eu/article/battered-by-trade-war-merkel-begins-controversial-china-trip/

(3) Commission européenne, le 12 mars 2019, Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sur les relations UE-Chine – Une vision stratégique

https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/communication-eu-china-a-strategic-outlook_fr.pdf

(4) Le Monde, le 26 mars 2019, Marc Semo, Face à Xi Jinping, Macron, Merkel et Juncker exigent un multilatéralisme « plus équilibré »

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/26/face-a-xi-jinping-macron-merkel-et-juncker-exigent-un-multilateralisme-plus-equilibre_5441553_3210.html

(5) Capital/Reuters, le 31 octobre 2018, Le patronat allemand plaide pour réduire la dépendance à la Chine

https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-patronat-allemand-plaide-pour-reduire-la-dependance-a-la-chine-1313756

(6) Le Figaro Vox, le 4 septembre 2019, Entretien avec Nicolas Goetzmann, Angela Merkel en visite en Chine : le dessous des cartes

http://www.lefigaro.fr/vox/monde/angela-merkel-en-visite-en-chine-le-dessous-des-cartes-20190904

(7) Le Quotidien du Peuple/Xinhua, le 9 septembre 2019, Xi Jinping rencontre la chancelière allemande Angela Merkel

http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2019/0909/c31354-9613201.html

(8) Global Times, le 6 septembre 2019, le 9 septembre 2019, HK won’t top Merkel’s China trip agenda

http://www.globaltimes.cn/content/1163865.shtml

 

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