ARC DE TRIOMPHE : Le linceul du vieux monde.

Posté le mercredi 03 mars 2021
ARC DE TRIOMPHE : Le linceul du vieux monde.

Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira. 
Nous tisserons
Le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde.
 

(Aristide Bruant, Les Canuts 1910).  

 

Le 28 janvier 2021, le président de la Fédération Nationale André-Maginot, était à l’Arc de Triomphe pour célébrer le centenaire de l’inhumation du soldat inconnu sous la dalle où la flamme du souvenir de la Nation s’élève allègrement. « Au nom de la mémoire du disparu, il y a obligation de veiller à la permanence de la commémoration » écrit Olivier Faron dans « Les enfants du deuil ».

Et pourtant, du 18 septembre au 3 octobre 2021, il faut imaginer que ce même soldat inconnu sera habillé d’un nouveau linceul de vingt-cinq-mille mètres carrés de tissu argenté bleu, de crayon pastel, de peinture émaillée et de sept mille mètres de corde rouge d’après la réalisation d’André Grossmann et l’idée de l’artiste plasticien américain Christo, décédé il y a deux ans. En effet le Centre Pompidou et le Centre des monuments nationaux ont décidé « d’emballer » le monument dans un soutien au courant artistique d’art contemporain. Au nom de la modernité, adieu le respect des symboles du roman national, voici les communicants, les gourous créateurs d’évènements, les influenceurs qui ont un sens élevé de la saga moderniste mais moins de celle de l’Histoire de France. Certains se souviendront d’un précédent récit médiatique avec le « jogging » du 30 mai 2018 auquel trois mille quatre-cents jeunes, allemands et français, ont participé au milieu des tombes du sanctuaire de Douaumont, au rythme d’un rapp, joué par « les tambours du Bronx » du cinéaste allemand Schlöndorff. Ainsi, François Hollande et Angela Merkel réunis, rendaient hommage aux centaines de milliers de soldats tombés lors d’une des plus sanglante bataille de la Première Guerre Mondiale.

 « Rien ne me faisait plus d’effet que la manifestation de nos réussites nationales et les symboles de nos gloires avec l’Arc de Triomphe dans le soleil » dit le Général de Gaulle dans Mémoires de guerre et mémoires d’espoir (Plon 2016). C’est à la volonté de Napoléon, par un décret impérial daté du 18 février 1806, qu’a été construit ce monument qui ne fut inauguré qu’en 1836, sous Louis Philippe. Chez les romains à l’issue des campagnes guerrières les centurions devaient passer sous cette arche magique pour les décharger des énergies destructrices qu’ils portaient sur eux et qui auraient été dangereuses pour leurs concitoyens. Il s’agit dans cette symbolique d’un appel à la réflexion, à la philosophie, bref déjà au récit national. D’ailleurs les plus anciens, qui ne sont plus aujourd’hui, gardaient inconditionnellement dans leur souvenir la mémoire des hommes qui sont enterrés sous cette dalle du soldat inconnu.  Dans un récent numéro de la Cohorte, revue de la Société des Membres de la Légion d’Honneur, le président de la section girondine, raconte que lors d’une dernière apparition d’un rare poilu survivant de la Grande Guerre, alors qu’on lui proposait de le conduire en voiture jusqu’au centre de l’Arc de Triomphe, il refusa tout net et déclara : « si les anciens qui sont là-dessous me voyaient accepter, ce ne serait pas honorer leur mémoire… J’y vais à pied ! » Et il partit d’un bon pas, malgré sa canne. Voilà sans doute la définition même de l’honneur et il faut s’interroger aujourd’hui pour savoir si une société sans mémoire, sans principes, n’est pas une société sans avenir.

 

En cet automne 2021, sur la place de l’Etoile les associations d’anciens combattants, fédérations ou fondations célèbreront, comme tous les soirs depuis un siècle, le ravivage de la Flamme de la Nation. Tandis qu’à côté, les passants ou les badauds ébahis voudront, eux, se mettre en valeur en faisant des « selfies » devant l’emballage de l’Arc de Triomphe. Et sans même une seule pensée pour le symbole que porte le monument, ils enverront « un tweet et un like à tous leurs followers » comme on dit aujourd’hui. Mais soudain, le soldat inconnu, celui qui est mort pour eux, pour nous, pour la patrie, pourrait se dresser dans son linceul bleu-blanc-rouge et leur demander tout haut si ces mots sacrificiels ont encore un sens en France, où l’on disserte sans fin sur « les valeurs » de la république.

Dans les croix de bois, Roland Dorgelès écrit, en 1919, ce qui sera notre indéfectible conclusion. « On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qui l'aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois. »

 

Dominique BAUDRY
Colonel (er) et Membre de l’ASAF

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr