ARMEE. Temps de travail des militaires : Refusons ce diktat contraire aux intérêts de la nation !

Posté le mercredi 21 juillet 2021
ARMEE. Temps de travail des militaires : Refusons ce diktat contraire aux intérêts de la nation !

Sept écrivains de marine* - Didier Decoin, ­­ Loïc Finaz, Patrice Franceschi, Olivier Frébourg, Erik Orsenna, Yann Queffélec, Daniel Rondeau et Sylvain Tesson - en appellent au président de la République contre la décision de la CJUE ­voulant astreindre les militaires à une durée de temps de travail réglementaire.

Monsieur le Président, nous, écrivains de marine qui nous sommes engagés à défendre la vocation maritime de la France, nous nous adressons à vous publiquement sur un sujet aussi grave que précis, mais trop peu connu de nos concitoyens, soucieux de leur liberté et de celle de leur pays - c’est-à-dire du maintien opérationnel de notre outil de défense nationale dans un monde de plus en plus incertain, volatil et dangereux. La Cour de justice de l’Union européenne vient d’intimer à la France d’appliquer à nos armées la directive européenne du temps de travail, contre laquelle vous vous étiez jusqu’à présent opposé, à juste titre. Nous vous exhortons à tout faire pour refuser ce diktat contraire aux intérêts de la nation. Cette directive représente à coup sûr un progrès pour les travailleurs de l’Union en élargissant leurs droits individuels. Cependant, elle porterait un coup mortel à notre défense si elle venait à être mise en œuvre chez ceux qui ont en charge la protection de notre démocratie au péril de leur vie. Elle assimile en effet nos soldats, aviateurs et marins, à des travailleurs « comme les autres » en tirant un trait sur leur spécificité exceptionnelle. Elle veut les astreindre, sans qu’ils aient rien demandé, à préférer leur intérêt personnel à la mission collective à laquelle ils se vouent corps et âme - et sans compter. Cette assimilation suscite leur incompréhension et heurte leurs convictions les plus profondes. Ils continuent de considérer que le sens de leur engagement est d’assurer avant toute chose le bien commun de leurs concitoyens et l’intérêt général de leur pays malgré les dangers, les vicissitudes et les obligations rencontrées. Ils se voient mal combattre avec un temps de travail limité à 48 heures hebdomadaire, un repos minimal de 48 heures consécutives par semaine, un repos quotidien de 11 heures entre deux séances de travail, etc. Absurdité de la production incessante de normes par nos institutions, qui refusent de tenir compte de la vérité du monde. Aux yeux de ceux qui sont la muraille de notre civilisation, le temps de service prend fin quand la mission est achevée. Telle est la règle. Grandeur et servitude du métier militaire.

Monsieur le Président, permettez que nous rappelions ici à nos concitoyens quelques éléments de compréhension. Dans un pays comme le nôtre, démocratique et pacifique, le métier des armes oblige, plus qu’ailleurs, à un double consentement : donner la mort comme la recevoir, dans le seul but de défendre la nation, c’est-à-dire quelque chose de plus grand que soi. Ainsi ce métier demeure à part de tous les autres - et même, philosophiquement, absolument différent de tous les autres. Il est et doit demeurer ce qu’il a toujours été : une vocation au service des siens. Il y a dans cette vocation de l’engagement militaire une dimension irrationnelle, spirituelle, presque littéraire, dégagée de tout impératif utilitariste ou égoïste. Un soldat ne peut dire avant l’assaut : « C’est la pause ! »

Par-delà cet aspect essentiel pour le mental de ceux qui combattent, les lois de la république stipulent que les militaires obéissent d’abord à l’exigence fondamentale de disponibilité « en tout temps et en tous lieux pour assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation ». C’est une loi d’airain admise par tous. Elle doit continuer de prévaloir sur une directive européenne faite par des technocrates qui ont perdu tout sens des réalités et fabriquent notre propre carcan.

Cette affaire de directive européenne - consacrée désormais juridiquement par la Cour de justice, comme si la France était fautive - pourrait paraître anodine à nos concitoyens, mais elle est largement préjudiciable à leur sécurité et peut même être jugée comme une entreprise de démolition de leur protection. Elle démontre de façon tragicomique que nous pouvons être à nous-même notre propre ennemi pour nous affaiblir dans un incessant basculement de toutes nos valeurs. Les Français doivent savoir que vos chefs d’états-majors ne cessent de rappeler avec raison que notre environnement international s’est profondément modifié ces dernières années : nous faisons face désormais à un retour des politiques de puissance dans un contexte de réarmement général des nations non démocratiques. Ce « dérèglement militaire » est au moins égal au « dérèglement climatique » comme défi à relever. N’importe quel observateur un tant soit peu lucide, constate que nous assistons partout hors d’Occident à un emploi de plus en plus désinhibé de la violence couplé à un mépris croissant du droit international pour lui préférer le choix du fait accompli. Dans ce contexte des orages de l’histoire qui se rapprochent, les armées portent tous leurs efforts dans une seule direction : maintenir notre outil de défense intact - et même, l’améliorer sans cesse. Cela avec d’autant plus d’inquiétude que les armées de tous les autres pays de l’Union européenne sont déjà déclassées. Seule la France possède encore une armée complète. Il ne faudrait pas, par l’application de cette directive inutile et dangereuse, la frapper dans ses capacités opérationnelles comme dans le moral de ses soldats. Florence Parly, votre ministre des Armées a eu raison d’affirmer qu’elle était « farouchement opposée à l’application de la directive. L’ultima ratio de la nation ne peut dépendre de règles sur le temps de travail ».

Monsieur le Président, nous vous demandons de refuser pour nos armées l’application de cette directive européenne du temps de travail, et ce par tous les moyens. Vous devez conserver entre vos mains le fondement constitutionnel de « la nécessaire et libre disposition de la force armée » afin que, quels que soient les périls à venir, nous puissions continuer à penser que la liberté vaut la peine d’être défendue puisqu’elle est la valeur suprême qui irrigue toutes les autres pour leur donner sens.

*Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt ; Loïc Finaz ; Patrice Franceschi ; Olivier Frébourg ; Erik Orsenna, de l’Académie française ; Yann Queffélec ; Daniel Rondeau, de l’Académie française ; Sylvain Tesson.

 

TRIBUNE COLLECTIVE
Le Figaro
 20 juillet 2021


 Source photo : Laure Fanjeau / ASAF

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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