Attaque iranienne contre l’Arabie saoudite.

Posté le mercredi 16 octobre 2019
Attaque iranienne contre l’Arabie saoudite.

Le 14 septembre, une attaque de drones et de missiles attribuée à l’Iran a endommagé les installations pétrolières de la compagnie saoudienne Aramco et fait chuter de moitié la production nationale de brut.


Dans la foulée de l’offensive, attribuée à l’Iran, contre des installations pétrolières saoudiennes le 14 septembre dernier, les rapports de force régionaux sont bouleversés, ajoutant un nouveau facteur de déstabilisation au Moyen-Orient.

Les États-Unis ont-ils encore une crédibilité ?

Et si le principal dégât collatéral de la spectaculaire attaque attribuée à l’Iran contre l’Arabie saoudite concernait la parole américaine et la fiabilité de la garantie de sécurité des États-Unis ? De nombreux observateurs le voyaient comme un nouveau Ronald Reagan, un homme à poigne dont les fortes décisions marqueraient leur temps. Mais Donald Trump ressemble en fait davantage, pour ce qui est de sa politique étrangère, à Jimmy Carter ou Barack Obama, deux présidents qui se sont placés en retrait de la scène internationale, surtout au Moyen-Orient. Il tonne, menace, éructe, roule des mécaniques, mais n’agit pas. Il embrasse les dossiers brûlants avec grande énergie, voire appétence pour la Corée du Nord, mais les laisse filer entre ses doigts sans jamais fournir aucune réponse stratégique aux défis posés. En juin 2019, il avait annulé au dernier moment des frappes de représailles après qu’un drone américain avait été abattu par l’Iran. Le 14 septembre 2019, face au tremblement de terre géopolitique qui atteint son meilleur allié dans la région, il affirme qu’il revient à Riyad seul de prendre la responsabilité d’une éventuelle riposte. Bref, il se défile, remettant en cause la fiabilité de la garantie de sécurité américaine. La parole de Washington avait déjà été affaiblie par la volte-face syrienne de Barack Obama en août 2013. Cette nouvelle esquive, ajoutée à la légèreté avec laquelle le président américain trahit ses alliés, comme on l’a encore vu avec les Kurdes, n’a échappé à personne. Et surtout pas à l’Iran. « Téhéran a parfaitement compris qu’avec Donald Trump, l’Amérique vit un second moment Obama et que le président américain veut avant tout éviter un réengagement militaire de son pays au Moyen-Orient », commente l’ancien ambassadeur Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne.

L’Iran est-il le grand gagnant au Moyen-Orient ?

Pour l’instant, oui. Le manque de réaction américaine est considéré à Téhéran comme un aveu de faiblesse qui permet au régime de rétablir un rapport de force avec les États-Unis et leurs alliés. Non seulement l’Iran a réussi à diviser les signataires de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, mais son programme balistique a enregistré ces dernières années des progrès spectaculaires. La grande précision de l’offensive du 14 septembre, comme le fait qu’elle n’ait pas pu être détectée, prouve qu’il maîtrise aussi parfaitement la technologie des missiles de croisière et des drones. « Ni Saddam Hussein ni al-Qaida n’étaient jusque-là parvenus à frapper l’Arabie saoudite au cœur », commente Jean-Sylvestre Mongrenier, spécialiste de l’Institut Thomas More. L’Iran avance aussi ses pions dans la région, où il exerce désormais une forte influence sur quatre capitales : Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth. En capturant régulièrement des tankers dans le détroit d’Ormuz, par où transite un tiers du pétrole mondial, le régime rappelle en outre qu’il contrôle le trafic maritime dans cette région, même si des tirs de missiles contre l’un de ses pétroliers vendredi ont montré qu’il est également vulnérable. Bien plus résilient que ne le pensaient les Occidentaux, l’Iran se sent assez fort pour refuser la main tendue par Emmanuel Macron à Biarritz, puis à New York.

L’Arabie Saoudite a-t-elle les moyens de se défendre militairement ?

Pour le régime saoudien, qui dépense sans compter auprès de ses soutiens occidentaux pour acquérir un équipement militaire ultrasophistiqué, censé le protéger de ses ennemis, l’attaque du 14 septembre a eu l’effet d’une douche glacée. L’Arabie saoudite, cinquième budget militaire du monde (56 milliards de dollars en 2018), s’est montrée incapable de défendre ses infrastructures pétrolières, seule et unique ressource du pays, qui lui fournit son opulence et son influence, son principal trésor. Elle a vu des défenses aériennes violées par de simples drones, elle dont la Force royale vole en F-35 ! L’offensive attribuée à l’Iran a montré à la famille royale mais aussi au reste du monde que la puissante Arabie saoudite est plus vulnérable qu’on ne le pensait. Elle a aussi rappelé cruellement à quel point la guerre asymétrique pouvait donner l’avantage au faible par rapport au fort. « L’Arabie saoudite a dépensé pendant des décennies des milliards de dollars pour de la camelote qui dans ce cas-là ne sert pas à grand-chose… Et l’ampleur des achats n’assure même pas le soutien des États-Unis », commente Michel Duclos. Quant à l’Iran, étranglé par les sanctions économiques mais qui a l’habitude de se battre depuis la révolution islamique de 1979, il sait s’adapter au monde qui bouge et aux technologies qui évoluent, c’est lui qui mène la danse au niveau militaire. C’est une remise en cause des rapports de force dans la ­région, y compris pour les Occidentaux.

Quelles conséquences pour les pays de la région ?

C’est en Israël que le choc a produit la plus grosse secousse. Certains stratèges ont même évoqué, à propos de l’attaque du 14 septembre, un « Pearl Harbor du Moyen-Orient ». La précision des vingt drones et missiles de croisière, qui ont volé si bas et avec tant de furtivité que ni leur décollage ni leur passage à l’action n’ont été détectés à temps par l’Arabie saoudite ou par les radars américains, inquiète les responsables israéliens. Non seulement le pays est la cible régulière des menaces de la République islamique, mais il est entouré par ses fondés de pouvoir, dont certains, comme le Hezbollah libanais, possèdent des missiles de plus en plus puissants et de plus en plus précis. Depuis l’attaque contre les installations d’Aramco, l’État hébreu, pourtant très protégé par des systèmes de défense antimissiles, se sent vulnérable. Suffisamment en tout cas pour que les responsables militaires aient entrepris de « recalculer » la stratégie de sécurité nationale. Et que le premier ministre Benyamin Nétanyahou propose de renforcer encore les défenses aériennes du pays. Cette nécessité est amplifiée par la certitude désormais acquise à Tel-Aviv qu’il ne faut pas compter sur les États-Unis de Donald Trump pour pousser à un changement de régime à Téhéran ou même frapper les installations nucléaires iraniennes si le régime donne un coup d’accélérateur à son programme atomique. Mais Israël n’est pas le seul pays à s’inquiéter des progrès iraniens en matière de missiles. Certains pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis, ont été confortés dans leur volonté de mettre un terme à l’escalade avec l’Iran. Cette prise de distance provoque un décalage de plus en plus fort avec l’Arabie saoudite. L’événement a fracturé la coalition anti-iranienne tacite qui prévalait jusque-là entre les États-Unis, les pays arabes sunnites et Israël.

Une nouvelle source d’instabilité au Moyen-Orient ?

C’est une autre conséquence du 14 septembre 2019. L’attaque contre l’Arabie saoudite a ajouté une nouvelle mèche prête à s’enflammer à tout moment dans une région qui n’en manque déjà pas. Elle a exposé de nouvelles vulnérabilités et son succès risque de faire école. Au vu des progrès technologiques réalisés dans le domaine des missiles, l’Iran peut réitérer l’expérience là où il le veut, en s’appuyant sur ses intermédiaires dans la région. Il peut aussi, tirant la leçon de sa ­performance contre les installations d’Aramco, pousser plus loin la déstabilisation de la sécurité de l’approvisionnement en pétrole. Le Moyen-Orient, où la Turquie vient d’allumer un nouveau feu en Syrie, n’avait pas besoin de ce regain de tensions. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la politique étrangère de ­Donald Trump. Elle est basée sur un désir de retrait et un rejet des guerres. Mais au lieu de modérer le comportement de l’Iran, elle a au contraire encouragé l’intensification de ses activités régionales et renforcé ses convictions.

Isabelle  Lasserre
Le Figaro

Rediffusé sur le site de l'ASAF :www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr