AUKUS : La Russie s’invite à la fête

Posté le samedi 25 septembre 2021
AUKUS : La Russie s’invite à la fête

La Russie s’est donné du temps, beaucoup de temps, avant de réagir à l’annonce le 15 septembre de la nouvelle alliance AUKUS entre l’Australie (A), le Royaume-Uni (UK) et les Etats-Unis (US). Le 16 septembre, le porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov faisait simplement connaître, via l’agence TASS (1), la ligne de conduite de son pays : « Dans un premier temps, il est nécessaire de bien cerner tous les paramètres de cette alliance. Il est clair que nous en examinons attentivement les éléments ». Ajoutant : « Avant de préciser notre position, nous devons en examiner les buts, les finalités et les moyens. Nous disposons de peu d’informations jusqu’à présent ». En effet, précisait l’agence russe, « l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont annoncé la création d’un partenariat de sécurité centré sur les enjeux de la région indopacifique. Les autorités des trois pays ont souligné que ce partenariat n’était dirigé contre aucun Etat (…). Les parties ont également l’intention de coopérer dans les domaines du cyberespace, de l’intelligence artificielle et des technologies quantiques ».

Néanmoins, dès le lendemain 17 septembre, c’est à la propulsion nucléaire des sous-marins vendus à l’Australie par les Etats-Unis qu’était consacré un nouveau communiqué – on sait que le contrat passé avec la France concernait des sous-marins à propulsion classique, conformément à la demande australienne qui ne dispose pas de nucléaire civil et interdisait ses ports il y a peu encore, comme le fait la Nouvelle-Zélande, aux sous-marins à propulsion nucléaire (sous-marins nucléaires d’attaque, SNA). Mikhaïl Oulianov, représentant permanent de la Russie à Vienne, déclarait à la chaîne de télévision Rossiya-24 (2) : « Pour exprimer mon point de vue, tout cela devra être étroitement surveillé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et son dispositif d’inspection. Ensuite, le traité de non-prolifération et la convention sur les garanties avec l’AIEA doivent être respectés. Et enfin, un niveau suffisant de transparence est nécessaire ». Certes, ajoutait-il, l’agence a confirmé qu’elle se pencherait sur la question. Mais « en raison du manque d’informations, son directeur n’a pu préciser comment cette (…) vérification serait menée ». Bien sûr, les Russes n’ignorent pas que ces sous-marins seront des « boîtes noires » pour les Australiens, la technologie nucléaire strictement réservée aux Américains – comme le subissent les Britanniques, soumis à ce que Léonid Brejnev appelait « une souveraineté limitée ».

Mais, rappelait dès le 16 septembre le site Meta-Défense (3), parfaitement clair pour tous, « depuis une quarantaine d’années, américains, britanniques, russes, français et chinois », c’est-à-dire les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, « avaient une lecture tacite commune du traité de non-prolifération. Si celui-ci interdisait strictement l’exportation ou le transfert de technologie d’armes nucléaires, cela s’étendait également, par capillarité, à l’utilisation de l’énergie nucléaire comme source d’énergie pour des équipements militaires. En d’autres termes, pas question, pour les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité, de laisser un nouvel acteur entrer dans leur cercle restreint, sauf si ce dernier parvenait par lui-même à acquérir les technologies nécessaires pour concevoir un réacteur capable d’entrer dans un sous-marin ou un navire de guerre. De fait, la flotte de sous-marins à propulsion nucléaire resta restreinte à ces seuls pays ». Des exceptions ? « L’Inde développa son propre réacteur ce qui lui permit d’intégrer ce groupe avec les SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins équipés, eux, de missiles balistiques à charge nucléaire, à la différence des SNA) de la classe Arihant, ce qui permit à Moscou de lui louer un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Akula. Et si la France accompagne le Brésil dans son programme de sous-marin nucléaire d’attaque, en aucun cas elle ne participe à la conception du réacteur lui-même, son assistance se limitant à son intégration dans un navire ».

S’agissant de la France, au passage, que dit Moscou ? Ce n’est pas si méchant – mais inévitable. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a bien sûr rappelé, en termes secs, le précédent des Mistral sur son compte Instagram : « D’où viennent cette colère et cette amertume ? Il semble que la rupture de contrat soit pour la France une affaire habituelle. En 2015, Paris a résilié le contrat portant sur la livraison de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Ce ne sont que les couteaux plantés dans son propre dos qui font mal ? ». Un ange passe sur François Hollande.

Mais après réflexion, la position russe se précisait, le 21 septembre, par la voix du secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev – un homme chevronné, en poste depuis 2008 (4). Vladimir Poutine a décidé de rappeler urbi et orbi qu’il était lui aussi une nation du Pacifique – Vladivostok y est bien ancré, à l’est du pays ? Ou pensait-il à Sakhaline ou encore à la flotte russe du Pacifique ? Et que disait Patrouchev interviewé par le journal Argumenty i Fakty ? « Que le pacte entre trois nations, connu sous le nom d’AUKUS, deviendra inévitablement un autre bloc militaire visant à contenir et à affronter les deux plus grandes puissances non occidentales ». En sus du Quad, « un format de dialogue stratégique entre les États-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie, conçu pour renforcer la position de Washington en Asie ». Et revenait le souci déjà évoqué : « stationner des sous-marins nucléaires dans les profondeurs de l'océan Pacifique est une mesure hostile visant non seulement Pékin, mais aussi Moscou », affirmait-il. « Le nouvel accord, qui verra Londres et Washington transmettre le savoir-faire technique permettant à Canberra de développer et de déployer des sous-marins à propulsion nucléaire, constitue une menace pour "l'ensemble de l'architecture de sécurité en Asie" ». En bref, il ne s’agit plus d’une simple affaire où la France a été bernée par ses alliés, mais d’un jeu autrement complexe dont Moscou estime être partie prenante à titre personnel.

Ceci pendant que l’agence TASS annonce, à la suite de la rencontre Biden-Poutine à Genève en juillet dernier, que l’ambassadeur des Etats-Unis en Russie, John Sullivan, a déclaré qu’un nouveau cycle de discussions doit s’ouvrir entre les deux pays. « Les États-Unis et la Russie se sont engagés dans plusieurs dialogues liés à la stratégie", a déclaré Sullivan, faisant référence au nouveau cycle de négociations russo-américaines qui se tiendra la semaine prochaine à Genève. Il a souligné que le thème du cyberespace et une série d'autres questions seront également abordés » (5). Si les Russes introduisent l’AUKUS dans la discussion, les affaires de Joe Biden, déjà pas claires, n’en sortiront pas simplifiées.

De son côté, Vladimir Poutine profite du 25ème anniversaire du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE, Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty, CTBT en anglais) pour rappeler aux non-signataires, dont les Etats-Unis qui l’ont signé mais pas ratifié, qu’il est temps d’y apposer son sceau (6). Ceci en parallèle avec l’appel de Secrétaire général de l’ONU. La Chine, l’Egypte, l’Iran et Israël sont dans le même cas que les Etats-Unis. La Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan ne l’ont ni signé, ni ratifié. Que dit Vladimir Poutine ? « La Fédération de Russie a ratifié le TICE en 2000 et respecte scrupuleusement ses dispositions depuis lors. Elle participe aussi activement aux travaux de la Commission préparatoire de l'Organisation du TICE. À ce jour, le Document a été signé par 185 pays et ratifié par 170 d'entre eux, mais il n'est malheureusement pas entré en vigueur. La position de huit États, pour lesquels la ratification du traité est obligatoire, l'empêche de devenir un instrument juridique international à part entière. Il est évident que cette situation n'est en aucun cas propice à la cause de la non-prolifération et du désarmement nucléaires ». Pourtant, ajoute-t-il, « l'élaboration de ce document historique, qui vise à renforcer de manière spectaculaire le régime de non-prolifération nucléaire, a confirmé que même les questions de sécurité mondiale les plus difficiles peuvent et doivent être résolues par des pourparlers ». Qu’on se le dise.

Bien sûr, Joe Biden a promis, lors de son premier discours à l’Assemblée générale de l’ONU, qu’il ne cherchait que la paix, et qu’il était « temps d’ouvrir une ère de diplomatie intense ». Il a reconnu aussi, remarque Nicolas Rauline dans les Echos (7) « que la défense des intérêts nationaux était sa priorité mais qu'elle se ferait dans le respect des alliances ». Propos scandaleux pour ses alliés, auquel lui-même ne croit pas. Mais propos qui révèlent peut-être, nous le verrons dans les mois qui viennent, un dangereux impensé stratégique. Vladimir Poutine a regardé, réfléchi, puis il s’est invité dans la partie. 

Ce n’était peut-être pas prévu dans le jeu américain.

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène
http://www.leosthene.com
25 septembre 2021

 

 

Source : www.asafrance.fr