AVIATION : Le SCAF face à des vents contraires en Allemagne

Posté le jeudi 10 juin 2021
AVIATION : Le SCAF face à des vents contraires en Allemagne

A quelques jours de la validation par le Bundestag de l'accord sur la phase 1B du programme système de combat aérien du futur (SCAF) des rapports du ministère de la Défense allemand sèment le trouble et insinuent des doutes sur la défense des intérêts germaniques

Mais qui veut la peau du SCAF en Allemagne ? Der Spiegel a décoché le week-end dernier un tacle assassin sur l'accord signé par Berlin, Madrid et Paris sur la poursuite du Système de combat aérien du futur (phase 1B sur une période de 40 mois) en s'appuyant sur un rapport très critique du BAAiNBW, l'Office fédéral des équipements, des technologies de l'information et du soutien au service de la Bundeswehr. Une attaque extrêmement virulente qui surgit au plus mauvais moment pour le SCAF, qui s'apprête à passer au grill de la commission des finances du Bundestag (23 juin). Soit une phase extrêmement critique pour l'avenir du SCAF.

Cet accord a pourtant été une nouvelle fois adoubé il y a une dizaine de jours par Angela Merkel et Emmanuel Macron lors du dernier conseil franco-allemand. Ce qui provoque aujourd'hui une vraie crise d'angoisse notamment des industriels allemands à bord du SCAF. Un programme, qui sera mis en service à l'horizon de 2040 et qui est à nouveau en danger... Les auteurs du rapport et ceux qui ont organisé sa fuite dans la presse ne s'y seraient pas pris autrement pour abattre dans sa phase de décollage le SCAF.


Un accord équilibré selon le BDLI

Alors qu'au plus haut niveau de l'État allemand (Chancellerie, responsables au sein du ministère de la Défense et l'armée de l'air) on défend avec ténacité cet accord arraché au forceps mi-mai entre les industriels allemands, espagnols et français, un rapport technique du ministère de la Défense a brutalement douché l'optimisme des industriels européens concernés par le programme le plus ambitieux d'Europe en critiquant très durement le résultat obtenu par les industriels germaniques. "L'accord définit des structures et des règles qui ne sont pas dans l'intérêt allemand et satisfont presque exclusivement les positions françaises", estime le rapport du BAAiNBW.

Ce n'est pourtant pas l'avis des industriels allemands et du BDLI, l'équivalent du GIFAS allemand. Dans une analyse faite le 19 mai que La Tribune s'est procurée, le BDLI estime d'ailleurs que les négociations ont permis de trouver un équilibre entre les différents industriels : « Après plusieurs semaines de négociations industrielles intensives, une méthode de travail commune et efficace et une répartition équilibrée des lots de travaux selon le principe du retour géographique et le principe du "Best Athlete", ont été mis en place avec succès. Le principe du retour géographique stipule que les investissements correspondants reviennent aux industries nationales respectives conformément au financement convenu. Le principe du Best Athlete régule la répartition en fonction des compétences existantes ». On est loin, très loin de l'analyse du BAAiNBW.


Frustrations ?

Ce rapport ainsi que sa fuite organisée dans la presse allemande montre une fracture au sein du ministère de la Défense allemand. D'un côté, une partie des équipes techniques, qui dénigre l'accord en raison d'un partage des tâches qui ne serait pas équilibré, de l'autre côté, les politiques, qui reste sur une vision stratégique d'un accord très important entre les trois pays. Par ailleurs, explique-t-on à La Tribune, une partie du rapport, qui date pourtant de fin mai, s'appuierait sur un état des lieux, qui correspondrait au mois de février, période où les négociations entre Airbus et Dassault Aviation étaient bloquées et les relations glaciales. Ce qui démontrerait qu'une partie du BAAiNBW, qui semble très divisé, veuille nuire, voire abattre ce programme au moment il doit être examiné au Bundestag.

Pourquoi une telle prise de position ? Certainement par la frustration générée par l'issue des négociations, qui ont été extrêmement dures entre Français et Allemands et qui ont laissé des cicatrices. L'accord a débouché sur des compromis, qui ne sont visiblement pas encore complètement digérés de chaque côté du Rhin. D'autant que les équipes techniques du ministère allemand pourraient avoir le sentiment de ne pas avoir été suffisamment écoutées et leurs lignes rouges pas suffisamment défendues par le niveau politique. Le rapport reçu à Berlin a jeté un froid. Aussi, la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer a demandé une évaluation politique de l'accord à son cabinet. Son résultat a été à la fois surprenant et décevant : « le fort positionnement français fera que l'objectif de développer un avion de chasse de 6e génération sera raté et que le projet se transformera plutôt en une approche Rafale Plus avec des fonds budgétaires allemands et espagnols ».

Faut-il rappeler que le SCAF s'est bâti sur la notion du "Best Athlete" et non pas sur la volonté des États ou des industriels de profiter du programme pour monter en compétence... « Si l'industrie française en profite, le partenaire industriel allemand Airbus ne pourra pas étendre son savoir-faire dans le domaine clé des avions de combat dans la mesure du possible et nécessaire pour pouvoir encore jouer un rôle majeur », explique le rapport du BAAiNBW. Cette analyse est donc d'une mauvaise foi incommensurable d'autant plus qu'Airbus a accepté les compromis. Le rapport pourrait donc visé principalement la ministre de la Défense, qui n'a pas fait l'unanimité au sein de son administration dans la gestion de son ministère et des grands projets stratégiques. Il se pourrait que la principale cible du rapport soit d'abord Annegret Kramp-Karrenbauer avec comme dommage collatéral, le SCAF. D'autant que l'Allemagne entre dans une phase préélectorale.

Il faut également rappeler que le ministère de la Défense allemand reste également traversé par de fortes influences américaines via l'OTAN notamment - les Etats-Unis ont tout fait pour torpiller ce programme européen, qui va à l'encontre de leurs intérêts et du F-35. En outre, l'Allemagne, aussi bien dans le domaine spatial que de la défense, ne cache pas depuis plusieurs années qu'elle veut prendre le leadership européen dans ces deux domaines et le ravir à la France. Les Allemands, qui avaient pris l'habitude de tordre le bras des Français, sont tombés cette fois-ci sur un os : Dassault Aviation peu perméable aux pressions politiques en France et qui a défendu ses intérêts industriels (et ceux de la France en fin de compte). Enfin, dernier point non négligeable, les Allemands ont toujours eu dû mal à accepter une excellence française dans certains domaines industriels.


Présentation et explications

Durant les prochains jours, les industriels allemands (dont notamment Airbus), qui sont complètement alignés, vont devoir accélérer leur campagne de présentation et d'explications aux parlementaires, dont certains ont peut-être été déstabilisés par les fuites dans la presse, pour les convaincre que l'accord reste équilibré, y compris sur le volet avion de combat (Next Generation Fighter). Le BDLI ne dit pas autre chose dans son analyse de mai : "Le résultat des négociations assure un développement conjoint de l'avion grâce à une répartition équitable des tâches. Il permet à l'Allemagne de participer à tous les lots de travaux d'importance stratégique et technologique, permettant à Airbus de maintenir les capacités existantes de l'Allemagne et de développer des compétences pertinentes pour l'avenir".

Jusqu'ici les industriels avaient des retours plutôt positifs de la part des parlementaires allemands dans les différents partis. Cette campagne d'explication leur avait permis de mesurer l'impact technologique, l'impact économique et, enfin, l'impact stratégique du SCAF pour l'Allemagne. Ils souhaitent aujourd'hui bien évidemment rester sur cette trajectoire. Ils ont d'ailleurs très rapidement réagi après la publication de l'article du Spiegel auprès des parlementaires en leur rappelant à nouveau que l'accord était équilibré et défendait les intérêts des trois nations, y compris ceux de l'Allemagne. Ce qui est la crainte majeure des parlementaires allemands. La dynamique va-t-elle être cassée par le rapport et le doute va-t-il s'insinuer dans les esprits des parlementaires ? Les quinze prochains jours vont être décisifs pour ce programme, qui a déjà essuyé beaucoup de tempêtes.

 

Michel CABIROL
 Source: latribune.fr
(9 juin 2021)

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr