ANALYSE - BATAILLE D'HAJIN : Quand le devoir de réserve s’impose.

Posté le vendredi 22 février 2019
ANALYSE - BATAILLE D'HAJIN : Quand le devoir de réserve s’impose.

Dans la Revue de la Défense nationale de février dernier, le colonel François-Régis Legrier a publié un article dans lequel il critique la stratégie de la coalition en Syrie, reproche à la France son suivisme des Etats-Unis sur ce théâtre d’opération en matière de stratégie et de conduite des opérations. Il estime qu’en engageant des troupes au sol la France aurait pu s’emparer plus rapidement des positions tenues par Daesh, précisant au passage qu’il aurait fallu pour cela consentir des pertes.

Si l’on se place dans une perspective opérationnelle, la prise de position du colonel Légrier pose une première question : pourquoi verser le sang de nos soldats si le but de guerre fixé peut être atteint par d’autres moyens moins couteux en pertes humaines ? D’autant que sur ce théâtre, les troupes françaises ne sont qu’en appui du combat que mènent les protagonistes locaux pour éradiquer du territoire les derniers combattants de Daesh. Dans tous les cas, après l’élimination de ce qui reste de Daesh sur ce théâtre, la lutte politique et militaire continuera ailleurs contre cette idéologie mortifère.

L’autre point de débat – et pas le moindre - que soulève cet article est celui du devoir de réserve. Le colonel Légrier, selon des articles parus dans la presse, encourt des sanctions pour avoir critiqué la stratégie de la coalition et par voie de conséquence celle de la France en Syrie. L'affaire fait du bruit parce qu’elle touche au débat sur la libre expression des militaires. Un débat d’autant plus sensible que le mot « transparence » est aujourd’hui mis à toutes les sauces, souvent sans discernement. Ce qui – selon nous -  pose problème dans l’article du colonel Légrier, c’est qu’il s’agit de conclusions et réflexions « à chaud » d’un chef opérationnel, en charge d’un commandement. Il critique les choix stratégiques et tactiques d’une coalition dans laquelle la France est partie prenante et qu’il a été – avec d’autres -  chargé de mettre en œuvre sur le terrain. Ce type de réflexion et de conclusion tout à fait compréhensible et souhaitable de la part d’un chef opérationnel doit être réservé en premier et uniquement à ses chefs hiérarchiques, d’autant que ces écrits peuvent avoir des conséquences sur le moral des troupes engagées et les opérations en cours. Agir ainsi, c’est tomber dans le travers de l’immédiateté d’une publication à tous vents dont la portée dépasse l’aire de responsabilité opérationnelle immédiate de son auteur.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de brider la réflexion. En effet, toute réflexion est utile et souhaitable pourvu qu’elle soit argumentée, ce qui est le cas de celle du colonel Legrier, que l’on partage ou pas son point de vue. Nous savons aussi que le champ comme la qualité d’une réflexion ne sont pas forcément corrélés au nombre de galons. On se souvient des écrits du capitaine de Gaulle[1] ou du capitaine Lyautey[2] qui développaient un projet, proposaient une vision qui ont fait date. Le point de vue que nous soutenons ici est qu’il s’agit en fait de distinguer deux temps. D’une part, le temps de l’action et des réflexions « à chaud » ou en cours d’action qui concluent et prennent date dans les mémoires d’opérations prévus à cet effet et auxquels il pourra par la suite être fait référence. Ces réflexions à chaud doivent être réservées à l’usage exclusif des chefs qui ont en charge le commandement des armées et des opérations en cours. D’autre part, vient ensuite le temps de la réflexion stratégique et tactique « à froid » qui doit pouvoir exister – et reconnaissons que par le passé ce ne fut pas toujours le cas – dans des enceintes prévues à cet effet et où là, indubitablement, la pensée doit être libre pour être fructueuse : écoles supérieures de guerre, cercles de recherche opérationnelle, instituts stratégiques, etc.  

 

Général (2s) Pierre ZAMMIT

 

 

Avis du président de l’ASAF

L’article rédigé par le colonel François-Régis Legrier est à la fois pertinent et bien argumenté. Son point de vue est d’ailleurs partagé par nombre d’officiers.
En revanche, assurant un commandement opérationnel à l’étranger, ce texte, que ne revêt aucun caractère d’urgence,  se devait d’être transmis d’abord au commandement, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Sa parution dans une revue, pouvait attendre au moins la fin de sa mission et le retour en Métropole de l’auteur.

 

[1] Capitaine de Gaulle : « La discorde chez l’ennemi » (1924) ; et plus tard, comme chef de bataillon et lieutenant-colonel : « le fil de l’épée » (1932) ; « Vers l’armée de métier » (1934)

[2] Capitane Lyautey : « Le rôle social de l’officier » (1891)

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr