RELATIONS INETRNATIONALES. BIDEN et POUTINE à Genève : Terrains communs, dits et non-dits

Posté le mardi 15 juin 2021
RELATIONS INETRNATIONALES. BIDEN et POUTINE à Genève : Terrains communs, dits et non-dits

Le président Joe Biden achève sa venue en Europe par une rencontre, le 16 juin à Genève, avec son homologue russe Vladimir Poutine. Pourquoi faire, exactement ? Parce que si on lit les comptes rendus des rencontres précédentes – G7 au Royaume-Uni, OTAN à Bruxelles, la Russie est désignée comme le grand Satan, le communiqué de l’OTAN faisant foi (1). Un Satan dont, disent les naïfs, il ne faut rien attendre, même si les Etats-Unis sont à l’initiative de cette rencontre. Mais si Joe Biden est bien venu avec l’idée de rassembler la troupe européenne – qui n’attendait que ça – sous la houlette américaine, la réalité de ses intérêts ne se limite pas à la mise en scène du « retour de l’Amérique » vendu par la presse. L’importance des délégations présentes à Genève, des deux côtés, est significative - sans compter les journalistes – 3 000 sont chargés de couvrir l’événement : « Tour à tour Joe Biden (le 15 juin) et Vladimir Poutine (le 16) vont se poser à Cointrin » explique le Temps helvétique (2). « Très accompagnés. On parle d’un millier de personnes pour la délégation américaine et 800 pour la représentation russe. Cela reste des estimations car on communique peu à ce sujet. Idem pour le nombre d’avions qui vont se présenter ou se sont déjà posés ». Il y a la sécurité, bien sûr – et les autres : « c’est bel et bien un gratin de la diplomatie internationale qui est attendu ».

Les deux hommes n’ignorent rien l’un de l’autre. Joe Biden présidait la commission des Affaires étrangères du Sénat lorsqu’il a été choisi comme vice-président, en août 2008, par le candidat Barack Obama accusé de manquer d’expérience internationale. Il est aujourd’hui entouré par nombre d’anciens collaborateurs démocrates expérimentés – qui savent où sont les enjeux d’un pays qui reste, dans leur esprit, « America First », même en le disant autrement. « Il a passé pratiquement toute sa vie d'adulte en politique » confiait d’ailleurs Vladimir Poutine, lui-même en scène depuis plus de 20 ans, à la chaîne américaine NBC le 14 juin dernier (3). « Il suffit de penser au nombre d'années qu'il a passées au Sénat, et au nombre d'années pendant lesquelles il a été impliqué dans les questions de politique internationale et de désarmement, pratiquement au niveau des experts ». Bien sûr, ajoute-t-il, il est un homme différent du président Trump, « un personnage extraordinaire, talentueux, haut en couleur, qu’on l’apprécie ou non » - mais  qui ne venait pas du monde politique. Avec ce nouveau président, il y aura « des avantages et des inconvénients », moins de « réactions impulsives », et espère Vladimir Poutine, la possibilité « de respecter certaines règles d’engagement » et de trouver, en se parlant, des « terrains communs ». 

En dehors donc de la mise en scène voulue par Joe Biden à destination principalement de l’opinion américaine habituée à réagir à l’épouvantail russe – il a promis, selon l’AFP, de dire à son homologue « intelligent » et « dur » quelles sont les « lignes rouges » -, où peuvent être les « terrains communs » ?

Si l’on consulte les innombrables études et rapports américains – certains de grande qualité, qu’ils soient d’obédience démocrate ou républicaine, consacrés à la configuration du monde qui vient et à ce que doivent faire les Etats-Unis pour y conserver la prééminence, que voit-on ? Que la plus grande menace vient de Chine, pas de Russie. Comment il faut repenser la défense dès à présent, reconfigurer les armées (en particulier la marine), envisager le cyberespace, l’espace tout court, rien ne manque. Préoccupation exprimée par Keir Simmons pour NBC (3) d’ailleurs : « Je veux vous interroger sur la Chine », dit-il à Vladimir Poutine. « La Chine travaille à son quatrième porte-avions. La Russie n’en a qu’un et il n’est pas actuellement en service (…). Pourquoi ne vous plaignez-vous jamais de la militarisation de la Chine à l’est ? ». Ce à quoi le président russe répond, sans trop d’indulgence : « Pourquoi nous inquiéterions-nous des porte-avions chinois ? (…). Nous avons une frontière extrêmement longue avec la Chine (4 250 km), mais c'est une frontière terrestre. Terrestre. Quoi ? Vous pensez que les porte-avions chinois vont traverser notre frontière terrestre ? ». Ajoutant, très neutre : « Au cours des dernières décennies, nous avons développé une relation de partenariat stratégique entre la Russie et la Chine qui n'avait jamais été atteinte auparavant dans l'histoire de nos nations (…). Nous ne pensons pas que la Chine soit une menace pour nous. La Chine est une nation amie. Elle ne nous a pas déclarés ennemis, comme l'ont fait les Etats-Unis ». Tout en précisant, au passage : il y a aussi « le fait que notre suffisance de défense, c'est ainsi que nous la décrivons, est à un niveau très élevé ».

Amical et prudent, le président Poutine. Très prudent envers son grand voisin. La raison ? Elle est très bien résumée par Renaud Girard pour le Figaro (4) : « au-delà de leurs divergences idéologiques, Joe Biden et Vladimir Poutine ont un intérêt en commun, que le premier clame et que le second dissimule : freiner l’ascension de la Chine ». 

Du côté chinois, on connaît très bien le président américain et on n’a pas cultivé l’illusion : « Partisan de l'engagement avec Pékin depuis les années 1970, M. Biden a eu de nombreux entretiens avec M. Xi lorsqu'ils étaient tous deux vice-présidents, en 2011 ». Mais, constatait Bloomberg, dès le résultat de l’élection américaine connue (5), « sa position à l'égard de la deuxième économie mondiale s'est durcie au cours de la dernière décennie ». Et, citant le Global Times chinois : « "La Chine ne doit pas se faire d'illusions sur le fait que l'élection de M. Biden facilitera ou inversera les relations entre la Chine et les États-Unis, et ne doit pas non plus affaiblir sa foi dans l'amélioration des liens bilatéraux" ». Bien sûr, on continue à afficher à Pékin un partenariat sans nuages avec la Russie. « Mais la réalité est que les Russes continuent à se méfier de la Chine, dont la civilisation est si éloignée de la leur » rappelle Renaud Girard. En effet. Même si l’on écarte les invasions mongoles dévastatrices du XIIIe siècle, les relations entre les deux empires, qui existent formellement depuis le XVIIIe, sont faites de hauts et de bas. De frottements sur les frontières, en particulier – la Russie perd le contrôle du fleuve Amour (en Extrême-Orient) à la fin du XVIIe et ne le retrouvera qu’un siècle plus tard. La méfiance ancienne des deux côtés.

On l’ignore aujourd’hui, mais la Russie a participé, au XIXe siècle, au démembrement de la Chine par les puissances étrangères, si amèrement ressenti encore aujourd’hui. Bien plus tard, Staline a gardé deux fers au feu dans la guerre civile qui opposait Mao et Tchang Kaïchek. Certes, l’URSS reconnaît la première la République populaire de Chine le 1er octobre 1949, signe un traité pour 30 ans en 1950 – et rompt dix ans plus tard, après avoir refusé la bombe atomique à sa voisine. Les relations restent dégradées, émaillées de conflits frontaliers meurtriers, entre 1960 et la fin des années 1980, quand arrive Mikhaïl Gorbatchev. C’est après l’effondrement de l’URSS, en 1991, que les deux pays se rapprochent, 1992 (déclaration conjointe sur leurs relations bilatérales), 1996 (partenariat stratégique), 1999 (règlement des différends et démilitarisation des frontières), 2001 (traité d’amitié et de coopération). Un objectif commun est de maintenir chacun leur intégrité territoriale. Et, constate encore Renaud Girard, « la Russie affiche les meilleures relations avec la Chine. On ne se critique jamais en public. On fait des manœuvres militaires communes. On multiplie les routes et pipelines transfrontaliers. On utilise les monnaies nationales dans le commerce bilatéral. On contrecarre ensemble, à l’ONU, les prétentions «humanitaires» occidentales à s’ingérer dans les affaires des satrapies orientales ».

Mais ? Mais il y a cet abyssal déséquilibre démographique, d’abord. « La Chine est un énorme et puissant pays, 1,5 milliard d’habitants » dit Poutine à NBC, conscient que la Russie en compte 144 millions. Pour ne rien dire de la Sibérie, riche en tout et désertique (39 millions d’habitants pour 13 millions de km2) comme un appât contre la frontière chinoise. Et puis, ajoute Renaud Girard, les Russes « comparent le succès manufacturier chinois à leur déclin industriel et en ressentent une blessure d’orgueil. Ils se souviennent d’avoir envoyé, dans les années 1950, des ingénieurs en Chine, pour l’aider à se bâtir une industrie lourde, puis de l’ingratitude chinoise la décennie suivante. Ils savent que le pouvoir chinois ne leur fera jamais de cadeau, ni économique, ni géopolitique, et qu’il utilisera toujours son rapport de force pour obtenir des rabais sur le prix de l’énergie russe ». 

Alors ? Eh bien le terrain commun entre Joe Biden et Vladimir Poutine est trouvé. On peut mal se parler, théâtraliser les attitudes, mais pour chacun, il n’y a aucun besoin de s’affronter même si l’on se frotte ici ou là. Biden ne peut s’offrir le luxe de deux fronts simultanés, ce qui se passe en Europe n’est pas vital pour lui, il lui faut se consacrer à la Chine. Poutine veut conserver son apparente bénévolence à l’égard de ses encombrants voisins.

Le perdant dans l’affaire ? L’Europe, qui ne sait pas établir des relations apaisées avec la Russie – en servant ses intérêts. Qu’on nous le permette, c'est en vérité extraordinaire.

Hélène NOUAILLE
Lettre de Leosthène
16 juin 2021
http://www.leosthene.com 

 

Notes :

(1) OTAN, le 14 juin 2021, Communiqué du sommet de Bruxelles publié par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Bruxelles le 14 juin 2021
https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_185000.htm?selectedLocale=fr

(2) Le Temps, le 14 juin 2021, Christian Lecomte, L’aéroport de Genève attend les grands de ce monde avec armes et bagages
https://www.letemps.ch/suisse/laeroport-geneve-attend-grands-monde-armes-bagages

(3) Kremlin, le 14 juin 2021, Vladimir Poutine, Interview to NBC
http://en.kremlin.ru/events/president/news/65861 

(4) Le Figaro, le 15 juin 2021, Renaud Girard : « Biden-Poutine, un intérêt en commun »
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/biden-poutine-un-interet-en-commun-20210614 

(5) Bloomberg, le 20 novembre 2020, Joe Biden’s Long History With China Is Unlikely to Mend Donald Trump-Era Rift
https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-11-08/biden-s-long-history-with-china-unlikely-to-mend-trump-era-rift

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Source : www.asafrance.fr