BUDGET DEFENSE. Le renforcement des armées françaises : Quel effort principal à  fournir ?

Posté le mardi 04 octobre 2022
BUDGET DEFENSE. Le renforcement des armées françaises : Quel effort principal à  fournir ?

Au moment où le projet de loi de finances pour l’an 2023 vient de paraitre on ne peut que se réjouir à priori de découvrir une augmentation du budget de la défense de 3 Md€ pour l’an prochain, ce montant étant conforme à la Loi de Programmation Militaire (LPM) en cours.

Cet effort est-il suffisant ? Correspond-t-il à ce qu’il est nécessaire de faire pour faire face au nouvel état du monde, à la multiplication et à la diversification des menaces et au rôle que la France veut continuer de jouer sur la scène internationale ? Quel est le domaine où un effort spécifique est à conduire ?

 

Pour répondre à ces interrogations nous soulignerons trois points : 

1 – Un effort réel mais qui peut apparaitre insuffisant dans le très court terme

2 – Des perspectives bien encourageantes pour l’avenir.

3 – Un domaine particulier à prendre en compte pour retrouver de « l’épaisseur stratégique et de la résilience ».

 

1 – Un effort réel qui peut toutefois apparaitre comme insuffisant.

 

Le projet de budget pour 2023 peut s’analyser de deux façons. D’une part nous conviendrons que la marche de trois milliards supplémentaires est haute compte tenu de la situation économique générale et du ralentissement de la croissance. Mais elle sera tenue en termes de pouvoir d’achat, en dépit de l’inflation, en appliquant la vieille recette budgétaire du report de charges sur 2024. Ceci apparait donc comme très positif, bien qu’un peu artificiel pour le dire poliment, car il permet de ne pas remettre en cause la planification pluriannuelle d’achats d’équipements neufs si indispensables compte tenu de nos lacunes générées par la disette financière d’avant la LPM actuelle. En bref le redressement de notre défense, même s’il ne s’accélère pas, continue, malgré une conjoncture morose et d’autres priorités gouvernementales.

Mais d’autre part nous pouvons constater que l’impact du retour de la guerre en Europe ne se traduit pas concrètement par un effort de réarmement visible à court terme comme cela peut se voit chez nombre de nos voisins européens.

Cela pourrait-il engendrer une certaine déception ? Pourrait-on faire mieux ?

Certes des effets d’annonce auraient pu être déployés. Mis à part des munitions supplémentaires, dont le détail précis n’a pas été révélé (et c’est heureux) et le remplacement des 18 canons Caesar donnés à l’Ukraine, rien d’autre n’a été révélé à notre connaissance. Il nous semble cependant satisfaisant de constater que l’effort global de remontée en puissance de nos Armées se poursuit de façon maîtrisée et sans à-coups, à la fois pour nos industriels, nos structures et notre organisation générale. Et ceci est déjà beaucoup. En effet une réorientation de grande ampleur et un effort financier brutal ne se traduisent pas mécaniquement par un renforcement d’un système de défense et de la base industrielle qui y est associée. L’annonce en fanfare du déblocage de 100 Md€ au profit de la Bundeswehr dès février 2022, quelques jours seulement après le début de l’invasion russe en Ukraine, vient de se traduire essentiellement par des achats sur étagère par nos amis allemands : acquisition de 35 chasseurs F35, de nouveaux avions de patrouille maritime P8 Poseidon, de batteries anti missiles, et du renouvellement de tous les hélicoptères lourds tout ceci étant du matériel américain. Ces décisions se font non seulement au détriment de l’industrie européenne de défense, mais aussi des projets de coopération entre la France et l’Allemagne tels le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) ou le Tigre Mk3 qui incarnent les promesses souvent déçues d’une hypothétique « défense européenne » dont le couple franco-allemand constituerait encore le moteur.

Aussi est-il intéressant et réconfortant de constater que chez nous, dès après de début de l’attaque russe, s’élabore dans la discrétion, dans nos Etats Majors et cercles de pensée, une nouvelle loi de programmation cherchant à établir comment organiser au mieux notre renforcement et la cohérence de notre réaction à ce bouleversement stratégique.

 

2 – Des perspectives encourageantes pour l’avenir.

 

L’annonce officielle faite le 13 juillet au soir, dans les jardins de l’hôtel de Brienne, par le Président de la République de lancer les importants travaux d’élaboration d’une nouvelle loi de programmation pluriannuelle, traduisant « l’ambition 2030 » a engagé nos Etats Majors, la Délégation Générale pour l’Armement (DGA), la Direction Générale de la stratégie et des relations internationales, nos principaux grands industriels de défense ainsi que le Quai d’Orsay dans un été et un automne particulièrement studieux. Certains ont pu se demander s’il fallait passer d’abord par la rédaction d’un nouveau livre blanc ? Il semble que non car, depuis la revue stratégique de 2017 et les travaux d’actualisation de l’an dernier sur l’ajustement de l’actuelle LPM, nous connaissons bien l’éventail des nouvelles menaces et avons bien noté la continuité et l’émergence de nouveaux perturbateurs. De plus l’urgence du retour de la guerre en Europe et le développement des tensions au Moyen Orient, en Méditerranée, et en Indopacifique, sans parler de l’Afrique, nous obligent à accélérer fortement l’adaptation de notre outil de défense.

En dépit de la discrétion des travaux de préparation de la prochaine LPM (courant vraisemblablement de 2024 à 2031) qui devrait être présentée au Parlement au début de 2023, il ne faut pas être grand devin pour dire que celle-ci devrait s’appuyer sur un effort financier accru en pourcentage de PIB. Quelle pourrait donc en être la portée ?

Il n’est pas interdit de penser que la France voudra conserver son indépendance, son leadership dans l’UE en matière de défense et sa liberté d’action et de décision politique. L’effort récemment annoncé par les Britanniques de porter leur budget de défense à 100 Md£ en 2030, comparé à l’effort allemand clamé en février de cette année, ne peut laisser notre Pays indifférent, même s’il y a une politique de communication et d’affichage dans tout cela. En effet la France possède des atouts particuliers que ces deux grands pays ne possèdent pas de façon identique : dissuasion totalement indépendante, DGA bien organisée, BITD (base industrielle et technologique de défense) performante (voir à ce sujet les succès de nos exportations d’armement) et vision globale du monde à travers un réseau diplomatique encore mondial.

Aussi la prochaine LPM pourrait-elle se traduire, si l’on en croit quelques fuites bienvenues, par un effort de défense d’environ 30% supérieur aux chiffres actuels. S’ils sont confirmés il faudra alors voir dans quelle direction l’évolution de nos Armées se fera : augmentation de leur taille ? Renforcement de leur puissance en termes de nombre de plateformes ? Changements d’organisation ?

Les travaux sont en cours et il ne serait pas raisonnable de spéculer davantage sur ces questions dans ce court article. En revanche nous pouvons avancer une proposition qui nous semble à la fois raisonnable, indispensable et essentielle.

 

3 – Retrouver de « l’épaisseur stratégique et de la résilience »

 

Parmi toutes les leçons tirées du conflit actuel en Ukraine, la première qui saute aux yeux concerne les combattants. En effet en dépit du déséquilibre global des forces en présence, l’Ukraine ne s’est pas écroulée, a résisté et vient même de contre attaquer victorieusement. Ceci s’explique d’abord par l’extraordinaire volonté des hommes et des femmes qui se battent pour défendre leur Pays. Cela s’appelle du patriotisme, de la résilience, de la force morale. Ainsi, comme nous le savons depuis des siècles, une fois encore, il vient d’être à nouveau démontré que la force principale d’une armée ne réside ni dans ses armements, ni dans sa discipline, ni dans son organisation, mais dans la qualité de ceux et celles qui servent dans ses rangs.

Pour ce qui concerne nos armées, afin de leur redonner la masse nécessaire à un conflit de haute intensité, il faut mettre ou remettre sur pied un système efficace de réserves ajusté à nos besoins. On ne peut pas se permettre d’avoir une armée d’active trop nombreuse car son coût dépasserait nos capacités financières. Mais il nous faut un système qui puisse venir aider, soutenir, compléter, et renforcer rapidement nos forces d’actives afin de nous donner la résilience et l’épaisseur qui nous manquent actuellement. Ce constat n’est pas nouveau. Déjà après les attentats de 2015 il fut décidé de créer une « Garde Nationale » qui pour l’heure permet de procurer 40 000 hommes à nos armées. Mais ceci semble bien insuffisant face aux menaces nouvelles et à la réalité de conflits hybrides. Pour cela il faut trouver les voies et moyens d’attirer dans nos rangs des volontaires, de toutes professions, prêts à défendre notre Pays. Et à notre sens, le premier moyen d’y parvenir, après les incitations morales et financières, c’est de changer le regard de l’active sur la réserve. La condescendance, la superbe, le regard hautain envers nos réservistes que l’on a parfois (ou que l’on a eu) dans nos formations d’active, ne doit plus être de mise si nous voulons attirer et surtout conserver ces volontaires, nos concitoyens, venus du monde civil et cherchant à servir notre Pays.

Face aux nécessités de renforcer notre défense nationale et d’avoir le matelas de recrues qualifiées nécessaires pour armer davantage nos unités il nous faut une réserve performante et entrainée régulièrement, prête à être bien accueillie dans les rangs et sous nos drapeaux. Il n’entre pas dans ce court document de définir avec exactitude les voies et moyens pour renforcer nos réserves. Mais nous ne partons pas de rien : de nombreuses études et réflexions ont déjà été conduites, comme par exemple la nécessité ou non qu’il y aurait à recréer une « Défense Opérationnelle de territoire (DOT) » incluant aussi nos approches maritimes. Quoiqu’il en soit le meilleur rapport coût/efficacité pour renforcer la résilience de notre défense et notre épaisseur stratégique proviendra d’un renforcement sérieux de notre système de réserves.

 

A nos yeux il s’agit là d’un devoir et d’une exigence indispensables pour la défense de notre Pays. Ce système de réserves renforcé viendra compléter la remontée en puissance en cours de nos armées, pour que la France reste la France, et pour qu’elle puisse continuer à faire face aux défis de notre temps et jouer un rôle important dans le monde.

 

Général Jean-Paul RAFFENNE
Ancien attaché militaire à Washington
Adhérent ASAF31

 

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Source : www.asafrance.fr