BUDGET : La loi de programmation militaire répond-elle vraiment aux besoins des armées ? LIBREOPINION de Patrick CAPELLI

Posté le mercredi 27 juin 2018
BUDGET : La loi de programmation militaire répond-elle vraiment aux besoins des armées ? LIBREOPINION de Patrick CAPELLI

« Il faut arriver à une défense européenne, car l'objectif véritable des Américains est de détruire l'industrie européenne d'armement », a estimé Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

La prochaine loi de programmation militaire, qui couvrira la période 2019-2025, semble satisfaire les états-majors. Mais les militaires seront vigilants quant au respect de l’exécution de cette LPM. « Cela fait plus de vingt ans que les armées subissent un éreintement budgétaire catastrophique. Il était nécessaire d'arrêter cette tendance », a jugé Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) semble donc plus favorable aux militaires que les précédentes. Elle prévoit sur une période de sept ans des crédits budgétaires à hauteur de 295 milliards d'euros, couverts de manière ferme jusqu'en 2023 (198 milliards d'euros de crédits budgétaires). Ce qui portera l'effort de défense de la France à 1,91% du PIB en 2023, puis à 2% en 2025, contre 1,78% en 2017.

Satisfaction des armées et des politiques...

Aussi, pour Christian Cambon, cette LPM à "hauteur d'hommes", permet de fournir les équipements nécessaires aux soldats engagés dans des opérations extérieures (OPEX), au Sahel et au Levant par exemple. Autre satisfecit pour le sénateur, le service national obligatoire, décidé par le président de la République, ne sera pas financé par la LPM, ce qui aurait constitué "une catastrophe" pour les armées françaises.

Cette LPM sera-t-elle également suffisante pour éliminer les ruptures temporaires de capacité (RTC) dues à la vétusté et au grand âge de beaucoup d'équipements ? Oui, selon le général Bellot des Minières, adjoint au sous-chef d'état-major "Plans" de l'état-major des Armées, grâce à l'augmentation moyenne des crédits (en euros constants) de +17% à +19% par an entre 2019 et 2025. Mais il souligne que l'état-major "vérifiera chaque année" la réalité de cette augmentation annuelle. Le président de la commission de la défense du Sénat a pour sa part souligné certaines lacunes, comme le fait que les deux tiers des équipements promis seront livrés lors du dernier tiers du calendrier (2023 à 2025). Soit après la fin de l'actuel mandat présidentiel d'Emmanuel Macron. Ce qui laisse planer des incertitudes sur l'exécution de la dernière partie de cette LPM.

... et de Bruno Even

Pour le général Éric Bellot des Minières, cette LPM est une « reconnaissance par le politique du rôle des armées et de la singularité du métier militaire. Elle consolide l'existant et va relancer l'innovation ». Est-ce le cas dans le domaine des hélicoptères, dont le rôle dans les opérations extérieures (OPEX) est de plus en plus important ? Selon les observateurs, l'aéroterrestre serait-il le parent pauvre de cette LPM ? Ce n'est pas le cas, selon Bruno Even. Le PDG d''Airbus Helicopters a considéré que cette LPM accompagne bien dans le domaine aéroterrestre les militaires tant au niveau des nouveaux programmes qu'en termes de soutien. Elle « répond aux enjeux d'un environnement exigeant, avec des contrats verticaux par flotte », a estimé Bruno Even à propos du Maintien en condition opérationnelle (MCO). Par exemple, pour améliorer la disponibilité des moyens aéroterrestres très médiocre, le constructeur a travaillé une modification des entrées d'air pour limiter l'érosion causée par le sable au Sahel. En outre, Bruno Even a rappelé les nouveaux programmes lancés dans cette LPM, comme la modernisation du Tigre Mark 3 en coopération avec l'Allemagne.

Conserver l'innovation au cœur des processus

Selon Christian Cambon, les armées auraient aimé recevoir plus de moyens, mais il faut se soumettre aux contraintes budgétaires. « Une rumeur concernant une baisse de crédit et d'effectifs pour le service de santé aux armées nous inquiète beaucoup ». À Gao (Mali), où s'est rendu le Sénateur, « l'unité hospitalière est performante pour soigner les blessures effroyables causées par les mines artisanales : il n'y a rien de pire pour le politique que d'envoyer des soldats au front sans leur donner les moyens. Nous avons 4 500 hommes pour couvrir un territoire équivalent à l'Europe ! ».

La question des crédits de R&D (1 milliard d'euros prévus en 2022 contre 730 millions aujourd'hui) est également posée. Pour le général Éric Bellot des Minières, ce montant ne représente en fait que « 10% de la partie investissement de l'ensemble des programmes, permettant de conserver l'innovation au cœur de nos processus, ce qui n'est pas anodin ». Cette enveloppe budgétaire devra irriguer tous les besoins : avenir de la dissuasion nucléaire, renouvellement des avions de combat aériens, observation de l'espace au service du renseignement, robots de combat, missiles hypervéloces ou encore informatique quantique ? Pour le général, « cette orientation est vertueuse, avec une clause de revoyure en 2021 ».

À propos du transport stratégique, maillon indispensable dans la chaîne opérationnelle des OPEX, le général est plus dubitatif : « C'est un sujet sensible. Nous disposons de vieux C160 Transall (en service depuis 44 ans, NDLR) et d'A400M dont les performances sont remarquables. L'objectif majeur de ce sujet des OPEX, c'est la mobilité intra-théâtre. Nous avons une coopération avec les Britanniques qui disposent d'hélicoptères de transport CH47. Mais pour quelle durée ? Il n'y a pas d'effort spécifique pour les hélicoptères transport dans la LPM ». Pour Bruno Even, « la réponse est à chercher dans une coopération à l'échelle européenne ». Enfin, sur la concurrence des Etats-Unis, qui consacrent 5% de leur PIB à la défense contre 2% pour la France à horizon 2025, Christian Cambon regrette que les « Polonais et Néerlandais achètent sur catalogue des avions américains, les Belges étant attentistes. Or, il faut être ensemble, comme pour le combat aérien du futur à base de drones. Il faut arriver à une défense européenne, car l'objectif véritable des Américains est de détruire l'industrie européenne d'armement ». Un sujet qui va bien au-delà de la LPM.

 

Patrick CAPELLI
La Tribune

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.frwww.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr