Ce que parler (ou écrire) veut dire. LIBRE OPINION de François SUREAU.

Posté le mardi 10 mai 2016
Ce que parler (ou écrire) veut dire. LIBRE OPINION de François SUREAU.

Il faut s’intéresser aux paroles de ceux qui nous gouvernent, non pour s’en indigner mais pour les comprendre.

On passera rapidement sur les simples éructations, qui trahissent moins une pensée que les défauts des tempéraments.
M. Sapin, paraît-il, qualifie de « taré du troisième étage » son collègue du gouvernement, M. Macron. On croirait une querelle de bureau, près de la machine à café, si ce n’étaient les mêmes gens qui nous invitent à une rigueur dont ils sont incapables, et à leur accorder une confiance que leurs débordements proscrivent.
Mme Hidalgo, quant à elle, n’a « rien à battre » du même Macron, ministre d’un gouvernement qu’elle soutient, parce qu’elle « se consacre exclusivement » à « travailler pour Paris. Ici le pot aux roses est découvert. La vulgarité du ton à part, on aurait compris que Mme Hidalgo désapprouve les fréquentes apparitions publiques de son camarade. Mais aussitôt elle se met en scène elle-même, tout comme lui, se posant en modèle de conscience professionnelle. C’est sa statue qu’elle sculpte. Que reproche-t-elle donc alors à M. Macron, sinon d’attirer davantage la lumière ?
Enfin M. Hollande compare à celle de Coluche la trajectoire dudit Macron. C’est tout de même plus inquiétant. Ainsi le président de la République aurait choisi un Coluche en puissance pour occuper l’un des postes les plus importants qui soient, en période de crise économique ? M. Hollande aurait fait de Coluche un ministre de l’économie ?

Il y a plus sérieux.
M. Juppé, candidat à la candidature de la droite, expose benoîtement devant un parterre d’étudiants : « Un militaire, c’est comme un ministre, ça ferme sa gueule ou ça s’en va. » Cette phrase en dit plus long que les précédentes. Il y a, d’abord, l’étrange « comme un ministre ». Par là, M. Juppé, si l’on peut dire, se pousse du col en attribuant implicitement aux ministres les vertus des militaires. Mais les premiers commandent sans prendre aucun risque, et les seconds obéissent au prix de leur vie. On eût compris, à la rigueur, que M. Juppé parlât des seuls généraux. Il a parlé des « militaires », incluant dans son sermon ces cent mille contractuels de courte durée, sans garantie statutaire, qui exposent leur vie dans les combats où le gouvernement les envoie. Le seul choix du mot manifeste un antimilitarisme très réel dans les élites civiles, surtout technocratiques, spécialement quand ces élites n’ont jamais eu l’occasion de souffrir, ou même de voir, les conséquences des décisions qu’ils prennent. Cette phrase montre, par ailleurs, une absence de réflexion préoccupante pour qui aspire à l’emploi de chef des armées. Dans le passé, il est sûr que le général de Gaulle a eu raison de s’opposer aux conceptions qui ont justifié l’absorption des budgets militaires par la ligne Maginot, et de recommander la constitution d’une armée blindée de mouvement. On peut le féliciter d’avoir « ouvert sa gueule » et regretter seulement qu’il n’ait pas été entendu. Quant aux conflits d’aujourd’hui, il est frappant que la société politique, en premier lieu parlementaire, n’ait jamais vraiment débattu de l’intérêt de la participation de la France à divers engagements atlantiques ou africains, et que les seules réflexions pertinentes pour éclairer le citoyen sur ces engagements soient venues précisément d’officiers généraux.

Puis il y a le livre de Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, Ce que je ne pouvais pas dire. Le silence, tant de la classe politique que du monde juridique au sens large, sur cette inepte confession en dit autant sur notre absence de sens des principes que le livre lui-même. À le lire, on reste saisi que M. Debré ait pu occuper une fonction pour laquelle il était si peu fait. Voici donc l’homme qui a présidé la plus haute juridiction française, l’organe de censure du Parlement au nom de la déclaration des droits : poursuivant inlassablement d’obscures querelles d’ambition et M. Sarkozy de sa vindicte, violant à mots à peine couverts le secret du délibéré, et, dans le même temps, infligeant d’interminables leçons de morale. On reste confondu devant tant de libertés prises avec les règles les plus fondamentales de la part de celui qui avait à charge de les faire respecter, et dont l’impartialité, la hauteur des vues, la sagesse, n’auraient jamais dû pouvoir être suspectées par quiconque. Le président du Conseil constitutionnel a quitté son office en montrant, le jour même de son départ, soit qu’il n’en avait aucunement compris la grandeur, soit que son désir de publicité personnelle l’emportait sur toute autre considération.

Ce n’est pas seulement la vertu, au sens ancien, qui manque en ce moment aux titulaires des plus hauts emplois, c’est aussi la réflexion. On passerait même sur ce déluge narcissique auquel n’importe quelle langue de bois est préférable. Il est plus difficile de s’accommoder d’un aveuglement bavard qui fait voir nos politiques comme un danger pour la démocratie elle-même, dans ce qu’elle a de plus précieux. Ce n’est pas « Nuit debout » qui est révolutionnaire, mais ce que révèle la jactance des hiérarques.

 

François SUREAU

Source : La Croix