CONFLIT RUSSO-UKRAINIEN : La Turquie en embuscade ?

Posté le mardi 26 avril 2022
CONFLIT RUSSO-UKRAINIEN : La Turquie en embuscade ?

Entre la Russie et l’Ukraine certains prédisaient une guerre éclair d’autres n’en voient pas la fin.. ! L’article proposé n’est pas prédictif. Il s’attache seulement à évoquer l’hypothèse de la résurgence à terme de l’empire turc qui profiterait de la fragilisation de celui de Russie sans que rien ne présage d’un retour au passé « ottoman »  de la Turquie.

 

Hypothèse d’un empire autrement.

 

Des décennies seront sans doute nécessaires pour « restaurer la confiance » entre les pays occidentaux et la Russie a estimé, mardi 19 avril 2022, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu. En effet, il juge que « nous assistons au début d'une nouvelle « guerre froide ». Membre de l'Otan depuis 1952, mais aussi membre du G 20, et alliée de l'Ukraine, à laquelle elle a livré des drones de combat, la Turquie s'efforce depuis le début du conflit qui oppose Moscou et Kiev de tenter une médiation entre les belligérants. Elle a jusqu’ici même refusé de s'aligner sur les sanctions occidentales visant la Russie. Ankara démontre ainsi son souci de garder une ligne de communication ouverte avec le Kremlin. Cette attitude marque bien l’ambition de la Turquie du Président Erdogan de renouer avec une certaine grandeur de l’empire Ottoman en fonction de l’évolution du contexte géopolitique mondial. Nous en voulons pour preuve les avancées diplomatiques, industrielles ou commerciales et même parfois de coopération militaire en direction du Maghreb et de la Libye, de l’Afrique Noire et des républiques de l’Asie centrale. Il faudrait également ne pas omettre de prendre en considération la gestion par Erdogan de la crise syrienne, tant avec Poutine sur le terrain des opérations militaires qu’avec la marchandisation « optimisée » du pétrole. Enfin personne n’oubliera le rôle joué avec l’Union Européenne dans le processus d’échange à propos des immigrés syriens. La « facilité » européenne adoptée par les Européens, en mars 2016, dans le cadre d'un pacte avec la Turquie visant à stopper la crise migratoire qui faisait rage alors, prévoyait de mobiliser six milliards d'euros pour aider la Turquie à maintenir sur son territoire près de quatre millions de réfugiés qui tentaient de remonter vers l'Europe pour y chercher un avenir meilleur. Nous sommes bien obligés de constater que la guerre a fait retour dans notre actualité et à nos frontières. Les conflits ne se règlent pas seulement sur le champ de bataille à coup de canons ou de stratégies, mais ils mêlent indissociablement le politique et le militaire comme l’idéologie, le droit ou l’économie et parfois même le religieux. Or dans le cas de la Turquie il est notoire que l’islam sunnite est un vecteur d’influence utilisé par Erdogan comme ce le fut précédemment pour l’empire Ottoman.

On se souviendra que l'empire Ottoman a existé de 1299 à 1923, soit durant plus de six siècles. « Il a longtemps été un modeste beylicat autonome, puis devint indépendant de fait du sultanat seldjoukide, alors en pleine décadence ». Il s’étendit ensuite pendant trois siècles de Vienne en Europe, jusqu’au golfe Persique, de l’Algérie à la mer Caspienne, et enfin des steppes de l'actuelle Ukraine pour atteindre les marais du Nil Jaune au Soudan et jusqu’aux montagnes du Yémen de la Reine de Saba. Dans le cadre de ses relations internationales, l'Empire ottoman était appelé « Sublime Porte », du nom de la porte d’honneur monumentale du grand vizirat, siège du gouvernement du sultan à Constantinople. Le 14 novembre 1914, le Sultan Mehmed V lance un appel au Djihad contre l’occident et s’allie avec l’Allemagne de Guillaume Ier. Lors de la première guerre mondiale l’Empire Ottoman se défait peu à peu et n’a plus les moyens humains de mener une guerre généralisée. La révolte arabe du Hedjaz dans la péninsule arabique (1916-1918), attisée par l’Angleterre, les défaites dans le Sinaï et en Mésopotamie en 1917, ainsi que la perte de la Palestine en octobre 1918, sonnent le glas de l’empire que le traité de Sèvres signé en août 1920 entérine mais que la Grande Assemblée Nationale de Turquie refuse de ratifier. C’est pourquoi, lors de la conférence de Lausanne, en 1923, une « Convention des Détroits » est négociée puis signée en même temps qu’un nouveau traité de paix. Elle entre en vigueur le 30 août 1924. Le principe de la liberté de navigation et de passage dans les Détroits des Dardanelles et du Bosphore est affirmé, la zone est démilitarisée, mais replacée sous la souveraineté de la Turquie. (Extrait du journal officiel de la République française). Le statut international du détroit est régi par la convention de Montreux du 20 juillet 1936 sur le régime des détroits turcs. Ce traité, dont la France est dépositaire, octroie à la Turquie le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles. Aujourd’hui la Turquie détient ainsi la clé stratégique de blocage de la marine de guerre russe.

Désormais, il faut penser à un éventuel nouvel équilibre des forces géopolitiques dès la fin du conflit. De nombreux pays peuvent tenter d’apporter des solutions en fonction de leur volonté de puissance. A cet égard, la Turquie a un rôle d’influence auprès de l’Union Européenne car elle compte un grand nombre de ressortissants sur son sol et reste dans l’antichambre de son accession comme membre. On connait également tous les efforts qu’elle entreprend de l’Egypte à l’Algérie et plus au sud dans le Sahel. Enfin vers le nord il est tentant pour les républiques du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan de se rapprocher d’Ankara car leurs populations sunnites sont convergentes. Face à ce possible développement impérial reste à savoir la réaction que pourrait avoir l’Iran chiite aujourd’hui courtisé pour son pétrole par les Etats Unis qui discrètement, selon le journal Le Monde du 5 février 2022, ont rétabli des « mesures dérogatoires externes » à l’embargo qui pesait sur le nucléaire civil. Ainsi, alors que les prochaines élections présidentielles turques se précisent pour 2023, il faudra compter sur Erdogan, qui est au pouvoir depuis 2003, pour multiplier les initiatives et s’efforcer de redonner à son pays une dimension d’un empire autrement, malgré l’indignité du génocide arménien de 1915. La Turquie d’aujourd’hui, notamment avec les drones Bayrakar livrés à l’Ukraine, a su faire la démonstration d’une vraie maitrise technologique de ce type d’armement destructeur des blindés russes. Elle s’est également imposée comme un acteur potentiel d’intermédiation entre la Russie et l’Ukraine. Nous voici donc au carrefour de l’affrontement des volontés et il faut espérer que, malgré les morts, les destructions et les ambitions, ce canal de dialogue reste ouvert entre les adversaires pour parvenir au retour de la paix. Nous pourrons ainsi conclure avec un texte étonnant d’actualité, écrit pourtant en 1820 par Voltaire dans Histoire de Charles XII. « Charles, abandonné par le grand vizir, vaincu par l’argent du Czar en Turquie après l’avoir été par les armes dans l’Ukraine se voyait trompé, dédaigné par La Porte, presque prisonnier parmi les Tartares »

 

Dominique BAUDRY
Colonel (h) et Membre ASAF

 
Retour à la page actualité

Source : www.asafrance.fr