CORONAVIRUS. Armées: capacités du service de santé réduites et exigences opérationnelles

Posté le vendredi 27 mars 2020
CORONAVIRUS. Armées: capacités du service de santé réduites et exigences opérationnelles

Des attentes vis-à-vis des armées en décalage avec la réalité

 

 

Malgré le déploiement d’un hôpital sous tentes à Mulhouse, l’outil militaire n’est plus conçu pour une opération nationale de secours.

Un troisième vol militaire d’évacuation, avec à son bord six patients malades du Covid-19, est parti mardi 24 mars de Mulhouse vers les hôpitaux civils de Brest et Quimper, a annoncé le ministère des Armées. Celui-ci déploie depuis quelques jours une communication nourrie sur cette contribution à la lutte contre l’épidémie, distribuant des vidéos pour les journaux télévisés ou de nombreuses photos de matériels efficacement servis par ses soldats en treillis.
Les attentes vis-à-vis de l’armée sont toujours fortes en cas de crise et s’expriment dans celle du coronavirus. Pourquoi l’armée n’en fait-elle pas plus, se demandent les Français comme nombre de décideurs. Juste avant l’intervention d’Emmanuel Macron le 16 mars, des voix évoquaient le déploiement de soldats dans toute l’Ile-de-France pour imposer un couvre-feu, en dépit du droit, qui exclut l’armée des missions d’ordre public.
Ensuite, l’attente d’un « hôpital de campagne », inspirée des clichés de l’établissement chinois sorti de terre à Wuhan, a envahi les médias, alors que l’armée n’en dispose pas. En ce début de semaine, des sources du Monde dans le milieu hospitalier parlaient de rouvrir le Val-de-Grâce. « Cela n’est pas dans la planification », nous répondait lundi le porte-parole de l’état-major, Frédéric Barbry. Le bâtiment est à l’abandon depuis trois ans et n’abrite plus qu’une section de soldats de l’opération « Sentinelle », logés là faute de mieux.
« Les Français gardent en tête l’image de l’armée de masse de la conscription, mais ce temps est bel et bien fini », indique un officier. Dans le contexte dramatique de l’épidémie de Covid-19, toute contribution est bienvenue et les images diffusées sont efficaces pour rassurer la population, estime Bénédicte Chéron, chercheuse et auteure du Soldat méconnu. Les Français et leurs armées : état des lieux (2018, Armand Colin).
Mais ces attentes révèlent des perceptions fausses. « Il faut s’interroger sur le fait que les moyens mobilisés dans une crise (police et justice face au terrorisme, médecine face au virus) sont devenus suffisamment erratiques pour que le recours au kaki apparaisse nécessaire », a commenté cette chercheuse sur son compte Twitter.

 

Coupes budgétaires brutales

En surjouant la communication, le ministère des Armées entretient ainsi un paradoxe. La visite prévue du président Macron mercredi à Mulhouse, aussi. Car l’outil de défense français, en 2020, n’est plus du tout pensé pour une opération nationale de secours aux sinistrés.

Ses contributions actuelles sont modestes.
- Un A330 en version « Morphée », pouvant déplacer douze blessés graves.
- Un « élément militaire de réanimation » sous tentes, soit 30 lits, mis en place par l’armée de Terre à Mulhouse pour soulager le secteur public débordé – les besoins seront de plusieurs milliers de lits au pic de l’épidémie.
Enfin, l’hôpital embarqué du porte-hélicoptères Tonnerre, bâtiment qui était d’alerte à quai, mobilisé pour évacuer 12 patients d’Ajaccio vers Marseille.

Ces moyens représentent pourtant un effort important. Le service de santé des Armées (14 800 personnes, dont 2 400 médecins, 1 % de l’offre de soins) a subi des coupes budgétaires brutales ces vingt dernières années. Il lui manque des professionnels par dizaines, notamment des médecins, et il a renoncé à certains équipements. Au début de la crise du coronavirus, un responsable de la défense interrogé sur des renforts éventuels mis à contribution répondait au Monde : « On ne les a pas. »

Pas de navire-hôpital comme les Américains

L’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce a été fermé en 2017, dans l’indifférence générale, jugé trop coûteux par la Cour des comptes. Sa remise aux normes était alors estimée à 250 millions d’euros. Un officier notait, lundi, que celui de Marseille, si précieux aujourd’hui, a été sauvé de justesse dans le cadre des réformes récentes.
La dernière réforme du service de santé des Armées a consisté à le recentrer sur les opérations militaires et les blessures de guerre – la stratégie de la France organise une « armée d’emploi » qui combat. Il dispose ainsi d’antennes chirurgicales déployables, mais il a dû inventer de toutes pièces le module de réanimation de Mulhouse. La Défense n’a pas d’hôpital de campagne au sens commun du terme, encore moins de navire-hôpital comme en dispose son homologue américaine.procurer des bouteilles d’oxygène. Elle a consommé en une nuit 25 bouteilles pour les civils atteints du Covid-19. C’est l’équivalent de dix années de dotation du navire en la matière.

 

Injonctions contradictoires

Face au coronavirus, les directives ministérielles sont claires : « Priorité reste aux opérations. » Des entraînements, des stages opérationnels ont déjà été annulés par mesure de précaution. Au-delà, l’état-major ne pourra contribuer plus, sauf à décider d’amputer des missions en cours, « Barkhane » au Sahel, patrouilles aériennes au profit de l’OTAN, opérations maritimes ailleurs… Ce que le président de la République a jusqu’à présent refusé d’ordonner.
Mais, entre « poursuite des opérations » et nécessité de « se confiner pour ne pas faire partie du problème coronavirus », les injonctions contradictoires du moment secouent l’armée. « L’enjeu est de durer dans cette configuration, explique le commandant Eric Lavault, porte-parole de la Marine. Nos écoles sont fermées pour deux mois et on va se prendre un énorme tsunami quand les relèves ne pourront se faire. » La suppression de permissions d’été est à l’étude.
Le plan ministériel de continuité de l’activité est au niveau 2 – soit « protéger et préserver les missions ». Il exige que sur les sites de la Défense, et « hors permanence opérationnelle », seuls 10 % à 20 % des personnels soient présents physiquement, par rotation tous les quinze jours. La règle est toutefois à l’appréciation du terrain, où l’on veut poursuivre formations, entraînements, et maintenance des matériels.
De quoi susciter des critiques dans les rangs. « Chaque décideur intermédiaire défend le caractère essentiel de son activité, et on se retrouve à entraver la stratégie de confinement du gouvernement, regrette un militaire. Je préférerais être réquisitionné pour sécuriser un hôpital civil. Si on grille du monde parce qu’on n’aura pas détecté les militaires malades, on n’arrivera plus à tenir les opérations futures. »
Des voix se sont inquiétées du retour de 300 stagiaires lundi 23 mars aux écoles militaires de Saumur. « Ce sont des mouvements de population qui ne sont pas justifiés », a dénoncé un agent dans Le Courrier de l’Ouest. L’état-major motive cette décision par l’indispensable « maintien de la capacité opérationnelle de l’armée de Terre », précisant que « 50 % des activités de l’école ont été supprimées ».

 

Nathalie GUIBERT
Le Monde

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr